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toit trop, & pendant tout ce temps-là, rien n'entra dans mon corps; auffi je me fentois épuifé, toûjours rendre, & ne rien prendre, cela ne foûtient point du tout les forces. La Mer devint un peu plus douce, nous n'avions plus tant de mal, & nôtre Capitaine nous revit en route, mais fon efperance d'y demeurer long-temps fans le fecours d'un vent plus Fropre. Un Matelot affectant alors un ton de gravité, dit que le vent qui nous manquoit, étoit dans quelque cave, mais pas un ne voulut courir à la fienne pour le chercher; il avoit envie de boire, & de faire donner à chacun un coup d'eau de vie, mais fa plaifanterie n'aboutit à rien. Un autre qui n'étoit pas plus férieux, pour fe défendre de diftribuer à fes Camarades quelques coups de fa spiritueufe liqueur, dit que le vent ne deviendroit point bon, qu'on n'eût donné le fouet à un Mouffe ; chacun y foufcrit, & ce qui fut dit, fut fait. Sans tirer au fort, comme de coûtume en pareille occafion, un de ces malheureux Moufles qui avoit pris quelque chofe à un Matelot, fut choifi pour victime, & foüetté un peu plus févérement qu'il ne l'auroit été, s'il n'y avoit eu rien contre luy. On uy it bas fa culotte gaudronnée, &

on le lia fur le bâton de la Pompe qui luy fervoit de Chevalet. Ayant le derriere à l'air, le Pilote luy fit fentir les coups d'un martinet garni de plufieurs cordes toutes neuves, & pleines de nœuds. Auffi-tôt il cria comme un Aigle, demandant pardon, grace & mifericorde de tout fon cœur. Crie tant que tu voudras, encore plus fort, luy répondit le Feffeur frapant à tour de bras, ce n'eft pas là ce qu'il faut que tu difes, il faut crier Nord-Eft, bon vent pour le Navire. Comme Pilote il devoit s'intereffer au vent plus qu'un autre ; alors le pauvre Patient cria de toute fa force NordEft, fans connoître peut-être encore les vents. Dans le même moment on le quitta, & on le laiflà aller froter fon derriere tant qu'il voulut. Venons au fait, le croira qui voudra, je ne m'arrête point à ces fortes de fadaifes; mais le vent que l'on fouhaitoit, fe déclara bien-tôt, & nous en fûmes plus réjouis que s'il étoit venu autrement.

Souvent le mal d'autruy pour d'autres n'eft qu'un jeu y

On eft ainfi fait dans le Monde,

Mais qu'y gagnâmes nous ? je connus que

l'Onde,

On fit bien du chemia, & l'on avança peu.

fur

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Il en eft de la Mer ainfi que de la Terre
Elle a fes monts, elle a fes vaux

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Quand les vents foûlevent fes eaux
Dans le vafte fein qui l'enferre.

On y monte, & l'on y descend

De hautes Montagnes flotantes,
Et le cours inégal des vagues ondoyantes,
Ne portent que par bonds à l'endroit où l'on

tend.

Si le chemin qu'on fait fur la liquide plaine,
Se faifoit en Pays uni,

On le verroit bien-tôt fini,

Et l'on n'auroit pas tant de peine.

Je regardois ces monts comme de hautes

tours

Où l'on monte par des détours;
Au fommet on ne peut fe rendre,
Qu'on ne faffe beaucoup de pas,
On n'en fait pas moins pour defcendre,
Et l'on ne fe trouve qu'au bas.

Nous voguames de la forte pendant deux jours, le meilleur vent que nous pouvions defirer, nous faifant bien du

mal pour être trop gros; telle étoit la rigueur de nôtre fort; mais la Mer en devenant moins haute & moins forte s'applanit, & rendit enfin fon cours aflez égal.

Nôtre Navire alors d'une viteffe extrême,
Fendoit les Ondes fans effort,

Les vents avec les flots nous paroiffoiem
d'accord,

Et les Tritons, Neptune même,

Nous fembloient de concert nous conduire à

bon port.

Aprés les mortelles allarmes

Que caufe une Mer en couroux
Quel plaifir étoit-ce pour nous

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De n'y trouver plus que des charmes
Nos jours n'étoient point menacez
D'une fin fubite & terrible,

Et dans un état fi paisible,

Nous ne fongions plús guéres à nos perils
paffez.

Pour moy je me flattois de la douce efperance.
De voir en peu de jours la pêche du grand

Banc,

Et de faire bien-tôt en la Nouvelle France

Quelques onces de meilleur fang.

Tout fait plaifir dans une pareille attente; en ce temps-là un petit Cul-blanc. de terre vint fe pofer fur le bord du Navire, & je crûs que cet Oyfeau venoit nous anoncer l'heureufe & agreable nouvelle que nous, n'en étions pas loin. Pour en être plus certain, le Soleil ne fournit pas deux fois fa carriere, que l'on jetta la fonde, croyant que l'on trouveroit le Banc Jacquet; mais il arriva le contraire, on le chercha en vain ; l'erreur n'eft que trop commune fur ce perfide & inconftant Element. Nous aprochions cependant toûjours du grand Banc fi renommé Pêche de la Moruë. Aprés ces trois jours de navigation, nous crûmes qu'il étoit à portée; on jetta la fonde, mais avec auffi peu de fuccés qu'auparavant.

De cet abîme impénétrable

A la fonde comme à nos yeux,
Si nous euffions tiré du fable,

Nous aurions été trop joyeux.

Il fallut prendre patience dans l'efperance d'être plus chanfeux le lendemain; mais on refonda encore auffi vainement que la premiere fois, on ne trouva que

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