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Nous fumes prêts, voyant nôtre peine inu

tile,

De relâcher à l'Ifle-Dieu

Nous ne pouvions alors choifir un meilleur
lieur,

Son nom marquoit un für azile.

Dans cet embaras il en furvint un autre plus à craindre; un Navire qui fut chaffe fur le nôtre par le vent qui le forçoit, nous fit aprehender qu'en fe choquant tous deux, ils ne fe brifaffent l'un contre l'autre ; mais nôtre Capitaine fort habile homme, fit faire une fi bonne manœuvre, & fi à propos, qu'il évita le choc, & malgré le mauvais temps il tint. toûjours la Mer.

Il fit bien, car le vent une heure après
changea,

Et felon nos defirs nôtre Vaiffeau vo

gua.

Dans une pareille difgrace

Il ne faut pas d'abord fe rebuter 2

Car à force de tourmenter,

Le temps change en bonace

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Nous en fimes l'épreuve, & tout le long du

jour,

Le vent étant affez propice,

Les Matelots aprés un penible exercice

Prirent du repos à leur tour.

La nuit ne fut pas moins favorable au Na

vire,

Et ne craignant aucun hazard,

L'Equipage en faisant fon quart,

N'eut qu'à fumer, chanter & rire.'
Le jour qui la fuivit ne fut pas moins ferein,
L'haleine des vents fut petite;

Nous n'eûmes que le feul chagrin
De ne pas aller affez vîte.

Pendant deux ou trois jours les vents ne foufflerent pas plus fort; on ne refpiroit qu'un air frais, & fur la Mer un grand calme eft auffi ennuyeux que la tourmente eft fâcheufe, on voit le milieu entre ces deux excez.

A peine entendoit-on le murmure de l'Onde,

Tout nous invitoit au repos,

Je le goûtois auffi dans une paix profonde
Bercé doucement par les flots.

A mon reveil je quittois ma cabane
Et la Pipe à la main campé fur le Gaillard
Je tirois la vapeur de la Nicotiane,

Et tranchois du Chevalier Bart.

Il n'y avoit pourtant point de Mouffe qui ne fçût mieux que moy s'aquitter de cet exercice, je ne le faifois auffi que par amusement, & pour me donner des airs d'homme de Mer : Tout Novice que j'y étois, je m'abandonnois à la rêverie où jette d'ordinaire la vapeur de cette Plante Indienne, & je ne fongeois qu'à confiderer ce qui fe paffoit entre les Poiffons; je vis qu'il en étoit d'eux comme des hommes fur la terre, les grands déclaroient la guerre aux petits, loin de mordre à nos hameçons qui flotoient fur une eau fort claire.

Le temps du jeu pour moy n'eft pas le mieux passé,

Que faire en pareille avanture?

J'étois affez embaraffé,

On ne fçauroit toûjours être dans la le

&ture,

L'efprit en eft bien-tôt laffe.

Il faut que fur un Livre il prenne du relâche,
Ainfi qu'au travail fait le corps,

L'un & l'autre a certaine tâche,

Qu'il ne fçauroit paffer malgré tous fesefforts.

Pendant qu'un fi grand calme nous arrêtoit, le vent s'éleva un peu, & devint fi bon que nous fûmes bien-tôc dédommagez du retardement.

Nôtre Vaiffeau fembloit voler,

A peine tenoit-on fur la table la foupe}
Mais nous avions le vent en poupe's

C'étoit de quoy nous confoler.

Telle foupe d'ailleurs n'eft pas fort excel

lente,

On ne perd pas beaucoup à n'en manger qu'un

peu,

C'eft le feul appetît qui la fait ragoûtante,

Et fur la Mer les dents font feu.

On ne trouve jamais trop de fel, trop d'épice Dans les mets de chaque repas,

Et comme on fait peu d'exercice,

On devient bien-tôt gros & gras.

Lorfque nous avions un temps fi fa verable, les Germons fe prenoient à nos

le

lignes avec abondance; c'eft un poiffon d'un goût admirable, dont la bonté pourroit le difputer à celle du Saumon ; ils font auffi affez reffemblans, finon que Germon eft plus gros & plus court que le Saumon, & qu'il a des nageoires beaucoup plus longues.

L'utile & vray plaifir de le manger à table,
Et de l'affaifonner de toutes les façons
Suivoit de bien prés l'agreable

De le prendre à nos hameçons.

On voyoit fur le gril encore fremir la dale,
Paris n'en voit jamais de pareil en fa Halle,
Il ne peut s'y porter, il eft trop délicat
Pour manger la fraîche marée,

Et n'en poinr laiffer dans le plat,
Il n'eft que de courir l'empire de Nerée.

Il est bien jufte que les Navigateurs trouvent quelquefois fur la Mer de quoy fe confoler des peines qu'elle leur donne. Les nôtres étoient fort contents alors, ils mangeoient tout leur foû de ce poiffon délicieux à toutes fortes de fauffes & le Navire alloit fort bien, fans qu'ils fe fatigaffent à changer de manœuvre. Si Neptune les favorifoit toûjours de mê

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