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partit pour la Bretagne, & Ma dame de Rofoi pour les Ter

res,

Vous ne ferez pas furpris, mon cher Raoul, quand je vous dirai que tout m'ennuioit, qu'une trifteffe mortelle me fuivoit en tous lieux. Le fejour même de la Cour m'étoit infuppottable; j'y voïois tous les jours des perfonnes, dont la préfence me rappelloit fans ceffe le malheur de la Comteffe de Dammartin & le mien. Mon pere étudioit tous mes mouvemens avec inquiétu de; je voulois en vain les lui cacher, un mot, un regard les lui découvroient; enfin, il me tint un jour ce difcours;

La Cour de France vous four nit assez d'Objets différens & dignes de votre attention, pour vous diftraire de votre douleur, fices Objets avoient pour vous

la grace de la nouveauté : mais mon fils, la Cour est à votre égard, comme une famille dans le fein de laquelle vous avez été élevé, qui vous eft chere, & qui cependant vous ennuie. Il faut chercher des Païs, des Objets, des mœurs & des ufages différens des nôtres. La nouveauté pique la curiofité, la curiofité donne occafion de s'inftruire: on veut fçavoir ce que l'on ignore; ce défir donne à notre ame un mouvement, ou plûtôt il est- lui-même un mouvement propre à effacer des idées contraires à notre repos, & dont on ne fçauroit trop tôt fe défaire. Allez mon fils, allez parcourir l'Italie; elle eft un Theatre digne de votre attention. L'envie de connoître ce qui vous cft étranger, d'en faire la comparaifon avec ce qui vous eft familier, de cher

PHILIPPE - AUGUSTE. 327 cher pourquoi tous les hommes, dont le cœur eft le même, n'ont pas les mêmes préjugez, vous donnera occafion de réfléchir & vos réflexions feront au profit de votre efprit & de votre rai fón. La folidité du difcours de mon pere me détermina moins à lui obeir, que l'efpoir d'obtenir quelques fecours contre ma douleur, par l'éloignement des lieux où tout me rappelloit des idées que j'aurois bien voulu effacer, Je partis, & mon père, qui brû loit d'impatience d'être à Rethel, en reprit la route au moment que je pris celle de l'Italie,

Me voilà en Italie : j'y voïois de belles chofes, fans les chercher avec cet empreffement que mon pere avoit attendu de moi. J'avoue pourtant qu'il étoit des inf tans de relâche à ma trifteffe: la variété des Objets, les refpecta

bles monumens de l'Antiquité, le nombre d'illuftres Etrangers, leur attention à réfléchir & à raifonner fur ce qu'ils voïoient, m'occupoient quelquefois affez pour que je fentifle moins un malheur, dont le fouvenir me fuivoit par-tout.

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J'avois erré près d'un an; j'étois à Venife, d'où j'avois écrit au Vicomte de Melun & à mon pere, lorfque je vis arriver un Courier qui merendit une Lettre. Je l'ouvris avec précipitation: quelle fut ma furprise, mon trouble, ma joie! C'étoit une Lettre du Vicomte. Ah! mon cher Raoul; il m'apprenoit que la Comteffe de Dammartin étoit maîtreffe de fa destinée, tant par la mort de fa mere, que par celle du Comte de Dammartin; il a joutoit, qu'il croioit devoir m'avertir de deux événemens G

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peu attendus, & finiffoit en ces termes. J'ai recommandé au Courier que je vous envoie, de faire toute diligence; il m'aura obéï : je crois cependant que celui que vous chargerez de votre réponse, en fera encore une plus grande. Enfin, mon cher Roger, s'écria Raoul, je puis reprendre haleine; je refpire. Quel ferrement de cœur le récit de vos malheurs ne m'a-t'il pas caufe jufqu'à ce moment! Je ne me fuis jamais fenti fi touché. Je n'ai jamais vû la Comteffe de Dammartin; lorfque je revins du Camp de Bourgogne, Madame de Rofoi ne parut point à la Cour, pendant les dix ou douze jours que j'y reftai. Je n'ai donc pû voir fa fille; mais vous me l'avez fait connoître, mon cher Roger, par des endroits qui me l'ont renduë refpectable. Je l'eftime, je l'aime: Ee

Tome I.

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