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rang. Ce Prince avoit une fille qui eut pû paffer pour la plus belle perfonne de Grenade, fi la Reine Almahide & la Princeffe Félime n'y euffent pas été.

Ce fut à cette Princeffe nommée Almoradine qu'Abdélec donna Dom Alvare,que je n'appelleray plus que Joraé, comme un prefent digne de la main qui l'offroit & de celle qui le recevoit. Les graces dont cet illuftre esclave étoit pourvû le firent regarder d'Almoradine comme le chefd'œuvre de l'Espagne. Quoyque l'efclavage foit le plus grand des malheurs, Joraé trouva quelque temsdes char

mes dans fes fers. La joye d'être dans la même ville que Félime habitoit, & l'efpoir de revoir Zéluma en adouciffoit le poid; mais lorsqu'il fut inftruit des coutumes des Mau

res, il trouva des fujets d'afAliction qui lui firent bien-tôt changer de fentiment. Abdelec & fa fille occupoient le château de l'Abbisain, Almoradine n'en fortoit que pour fe rendre au Palais Royal de l'Alembre, demeure ordinaire des Rois & des Reines de Grenade. Mais comme il étoit

défendu à quelqu'homme que ce fut d'y entrer fans un ordre exprés du Roi, & aux efclaves de s'y montrer fans

leurs Maîtres, & que la Princeffe Almoradine ne s'y faifoit jamais fuivre que de fes femmes, le malheureux Joraé n'efperoit pas y pouvoir aborder.

Le peu de progrés qu'il faifoit dans fes deffeins, & la douleur d'une captivité qui le mettoit hors d'état de fignaler fon courage pour fa patrie, le firent tomber dans un défespoir qui paru bientôt par fa profonde mélancolie. Almoradine s'en apperçut; elle avoit pris une f forte amitié pour lui, qu'aucune de ces actions ne lui étoit indifferente. Cette Princeffe joignoit à une grande.

beauté, & à l'air galant naturel aux Maures, un efpric & une vivacité qui lui faifoient fouvent penetrer les chofes les plus cachées. Elle avoit l'ame grande & genereufe; & fçachant elle-même ce qu'elle valoit, elle ne pouvoit s'imaginer avoir donné fon eftime à un homme d'un merite ordinaire. L'air de grandeur qui paroiffoit dans toute la perfonne de Joraé la confirmoitdans fesfentimens, & comme ce n'étoit pas le premier exemple qu'elle cût vû à Grenade de ces fortes de déguisemens, & que quelques Grands d'Efpagne s'en étoient déja fervis: elle ne

pû s'empêcher de croire la même chofe de Joraé. Cette penfée fit une fi forte impreffion fur fon ame, qu'elle ne voulut rien negliger pour l'éclairciffement de fes foup

çons.

Un jour que cet illuftre captif l'avoit fuivie dans les jardins de l'Albifain, cette Princeffe faifant tomber l'entretien fur les coutumes & les mœurs des Efpagnols, engagea adroitement Dom Alvare à lui parler affez longtems de chofes qui lui paroiffoient indifferentes; mais tout d'un coup regardant Dom Alvare avec des yeux qui cherchoient jufques dans fon

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