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les deux voies par lesquelles on prétend conduire la raifon à la vérité : la Synthéfe & l'Analyfe,de laquelle on dit qu'il fut l'inventeur. Ariftote eft bien plus reglé. Il est le premier des Anciens qui nous font connus, qui ait fçû divifer & définir; en quoi confifte tout le fecret de la méthode. Mais quoiqu'il foit le premier auteur de la méthode, on peut dire neanmoins que fa methode manque de méthode & qu'il eft encore bien éloigné de cette exacte & fine précision, où notre fiecle a porté les fpeculations philofophiques. Il eft furprenant que le Philofophe Panatius dans fon Traité des Offices, ait oublié de les définir, comme Ciceron le lui reproche. Mais ce qui eft encore plus furprenant, c'eft que Saint Thomas dans fa Somme de Theologie ne définiffe rien ; & que cet ouvrage qui paroît fi methodique, foit réanmoins fi défectueux en cette partic, qui eft fi effentielle à la méthode. Il faut donner la loüange à Ovide d'avoir propc fé au commencement de fon art d'aimer, & d'avoir fuivi dans cet ouvrage, une divifion fort régulière & fort méthodique.

B

X II.

Défenfe des Anciens contre les Mo

dernes.

C'étoit principalement par cet avantage qui confifte dans la methode, que notre ami M. Perraut devoit élever les Modernes au-deffus des Anciens. Mais il a outré la matiére, & ne fe contentant pas de donner la préférence aux Modernes en toutes chofes, il a encore voulu tourner les Anciens en ridicules. Mais comment a-t'il ofé fe conftituer juge de ce fameux différend, & condamner les Anciens fans les connoître ? N'eft-ce pas juger le procès, una tantun parte audita? Il s'eft condamné luimême, lorfqu'il a dit qu'on peut juger d'un auteur fur la verfion. Qu'on traduife Malherbe en Latin, qu'on traduise Virgile en François, & que M. Perraut cherche dans ces verfions les beautez nompareilles des originaux. Pour bien écrire en une langue, il faut penser en cette langue. Si vous liez des penfées Latines à des expreffions Françoises, vous parlerez en pédant: fi vous penfez en François en vous exprimant en Latin, vous parlerez en écolier. Cha

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que langue a des graces qui lui font propres, & qu'elle n'emprunte, ni ne prête. Les fuperlatifs font très-agréables dans la poëfie latine Volvetque fimillima fomno. Docuit qua maximus Atlas: ils font ridicules dans la Poëfie Françoife. Virgile a dit très-agréablement, Phyllis amat corylos dites en François que Phyllis aime les coudriers, vous ferez rire vos Lecteurs. Quand M. Perraut a lû Homére dans une Traduction Latine, il a trouvé des penfées grecques latinifées par le Traducteur, & il les a exprimées avec un goût & des maximes françoises. Il a fait notre fiécle, notre nation, nos fentimens, nos modes, la regle de toutes les autres : femblable à ces Goitreux des Alpes, qui se mocquoient de ceux qui étoient fans goitres. Les jardins d'Alcinous font ridicules, parce qu'ils ne reffemblent pas à ceux de Verfailles. Pindare eft extravagant, parce qu'un Poëte François feroit extravagant, s'il étoit auffi fublime que Pindare. Que diroit le bon M. Perraut, s'il lifeit le Poëme de Tograï, fi eftimé parmi les Arabes, qu'il trouveroit incomparablement plus

pas

figuré que Pindare? Que diroit-il des auteurs Japonois, qui s'expriment en des termes fi relevez, qu'on a beaucoup de peine à les entendre? Les Pfeaumes même & les Cantiques facrez, combien ont-ils de grandeur, de force, & d'élévation? Tel eft le genie des Orientaux, qui ne fe croiront pas moins bien fondez à donner leur goût pour la régle du bon goût, que M. Perraut à donner le fien. Horace, homme fans doute de bon fens & de bon goût, ne jugeoit ainfi de Pindare: & fi nous oppofons fon jugement à celui de M. Perraut, qui des deux en faudra-t-il croire? Il ne faut donc pas regarder ce mépris de l'antiquité, comme un juge ment légitime prononcé par un juge compétent, en connoiffance de caufe. M. Perraut connoiffoit fon foible, & s'étant acquis du nom dans les Lettres, il lui déplaifoit de fe voir borné à la Litérature moderne, & fe fentant fi éloigné des vaftes & pénibles connoiffances de l'antiquité, il trouvoit qu'il étoit plus court de les décrier que de les acquerir. Il crut fe dédommager de fon défaut par le mépris. Il espéra mettre la Cour dans fon parti, en don

nant à fon ouvrage le titre de Siècle de Louis le Grand, comme voulant intereffer le Roi dans fa caufe. Je lui difois alors que je confeillerois à celui qui entreprendroit de le refuter, d'intituler fa réponse, le Siècle de Jafus-Chrift en faifant voir combien le fiécle d'Au-" gufte a furpaffé le nôtre. M. Ménage voyant ce titre, dit plaifamment, O feclum infipiens & inficetur. Ce mot pi qua M. Perraut, & il ne put s'empêcher de lui en témoigner fon chagrin. Il fe promit d'ailleurs d'avoir les rieurs de fon côté, c'eft-à-dire tous ceux qui fe trouveroient dans le même interêt

,

d'ignorance que lui & qui font le plus grand nombre. Joint l'envie de fe fingularifer par une efpéce de paradoxe, qui ne pouvoit manquer d'avoir du moins l'agrément de la nouveauté.

Mais l'on fuit un peu de plus prês le jugement de M. Perraut, on trouvera qu'il péche dans les principes, en confondant deux questions entiérement différentes. La premiere confifte à favoir qui a eu plus de genie, plus de force, de grandeur, & de pénétration d'efprit, des anciens ou des modernes ? La feconde, qui d'eux a eu plus de favoir & de· connoiffance? B' iij

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