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316 ÉLOGE DE M. NEWTON.

geoit de lui en certaines occafions de la dépense & de l'appareil, il étoit magnifique fans aucun regret & de très-bonne grace. Hors de-là, tout ce fafte qui ne paroît quelque chofe de grand qu'aux petits caractères, étoit févèrement retranché, & les fonds réservés à des ufages plus folides. Ce feroit effectivement un prodige qu'un efprit accoutumé aux réflexions nourri de raifonnemens, & en même temps amoureux de cette vaine magnificence.

Il ne s'eft point marié, & peut-être n'at-il pas eu le loifir d'y penfer jamais; abîmé d'abord dans des études profondes & continuelles pendant la force de l'âge, occupé enfuite d'une Charge importante, & même de fa grande confidération, qui ne lui laiffoit fentir ni vuide dans fa vie, ni befoin d'une fociété domestique.

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Il a laiffé en biens meubles environ 32,000 livres fterlings, c'est-à-dire, fept cents mille livres de notre monnoie. M. Leibnitz fon concurrent mourut riche auffi, quoique beaucoup moins, & avec une fomme de réferve affez confidérable (1). Ces exemples rares, & tous deux étrangers, femblent mériter qu'on ne les oublie pas.

(2) Voyez l'Hift. de 1716, p. 128.

ELOGE

DU PÈRE

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REYNE AU. CHARLES REYNEAU naquit à Brissac, Diocèse d'Angers, en 1656, de Charles Reyneau, Maître Chirurgien, & de Jeanne Chauveau. Il entra dans l'Oratoire à Paris, âgé de vingt ans, car nous ne favons rien de tout le temps qui a précédé; mais il eft prefque abfolument impoffible de fe tromper en jugeant de ce premier temps inconnu par tout le refte de fa vie. Des inclinations d'une certaine force, toutes parfaitement d'accord entr'elles, vivement marquées dans toutes les actions d'un grand nombre d'années, exemptes de tout mêlange qui les altérât, ont dû être non-feulement toujours dominantes, mais toujours les feules; & ces inclinations étoient en lui l'amour de l'étude & une extrême piété.

Ses Supérieurs l'envoyèrent profeffer la Philofophie à Toulon, enfuite à Pezenas. C'étoit entièrement la Philofophie nouvelle. Ce que les plus attachés à l'ancienne

Scholaftique tâchent encore d'en conferver, tient de jour en jour moins de place chez eux-mêmes.

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Le P. Reyneau ne pouvoit être Cartéfien ou, fi l'on veut, Philofophe moderne, fans être un peu Géomètre; mais on le détermina encore plus puiffamment de ce côté-là, en lui donnant les Mathématiques à profeffer à Angers en 1683.

Tous les motifs imaginables fe réuniffoient à l'animer dans cette fonction; fon goût pour ces Sciences, le plaifir naturel à tout homme de répandre & de communiquer fon goût, le defir d'être utile aux autres, fi puiffant fur un cœur bien fait, celui de bien remplir un devoir que lui avoit impofé la Religion par la bouche de fes Supérieurs, peut-être même l'amour de la gloire, pourvu qu'il ne s'en apperçût pas. Il fe rendit familier tout ce que la Géométrie moderne, fi féconde & déja fi immense, a produit de découvertes ingénieufes & de hautes fpéculations. Il fit plus; il entreprit pour l'ufage de fes Disciples de mettre en un même corps les principales théories répandues dans Defcartes, dans Leibnitz, dans Newton, dans les Bernoulli, dans les Actes de Léipfic, dans les Mémoires de l'Académie, en un grand nombre de lieux peutêtre moins connus; tréfors trop difperfés,

& qui par-là font moins utiles. De-là eft né le Livre de l'Analyfe démontrée, qu'il publia en 1708, après avoir profeffé 22 ans à Angers.

On ne pourroit pas fondre enfemble tous les Hiftoriens, ou tous les Chronologiftes, ou même tous les Phyficiens; ils font trop contraires, trop hétérogènes les uns aux autres; ce font des métaux qui ne s'allient point: mais tous les Géomètres font homogènes, & leurs idées ne peuvent refufer de s'unir. Cependant on ne doit pas penfer que l'union en foit aifée. Les Géomètres inventeurs ne font arrivés de toutes parts qu'à des vérités ; mais à une infinité de vérités différentes, parties de différentes fources, qui ont tenu des cours différens: & il s'agit de les raffembler, en leur donnant à toutes des fources communes, &, pour ainfi dire, un même lit, où elles puiffent toutes également couler. Quand elles font amenées à ce nouvel état, le Public destiné à en profiter, en profite davantage; & s'il doit plus d'admiration au premier travail, à celui des Inventeurs, il doit plus de reconnoiffance au fecond. Il a été plus particulièrement l'objet de l'un que de

Ï'autre.

L'Analyfe du P. Reyneau porte le titre de démontrée , parce qu'il y démontre

plufieurs méthodes qui ne l'avoient pas été par leurs Auteurs, ou du moins pas affez clairement ou affez exactement; car il arrive quelquefois en ces matières qu'on eft bien sûr de ce qu'on ne pourroit pourtant pas démontrer à la rigueur, & plus fouvent qu'on fe réserve des fecrets, & qu'on fe fait une gloire d'embarraffer ceux qu'il ne faudroit qu'inftruire.

le

Quoique le fuccès des meilleurs Livres de Mathématique foit fort tardif, par petit nombre de Lecteurs, & par la lenteur extrême dont les fuffrages viennent les uns après les autres, on a rendu une affez prompte juftice à l'Analyfe démontrée, parce que tous ceux qui l'ont prise pour guide dans la Géométrie moderne ont fenti qu'ils étoient bien conduits : auffi eft-il établi préfentement, du moins en France, qu'il faut commencer par-là, & marcher par ces routes, quand on veut aller loin; & le P. Reyneau eft devenu le premier Maître, l'Euclide de la haute Géométrie.

Après avoir donné des leçons à ceux qui étoient déja Géomètres jufqu'à un certaint point, il voulut en donner auffi à ceux qui ne l'étoient encore aucunement. Il s'abaiffoit en quelque forte; mais ce qui le dédommageoit bien, il fe rendoit plus généralement utile. Il fit paroître

en

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