Imágenes de páginas
PDF
EPUB

avoir fait la Claffe au Collège Mazarin, le 22 Décembre 1722, fans être plus mal que de coutume, il mourut fubitement la nuit fuivante.

Son caractère étoit auffi fimple que fa fupériorité d'efprit pouvoit le demander. J'ai déja donné cette même louange à tant de perfonnes de cette Académie, qu'on peut croire que le mérite en appartient plutôt à nos Sciences qu'à nos Savans. Il ne connoiffoit point la jaloufie. Il est vrai qu'il étoit à la tête des Géomètres de France, & qu'on ne pouvoit compter les grands Géomètres d'Europe fans le mettre du nombre. Mais combien d'Hommes en tout genre, élevés à ce même rang, ont fait l'honneur à leurs inférieurs d'en être jaloux & de les décrier? La paffion de conferver une première place fait prendre des précautions qui dégradent. Il faut convenir cependant que, quand on lui préfentoit quelque idée qui lui étoit nouvelle, il couroit quelquefois un peu trop vîte à l'objection & à la difficulté ; le feu de fon efprit, des vues dont il étoit plein fur chaque matière, venoient traverfer trop impétueufement celles qu'on lui offroit: mais on parvenoit affez facilement à obtenir de lui une attention plus tranquille & plus favorable. Il mettoit dans la difpute une

chaleur que l'on n'eût jamais cru qu'il eût dû terminer par rire. Ses manières d'agir nettes, franches, loyales en toute occafion, exemptes de tout foupçon d'intérêt indirect & caché, auroient feules fuffi pour justifier la Province dont il étoit, des reproches qu'elle a d'ordinaire à effuyer; il n'en confervoit qu'une extrême crainte de fe commettre, qu'une grande circonfpection à traiter avec les hommes, dont effectivement le commerce est toujours redoutable. Je n'ai jamais vu perfonne qui eût plus de confcience, je veux dire, qui fût plus appliqué à fatisfaire exactement au fentiment intérieur de fes devoirs, & qui fe contentât moins d'avoir fatisfait aux apparences. Il poffédoit la vertu de reconnoiffance au plus haut degré; il faifoit le récit d'un bienfait reçu avec plus de plaifir que le bienfaiteur le plus vain n'en eût eu à le faire, & il ne fe croyoit jamais acquitté par toutes ces compenfations, dont on s'établit foi-même pour Juge. Il étoit Prêtre, & n'avoit pas befoin de beaucoup d'efforts pour vivre conformément à cet état. Auffi fa mort fubite n'a-t-elle point alarmé fes amis.

Il m'a fait l'honneur de me léguer tous fes papiers par fon teftament. J'en rendrai au Public le meilleur compte qu'il me fera poffible. La nouvelle Méchani

174 ÉLOGE DE M. VARIGNON. que eft en affez bon état, & va paroître au jour ; j'espère que les Lettres la fuivront. Du refte, je promets de ne rien détourner à mon ufage particulier des tréfors que j'ai entre les mains, & je compte que j'en ferai cru: il faudroit un plus habile. honime pour faire fur ce fujet quelque mauvaise action avec quelque efpérance de fuccès.

ELOGE

DU

CZAR PIERRE I". COMME il eft fans exemple que l'Académie ait fait l'Eloge d'un Souverain, en faifant, fi on ofe le dire, celui d'un de fes Membres, nous fommes obligés d'avertir que nous ne regarderons le feu Czarqu'en qualité d'Académicien, mais d'Aca démicien Roi & Empereur, qui a établi les Sciences & les Arts dans les vaftes! Etats de fa domination; & quand nous le regarderons comme Guerrier & comme Conquérant, ce ne fera que parce que l'Art de la Guerre eft un de ceux dont il a donné l'intelligence à fes fujets.

La Mofcovie ou Rullie étoit encore dans une ignorance & dans une groffièreté prefque pareilles à celles qui accompagnent toujours les premiers âges des Nations. Ce n'eft pas que l'on ne découvrît dans les Mofcovites de la vivacité, de la pénétration, du génie & de l'adreffe à imiter ce qu'ils auroient vu : mais toute industrie étoit étouffée. Les Payfans, nés efclaves, & opprimés par des Seigneurs impitoyables, fe contentoient qu'une Agriculture groffière leur apportât précisément de quoi vivre; ils ne pouvoient ni n'ofoient s'enrichir. Les Seigneurs eux-mêmes n'ofoient paroître riches; & les Arts font enfans des richeffes & de la douceur du Gouvernement. L'Art militaire, malheureufement auffi indifpenfable que l'Agriculture, n'étoit guère moins négligé auffi les Mofcovites n'avoient-ils étendu leur domination que du côté du Nord & de FOrient, où ils avoient trouvé des Peuples plus barbares; & non du côté de

Occident & du Midi, où font les Suédois, les Polonois & les Turcs. La politique des Czars avoit éloigné de la guerre les Seigneurs & les Gentilshommes, qui en étoient venus à regarder comme une exemption honorable cette indigne oifiveté; &, fi quelques-uns fervoient, leur naiffance les avoit faits Commandans,"

[ocr errors]

& leur tenoit lieu d'expérience. On avoit mis dans les Troupes plufieurs Officiers Allemands, mais qui, la plupart, fimples Soldats dans leur pays, & Officiers feulement parce qu'ils étoient en Mofcovie, n'en favoient pas mieux leur nouveau métier. Les Armées Ruffiennes, levées par force, compofées d'une vile populace, mal difciplinées, mal commandées, ne tenoient guère tête à un ennemi aguerri; & il falloit que des circonftances heureuses & fingulières leur miffent entre les mains une victoire qui leur étoit affez indifférente. La principale force de l'Empire confiftoit dans les Strélitz, Milice à-peuprès femblable aux Janiffaires Turcs, & redoutable, comme eux, à fes Maîtres, dans le même temps qu'elle les faifoit redouter des Peuples. Un commerce foible & languiffant étoit tout entier entre les mains des Marchands étrangers , que l'ignorance & la pareffe des gens du pays n'invitoient que trop à les tromper. La Mer n'avoit jamais vu de vaiffeaux Mofcovites, foit vaiffeaux de guerre, foit marchands, & tout l'afage du port d'Arkangel étoit pour les Nations étrangères.

Le Chriftianifine même, qui impofe quelque néceffité de favoir, du moins au Clergé, laiffoit le Clergé dans des ténèbres auffi épaiffes que le Peuple; tous

favoient

« AnteriorContinuar »