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faire, & vous allez convenir que ma trifteffe n'est que trop bien fondée. Vous me pardonnerez le miftére que je vous ai fait jusqu'à ce jour, de ma cruelle fituation, quand vous fçaurez les raifons du filence auquel je m'étois condamné, malgré l'envie & le befoin que j'avois de dépofer mes chagrins dans le fein d'un Ami tendre & éclairé ; mais, mon cher Raoul, le tumulte d'un Camp n'eft pas propre à un tel récit; il demande de la tranqui lité. Eloignons-nous. Alors le Comte de Rethel & le Sire de Couci monterent à cheval pour gagner un petit Bois, à une demie lieue du Camp: ils s'y enfoncerent; & quand ils furent dans un endroit où ils crurent qu'ils ne feroient point interrompus, Roger commença ainfi :: La Paix avec le Comte de

Flandres fuivit de près la mort de mon oncle. A peine le Roi fut-il de retour à Paris, que mon pere me rappella auprès de lui: mais je ne vous ai jamais dit les raifons qu'il en avoit. Le plaifir que je devois fentir de voir un pere, dont à peine je confervois l'idée des traits, fut prefque étouffé par le chagrin que j'eus de m'éloigner de la Cour. J'obéis cependant, fans montrer la moindre répugnance: mon refpect pour celui à qui je devois le jour m'en auroit fait un crime. J'arrive à Rethel ; j'eus la fatisfaction fecrete, malgré la retenuë de mon pere, de m'appercevoir que je lui laiffois peu de chofes à defirer; mais un jugement dicté par la nature, & l'amour paternel, fi aisé à séduire par les apparences, n'étoient pas capables de m'aveugler affez, pour être

auffi content de moi-même que mon pere le paroiffoit. Il avoit fouvent de longues converfations avec moi; la Cour en étoit le fujet. Quelles qualitez, mon fils, me difoit-il un jour, croïez-vous les plus propres pour réuffir à la Cour? J'y vois, lui répondis-je, des gens, d'un caractere bien oppose, arriver au but que leur ambition leur a marqué. Mais, reprit mon pere, quel eft celui que vous voudriez avoir ? Celui d'Enguerrand de Couci, lui disje fans balancer. Eh bien me repartit-il, prenez-le pour modéle, il eft bon. Cependant, ajouta-t-il, faites-moi connoître les Courtifans, peignez-les moi chacun en particulier, & tels que vous les croiez, Je lui dis ce que je penfois des différens caracteres des uns & des autres. Je blâmois celui qui immoloit à la

faveur, une droiture, qui n'eft pás toujours un écueil, quand un grand génie la foutient : j'en donnois pour exemple, Robert Clément du Mez, le refpectable Abbé Suger, & Enguerrand de Couci. Mon pere paroiffoit fatisfait; mes idées fe trouvoient fouvent conformes aux fiennes. Vous fçavez que depuis bien des années, il s'eft banni volontairement d'un séjour qui lui convenoit peu. La petiteffe des plus grands Seigneurs auprès de leur Souverain, l'avoit choqué: fon -amour propre s'en étoit révolté, & lui avoit fait prendre le parti de la retraite ; mais il connoiffoit à merveille ce païs de politique, de rufes, d'élévation & de renverfement de fortune, où celui qui croit en connoître le mieux les détours, doit toujours craindre de s'égarer. Le commerce

qu'il avoit entretenu avec mon oncle, qui m'avoit prefque arra ché de fes bras pour fe charger du foin de mon éducation, & pour me mener à la Cour, le mettoit en état de juger fi j'avois pris des idées justes de la fituation où elle étoit alors. Et de votre Roi, me dit-il un jour, qu'en pensez-vous? Je lui dis tout ce que vous fçavez comme moi, mon cher Raoul; je lui vantai cet heureux naturel qui a fçû l'affranchir de l'ivresse trop dangereufe de la jeuneffe, pour le faire homme dès fon adolef cence: j'ajoutai qu'il étoit fage, prudent, modéré dans fes plaifirs; difcret, toujours maître de lui; humain, affable fans rien perdre de cette dignité majef tueufe qui le fait aimer & ref pecter en même-tems; qu'enfin je l'admirois en tout, & qu'ajant

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