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Le genie vient de la nature; le favoir vient de l'étude& de l'art. Le genie dépend de la conftitution & de la difpofition des corps. La conftitution des corps fuit d'ordinaire celle du territoire, de l'air & des eaux. Les Athéniens dont le territoire étoit fec & pierreux, & l'air fubtil, & les eaux légères,étoient ingenieux. Les Thébains étoient groffiers & lourds, parceque leur terroir étoit gras, leur air & leurs eaux épaiffes. Vervecum in patria,

craffoque fub aëre nati.Quand Homére veut faire connoître la ftupidité de Therfite, il lui donne un corps contrefait, & une tête difforme. Il y a une nation dans l'Amérique, dont toutes les têtes font pointuës & piramidales, & tous les hommes font fous. De plus, il faut demeurer d'accord que les terres nouvellement cultivées, font beaucoup plus vigoureufes, & plus fécondes que des terres laffées & épuifées par une longue culture. On ne voit plus de ces grappes énormes que rapporrerent les efpions de Moyfe de la terre de Chanaan. On ne voit plus de ces plânes qui cachoient une armée fous leur ombre. On a vû des raves & des melons au Perou,

qui faifoient la charge d'une charette. On voit dans ces contrées des arbres d'une grandeur d'émefurée. Le bois du Canada eft impregné d'une fi grande quantité de fel, que les leffives brûlent &ufent tous les linges. Leurs terres vierges(1) rapportent au centuple. Les corps des hommes répondoient à la nature de leur terre. On fait ce que l'Ecriture dit de ces Géans de la Paleftine dont quelques-uns avoient fix doigts à chaque main, & à chaque pied; & ce que rapportent les anciennes hiftoires de ces Géans de Sicile, & de ceux de Theffalie; & celles du nouveau Monde, de ces Géans de la Terre du feu. La force de ces hommes répondoit à leur taille: & la longueur de leur vie répondoit à leur force. Les hommes que les Efpagnols trouvérent dans l'Amérique, vivoient communément deux ou trois cens ans ; cela a été diminué & affoibli par le tems. Les Allemans ne font plus fi grands qu'ils étoient autrefois; & la taille des Gaulois n'excéde pas tant celle des Romains, que du tems de Céfar. Tout cela fuppofé, n'eft-il (1) La Hontan, Mémoir. de l'Amériq. Lettr. 2. Tom. 1. p. 10.

pas aifé de comprendre que dans les premiers tems que la Gréce & l'Italie furent défrichées; ces terres toutes neu ves, qui avoient encore tout leur fel, toute leur féve, & toute leur vigueur; couvertes d'un air pur, entier & fans mélange, produifoient des hommes d'une nature plus forte, des corps plus robuftes, mieux compofez, mieux tempe rez, plus animez, plus pleins d'efprits, des têtes mieux difpofées, mieux pro. portionnées, pleines de cerveaux d'une meilleure trempe, compofez de fibres plus fubtiles, plus nombreuses, & mieux tenduës? Mais le tems a changé ces heu reux tempéramens. Les tréfors de la nature ne font plus dans cette premiére abondance. Les corps humains fe fentent de cet épuifement. On en peut juger par leur diminution, & par la briéveté de leur vie. Le fuc vital & vegetal s'épuife de jour en jour. On remarque, dit Pline liv. 7. ch. 16. que la taille des hom mes diminuë de jour en jour, & que peu d'enfans furpaffent la hauteur de leurs peres; la fertilité des femences fe confumant, & fe brûlant. Les proportions même font différentes de ce qu'elles étoient. La longueur du pied de l'hom

me n'eft plus la fixième partie de fa hauteur, comme elle étoit du tems de Vitruve; à peine en eft-elle présentement la feptième partie. Peut-on douter que la nature des efprits n'ait fuivi celle des corps? Cela paroîtra fi croyable à quiconque raifonnera conféquemment,qu'on s'étonnera que l'opinion contraire ait trouvé des partifans. Il faut donc néceffairement conclure que les genies de cer heureux tems, qui étoit la jeunesse du monde, étoient fupérieurs aux nôtres.

La feconde queftion eft de favoir fi les Modernes furpaffent les Anciens dans les fciences acquifes. Il eft certain, à tout prendre, que l'avantage en cela eft du côté des Modernes : mais il faut avouer aufli qu'ils doivent aux Anciens prefque tout cet avantage. Nous joüiffons de leur travail, & de cette riche fucceffion qu'ils nous ont amaffée, & à laquelle nous n'avons fait qu'ajoûter peu de chofe. Le Pigmée monté fur la fête du Géant void plus loin que le Géant; mais c'eft la grandeur du Géant qui le fait voir fi loin. Le Laboureur qui travaille dans fon champ depuis le matin jufqu'au foir à couper & amaffer fon bled, a bien plus de vigueur au ma

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tin pour travailler, que le foir, lorfque fa force eft prefque épuifée. Il amaffe pourtant bien plus de bled le foir que le matin; mais la force du matin a bien plus contribué à cet amas que celle du foir. La loüange de ce fiécle eft donc la louange de l'antiquité. Car ce que nous estimons dans ce fiécle, c'eft ce que les Anciens nous ont appris, & nous ont laiffé: & nous n'avons point d'autre part à cette loüange, que celle de l'ajufte-ment, de l'arrangement, de l'orne ment, & de l'augmentation. Ce feroit donc une grande ingratitude à notre fiécle, fi ayant profité des découvertes & de l'exemple des Anciens, il vouloit s'en faire honneur, & les méconnoître. De dire que les Anciens n'ont fur nous que l'avantage d'être venus les premiers; que ce qu'ils ont trouvé, nous l'euflions trouvé comme eux, c'eft fe vanter à crédit ; & par une telle jactance il n'y a point d'invention, ni de découverte, dont je ne puiffe m'attribuer la gloire.. Je trouve encore un autre défaut effentiel dans l'entreprise de M. Perraut. Lorfqu'il a fait la comparaifon des Anciens & des Modernes, il a dû fixer les bornes de l'Antiquité & de la Nou

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