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1704, mériteroit une hiftoire particulière. Tous les événemens heureux qui avoient juftifié fes entreprises, ne fuffifoient qu'à peine pour le mettre en droit d'en propofer une fi hardie. Il promettoit, par exemple, qu'une tranchée pafferoit en sûreté au pied d'une montagne d'où l'on étoit vu de la tête jufqu'aux pieds, & d'où huit pièces de canon & une groffe moufqueterie plongeoient de tous côtés; il promettoit que fept canons en feroient taire quarante il fut cru, & remplit toutes fes promeffes. La Ville alloit fe rendre; mais l'arrivée d'une puiffante Flotte Angloife fit lever le Siége. Quant à ce qui regardoit M. Renau Gibraltar, qu'on avoit cru imprenable, étoit pris.

Le Siége de Barcelone, où il ne fe trouva pas, lui fit encore un honneur plus fingulier. Il étoit deftiné à y fuivre le Roi d'Espagne; & en effet il l'accompagna affez loin mais des cabales de Cour l'arrachèrent de-là. On prenoit pour prétexte qu'il étoit néceffaire à Cadix; car on ne lui pouvoit nuire que fous des prétextes honorables. Il étoit fort naturel qu'en quittant la partie, il fouhaitât qu'on s'apperçût de fon abfence devant Barce lone; mais au contraire, il fit tout ce qu'il put pour n'y être pas regretté: il laissa au Tome II.

I

Roi, en présence de fes principaux Miniftres, les vues particulières qu'il avoit pour la conduite de ce Siége, & qu'il croyoit indifpenfables. Cependant c'étoitlà peut-être une vengeance qu'il prenoit de fes ennemis; il tâchoit d'aflurer le bien des affaires qu'ils traversoient.

Il arriva à Cadix, où, felon les magnifiques promeffes de ceux qui l'y faifoient envoyer, il devoit trouver deux cents mille écus de fonds pour les fortifications. Il n'y trouva pas un fol; & il eut recours à un expédient qu'il avoit déja pratiqué en d'autres occafions pareilles : il s'obligea en fon nom à des Négocians pour les affaires publiques, & les foutint tant qu'il eut du bien & du crédit. On peut croire que les Minittres mêmes qui le deffervoient, le connoiffoient aflez bien pour compter fur cette générofité, comme fur un fecours qui ne leur coûteroit rien. Quand il eut achevé de s'épuifer, il fut réduit, après cinq ans de féjour & de travaux continuels en Efpagne, à demander fon congé, faute d'y pouvoir fubfifter plus long-temps. Il vendit tout ce qu'il avoit qu'il avoit pour faire fon voya ge, & arriva en France à Saint - Jean Pied-de-Port avec une feule piftole de refte: retour dont la misère doit donner de la jaloufie à toutes les ames bien faites.

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Il avoit trouvé en Espagne un Gentilhomme du nom d'Elifagaray, qui lui apprit qu'il étoit fon parent, & lui communiqua des titres de famille, dont il n'avoit jamais eu nulle connoiffance. La Maifon d'Elifagaray étoit ancienne dans la Navarre; & il y a apparence que quand Jean d'Albret, Roi de Navarre, fe retira en Béarn, après la perte de fon Royaume, quelqu'un de cette Maifon l'y fuivit ; & de-là étoit defcendu M. Renau. Toutes les actions lui avoient rendu cette généalogie affez inutile.

Il rapportoit aufli d'Efpagne le titre de Lieutenant- Général des Armées du Roi Catholique, qu'il auroit eu plutôt, fi on n'eût pas impofé à Sa Majefté. Malgré les états de la guerre, qui faifoient foi du temps où il avoit été Maréchal de camp en Espagne, on l'avoit fait paffer pour moins ancien qu'il n'étoit, tant on eft hardi dans les Cours; il eft vrai que ces hardieffes y font d'ordinaire impunies & heureufes. Le feu Roi lui avoit promis que fes fervices d'Espagne lui feroient comptés comme rendus en France.

Il fe trouva donc ici accablé de dettes, dans un temps qui ne lui permettoit prefque pas de rien demander de plufieurs années de fes appointemens qui lui étoient

dûs, fans aucun avancement ni aucune grace de la Cour, feulement avec une belle & inutile réputation. Il ramassa comme il put les débris de fa fortune; & enfin la paix yint.

Dès qu'il eut quelque tranquillité, il reprit la question fi long-temps interrompue, de la route du Vaiffeau. M. Huguens étoit mort: mais un autre grand Adversaire lui avoit fuccédé, M. Bernoulli, qui, mieux inftruit par la lecture du Livre de la Manœuvre, avoit changé de fentiment, & en étoit d'autant plus redoutable. De plus, il foutenoit la cause commune de tous les Méchaniciens, dont tous les Ouvrages périffoient par le fondement fi

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M. Renau avoit raifon. Il faifoit même fur la Théorie de la manoeuvre une feconde difficulté, que M. Huguens n'avoit pas apperçue: mais on ne traita que de la première. M. Renau, accoutumé à des fuccès qu'il devoit à l'opiniâtreté de fon courage, ne le fentit point ébranlé dans cette occafion, auffi terrible en fon espèce que toutes celles où il s'étoit jamais expofés il avoit peut-être encore fa petite troupe, mais mal affurée, & qui ne levoit pas trop la tête. La conteftation où il s'engagea par lettres en 1713 avec M. Bernoulli, fut digne de tous deux, & par la force des raifons, & par la politeffe

dont ils les affaisonnèrent. Ceux qui jugeront contre M. Renau, ne laifferont pas d'être furpris des reffources qu'il trouva dans fon génie: il paroît que M. Bernoulli lui-même fe favoit bon gré de fe bien démêler des difficultés où il le jettoit. Enfin, celui-ci voulut terminer tout par fon Traité de la manœuvre des Vaiffeaux, qu'il publia en 1714, & dont nous avons rendu compte dans l'Hiftoire de cette année. La Théorie de M. Bernoulli étoit beaucoup plus compliquée que celle de M. Renau, mais beaucoup moins que le vrai, qui, pris dans toute fon étendue, échapperoit aux plus grands Géomètres. Ils font réduits à l'altérer & à le falfifier. pour le mettre à leur portée. Après l'impreffion de cet Ouvrage, M. Renau ne fe tint point encore pour vaincu ; & s'il avoit cru l'être, il n'auroit pas manqué la gloire de l'avouer.

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Pendant le féjour d'Espagne, il avoit perdu le fil du fervice de France, & une certaine habitude de traiter avec les Miniftres & avec le Roi même, infiniment précieufe aux Courtifans. On devient aifément inconnu à la Cour. Cependant il fe flattoit toujours de la bonté du Roi, & l'état de fa fortune le forçoit à faire auprès de S. M. une démarche très-pénible pour lui, il falloit qu'il lui demandât une

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