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quelques années plus que ce Prince, j'avois fouvent rougi d'être fi imparfait, aïant toujours eu devant les yeux un fi parfait modéle.

Dans toutes ces converfations, & même dans les actions les plus indifférentes, je voïois mon pere m'étudier & m'examiner. Le caractére de droiture & de vérité qu'il me trouvoit, le charmoit: il avoit craint que ces qualitez fi effentielles n'euffent été les victimes des premieres impreffions que j'avois prifes à la Cour. Séduit en ma faveur, par la tendresse qu'il a pour moi il me dit un jour : Mon fils, que vous me donnez de fatisfaction! Je vous trouve auffi honnête-homme, que fi vous aviez été élevé dans mon fein. Mon frere n'a point trahi ma confiance, ni démenti la haute opinion

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opinion que j'ai toujours euë de fon efprit & de fa vertu ; l'air de la Cour n'a point empoisonné votre ame. Mon fils, ajoutat-il, n'en foïez pas plus préfomptueux; ne montrez jamais ni mépris pour ceux qui vous fe ront inférieurs, ou en naiffance, ou en mérite; ni orgüeil, de ce que la nature a bien voulu vous favorifer que les hommes foient forcez, par vos actions, de convenir que vous avez de la vertu; mais foïez toujours modefte; ne vous applaudiffez jamais de ce que vous ferez de bien qu'en défirant de faire mieux; encore faut-il que ce mouve ment foit intérieur. Ces mêmes hommes, qui ne fçauroient vous refufer leurs fuffrages, quand vous ne paroîtrez pas les mendier, fe révolteroient, fi vous étiez capable d'oftentation; ils

Tome I.

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la regarderoient comme un reproche de ne pas valoir autant que vous; & de l'objet de leur eftime, vous deviendriez celui de leur haine.

Peut-être, mon cher Raoul vous ennuié-je en vous rapportant toutes ces converfations; mais le plaifir qu'elles m'ont fait dans le tems, & celui qu'elles me font encore, en me les rappellant, ne me permettent pasde les fupprimer. J'en ferois bien fâché, dit Raoul; de pareils difcours renferment trop de fageffe, & des leçons trop utiles pour ne pas être charmé de les enten-' dre. O le digne pere, mon cher Roger; quel aimable caractére! La vertu eft une; mais il eft des hommes vertueux qui n'infpirent pour elle qu'une forte de respect, fans faire fentir aux autres un reproche intérieur, fi

capable de les corriger de leurs vices. Il en eft d'autres, qui la rendent fi aimable, & qui lá font paroître d'un ufage fi fa+ cile, qu'ils la font aimer; alors elle devient fi puiffante, qu'il faut néceffairement qu'elle excite ou l'émulation, ou le reproche honteux de refter vicieux. Mais ce que je dis, ne vaut pas ce que vous avez à m'apprendre. Reprenez donc mon cher Roger, & foiez sûr que je vous écouterai avec au tant de plaifir, que d'attention. Roger reprit ainfi :

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Pendant quelques jours, mon pere, plein du même efprit de curiofité, & pour m'approfondir encore faifoit rouler nos converfations fur toute forte de matieres, & fouvent, fur les différens événemens arrivez depuis que Philippe étoit monté

fur le Trône. Sur tout, il voulut que je l'inftruififfe du caractére, des manœuvres, de la dif grace & de la retraite du Comte de Flandres, & que je lui fiffe le détail de la Guerre que ce Prince audacieux avoit ofe faire au Roi. Je veux auffi, dit Raoul, en interrompant Roger, que vous aïez pour moi la même complaifance: vous fçavez que j'étois en Ecoffe (4) à la mort de Louis le Jeune; les trois années que j'y ai refté, m'ont laiffé ignorer tout ce qui s'eft paffé; & perfonne encore, depuis mon retour, ne m'en a fidélement inftruit je vous en demande donc, en peu de mots, un récit exact. Je fçai la part que vous

(a) Enguerrand, pere de Raoul, avoit époufé une fille du Roi d'Ecoffe. La Maison de Couci avoit des alliances avec la France, la Savoie & la Lorraine.

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