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toûjours errans, toûjours à cheval, ou fur des chariots couverts pendant la nuit de quelque legere tente; ne fe chargeant point d'autre équipage que du néceffaire; menant une vie frugale, & fe con-tentant pour leur nourriture des alimens qui fe trouvoient devant eux, ou des fruits des arbres, du lait, du fang, où de la chair de leurs chevaux. Si cette conduite ne leur fourniffoit pas les delices de la vie, elle les exemptoit aufli des foins qui les accompagnent. Ils n'avoient point befoin des meubles qui-enfont la commodité, & l'ornement de nos maifons; couchant dans leurs chariots, ou fur des tapis étendus par terre. Ces mêmes tapis leur fervoient de fiéges & de tables. Quelques cruches, & quelques pots de terre, étoient toute leur batterie de cuîfine. Il est aifé de croire que des gens de cette humeur ne s'appliquoient guere à la lecture, ni à l'écriture. Que fi néanmoins la néceflité les forçoit d'avoir entre eux quelques écrivains, qui puffent dreffer des mémoires & des regiftres de leurs noms, de leurs familles, & de leurs nations de leurs troupeaux, & des noms de leurs demeures, & de leurs pâturages; des

feuilles ou des écorces d'arbres leurs feny voient de papier; la pointe d'un cou ténu, ou d'une fléche, ou une épine dure & pointuë leur fervoit de plume 3 & leur main gauche leur fervoit de table, pour foûtenir l'écriture de la droite. Pour cuire la chair de cheval qu'ils mangeoient dans leurs regales, ils la coupoient par tranches affez minces, qu'ils couchoient entre le dos & la felle de leurs chevaux; la chaleur du corps de l'animal les cuifoit; & ils les affaifonnoient de la fueur qui en dégoutoit. Les Turcs & les Tartares, qui font fortis d'eux, retiennent encore beaucoup de leurs manieres. Le retranchement de toutes ces commoditez que nous recherchons, les endurcit au travail, & les défend du luxe, qui eft la pefte des bonnes mœurs, & des états. Les anciens Perfes l'éprouverent, lorfqu'étant amollis par une grande opulence, & une longue profperité, ils ne purent foûtenir l'effort d'une poignée de Macedoniens, nation pauvre, qui retenoit des mœurs rigi des, & qui étoit, par fa pauvreté, vaillante & belliqueufe. Ce fut ce même luxe, qui ayant relâché le courage & la difcipline des Chinois, les fit fuccomber à l'in

wafion des Tartares qui y regnent au

jourd'hui.

XCIV.

Les Poles font les lieux du monde
les plus éclairez.

C'est un paradoxe, & pourtant une verité conftante, que le Septentrion, qui dans l'Ebreu, le Grec, le Latin & le François, tire fon nom de la noirceur, de l'obfcurité, & des ténebres, cft pourtant le lieu du monde le plus éclairé. J'ai dit dans quelqu'un (1) de mes ouvrages, que les anciens croyoient que le Septentrion étoit couvert d'épaiffes tenebres, que Strabon dit qu' Homere par le mot de doos a entendu le Septentrion; & que l'on fçait que ce terme os fignifie proprement dbfcurité, tenebres. Suivant cette opinion Tibulle, Paneg. ad Meffal. parlant du Sepremtrion, dit: Illic & denfa tellus abfconditur umbra. Les Arabes appellent l'Ocean Septentrional, la mer tenebreufe. Les Latins ont donné le nom d'Aquilo, au vent de Septentrion, parce qu'Aquilus fignifie noir; & les Fran(1) Demonftr. Ev. Prop. IV. cap. 8. §. 14.

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çois l'ont nommé la bife, du mot Fran çois bis, qui fignifie noir.. Les Cimmeriens, felon l'opinion des anciens vivoient dans les tenebres, parce qu'ils étoient placez près du Nord. Et cependant, contre ces préjugez, il n'y a point de lieux au monde qui jouiffent plus long-tems de la lumiere, que le Role Arctique & le Pole Antarctique. Dans la Zone Torride, & principalement fous la Ligne, la nuit fuit immediatement le coucher du Soleil, fans aucun crépuscule fenfible; & les peuples qui y habitent, ont précisément leurs fix mois de jour, & rien davantage. Le crépuscule commence, & va en augmentant, à mesure que les lieux s'éloignent de l'Equateur, & s'approchent du Pole. La raifon s'en trouve dans FOptique, qui enfeigne que les rayons de lumiere tombant obliquement fur un milieu diaphane, fouffrent une réfraction plus ou moins grande, felon le plus ou le moins de l'obliquité de leur incidence. Or les rayons du Soleil tombant perpendiculairement fous la Ligne, il ne s'y fait point de réfraction; & il s'en fait une très-grande fous les Poles, & par conféquent un long crépufcule,

c'eft-à-dire une longue lumiere. J'en fis l'épreuve étant en Suéde, qui eft un pays approchant du Pole; car j'écrivois à minuit fans chandelle, deux heures après le coucher du Soleil. Ces Hollandois, qui en l'année 1596. ayant tenté de paffer au Cathay par le Détroit de Waigats, furent arrêtez (1) par le froid & par les glaces à la Nouvelle Zemble, au 77. degré de latitude, furent fort étonnez, lorfqu'ils virent, que la nuit de trois mois qui leur furvint, commença beaucoup plus tard, & finit beaucoup plûtôt, qu'ils ne l'attendoient, & qu'elle ne devoit commençer & finir felon les regles de l'Aftronomie. A cette longue lumiere il faut encore ajoûter l'Aurore boreale, c'est-à-dire, cette lumiere, égale à celle de la pleine Lu ne, qui paroît pendant les nuits fereines, au commencement de la nouvelle Lune, dans les regions Septentrionales, la Groenlande, l'Iflande, & la Norwege, & qui porte même quelquefois fes rayons bien avant vers le midi. Gaffendi, dans la vie de Peyrefc, liv. 3. & la Peirere, dans fa Relation du Groenlande ent décrit affez exactement ce Phéno

(1) Bergeron, des Navigat. §. 11. p. 64.

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