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fulte en rigueur que 1512 toises, ce qui ne fuffit pas certainement à ce qu'il est d'usage parmi nous d'appeller une Lieue.

On eftime communément les Lieues de France fur le pied de 25 au degré, fans qu'on foit informé de ce qui peut fervir de fondement à cette mefure des lieues. Il faut remarquer, que par cette évaluation de 25 au degré, elles doublent précifément la Lieue gauloife, puifque 50 lieues gauloifes conviennent à l'efpace d'un degré. Or, nous apprenons de S. Jérôme, que les peuples de la Germanie fe fervoient d'une mefure itinéraire appellée Rafta: & felon un traité des Mefures, publié par Rigaut, duæ Leuca, five Milliarii tres, apud Germanos unam Rastam efficiunt. J'ai rapporté dans un autre ouvrage divers autres témoignages d'une même définition. Raft eft un terme qui fubfifte dans la langue Tudefque, pour signifier proprement repos, & il peut avoir été employé pour défigner une pofe, & le but d'une traite en cheminant. Or, rien de plus naturel, que la nation Françoife fortie de la Germanie, & en établiffant la domination dans la Gaule, y ait introduit la mefure qui lui étoit propre. Si le terme de Leuva a pris la place de celui de Rafta, c'est que l'ufage de la Lieue proprement dite ou gauloife, n'a pas ceffé fubitement, & que je l'ai vue fe foutenir en quelques cantons de la France dans les neuf, dix, & onzième fiècles, Pour être con

vaincu que le mot appellatif ne tire point à conféquence, il fuffit de confidérer combien peu le terme de Mille convient à ce qu'on appelle communément Mille d'Alemagne.

En voulant donc connoître quelque rapport entre la Lieue actuelle & l'ancienne Lieue gauloife, il falloit le chercher dans la Rafte germanique, doubler la mesure première de Lieue, & tripler celle du Mille romain. Il en résultoit rigoureusement parlant 2268 toifes. Mais, comme le Pied françois eft plus grand que le Pied romain, & que l'on peut vouloir que la Lieue françoise foit remplie de 3000 pas géométriques fur la mesure du Pied actuel; en ce cas, une définition stricte & mathématique de cette Lieue la fixe à 2500 toises de compte rond. Quant à l'eftime que l'on fait des lieues dans quelques provinces du royaume, & particulièrement dans celles du midi, le terme le plus commun d'étendue auquel il paroiffe convenable de s'arrêter, autant que j'ai pu le conclure, en faifant ces lieues plus grandes que ne font les autres, c'eft de les comparer à quatre milles romains, en enchérissant d'un tiers en fus, fur ce qui compofe la mesure de Rafte qui eft propre à notre nation. Quelques articles de détail dans cet ouvrage fourniront des exemples d'une évaluation de lieue qui répond à quatre milles.

Ce que j'ai rapporté précédemment de l'em

C

Lib. XI.

ploi de la Lieue gauloife dans la Gaule, féparément de la province qui avoit la première obéi aux Romains, eft attesté d'une manière claire & diftincte par un paffage d'Ammien - Marcellin. En parlant de la jonction du Rhône & de la Saône, qu'il appelle exordium Galliarum, & qui l'est en effet à l'égard de cette province, il ajoute : exindè non millenis paffibus, fed Leucis, itinera metiuntur. C'est par-là qu'on explique la Table Théodofienne, qui dans un ordre contraire, & après avoir traversé la Gaule jufqu'au point d'arriver à Lion, Lugduno, caput Galliarum, ajoute: ufque hîc Legas (ou Leugas. ) Ces témoignages qui pourroient ne concerner étroitement que les provinces Lionoifes, font confirmées à l'égard des provinces Aquitaniques par l'Itinéraire de Jérufalem, où entre Bourdeaux & Toulouse les diftances font formellement qualifiées LEVG. à la diftinction de celles qui en passant dans la Province romaine prennent la qualification de MIL. Des infcriptions de colomnes milliaires, dont le numero eft précédé d'une ou de plufieurs lettres qui défignent la Lieue, font bien une preuve pofitive de cette mesure fur les voies auxquelles tenoient ces colomnes. Mais, comme on ne connoît guère de loi fi générale qu'elle n'ait fouffert quelque exception, il faut convenir que dans la province qui a été appellée Maxima Sequanorum, des colomnes milliaires fur plufieurs voies fe rap

portent à des Milles, & non pas à des Lieues : & ce qui me furprend moins à cet égard dans les environs d'Aventicum & d'Equeftris chez les Helveti, c'est de confidérer que ces villes étoient colonies romaines. Il y a un autre canton à l'extrémité la plus reculée vers le nord dans la Gaule, qui est la Batavie, où l'application des diftances au local actuel m'a fait connoître avec évidence, que c'est la mesure du Mille, non celle de la Lieue, qui peut y convenir. Cette Lieue n'appartenoit point aux Batavi, portion transplantée de la nation Germanique des Cattes comme elle appartenoit aux nations Celtiques. On pourroit même foupçonner, que dans l'établiffement d'une chaîne de places le long du Rhin, & dont une longue voie militaire faisoit la communication, les Romains dans le compte des distances y auroient employé le Mille qui leur étoit propre, préférablement à la Lieue. Mais, cette conjecture ne feroit point favorisée par l'indication de ces diftances, felon qu'elle exifte dans les Itinéraires.

Par le numéro des colomnes milliaires, & même par la position de quelques lieux, qui ont tiré leur dénomination de l'éloignement, foit en milles, foit en lieues gauloifes, où ils fe font rencontrés à l'égard d'une ville principale ; on voit que les diftances fe comptoient en partant des villes qui dominoient fur un territoire. Il

s'enfuit de-là, que chaque cité ou peuple de la Gaule ayant fon diftrict ou domaine particulier, fe faifoit dans l'étendue de ce district des routes convenables à fa fituation. Les communications établies entre un auffi grand nombre de cités que la Gaule en contenoit, avoient ainfi multiplié les grandes voies, & il s'en faut beaucoup que la trace de toutes ces voies fe retrouve dans les anciens Itinéraires. Des interruptions de routes que la carte de la Gaule peut faire remarquer, lorfqu'il y a lieu de croire qu'elles avoient une continuation qui rempliffoit ces vuides, & qui faisoit qu'une trace de route qui femble être détournée fur la carte, aboutiffoit à un terme d'alignement plus direct & fuivi, procédent de ce défaut d'une connoiffance complette des grandes voies, dont la Gaule étoit également traverfée dans toutes fes parties.

Il m'étoit indifpenfable, en parlant des Itinéraires comme des monumens qui fournissent le plus de détail fur la Gaule, de bien distinguer les mefures qui y font employées, & d'en faire une jufte analyse. Je me fuis fait un devoir spécial de fuivre ces Itinéraires dans toutes les routes qu'ils décrivent. Un goût particulier pour la recherche des circonftances du local, m'a fervi de guide dans cette efpece de Labyrinthe. Des fçavans remplis d'une érudition qui semble leur être réfervée, n'ont pas toujours eu le compas à la main,

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