& fi touchant que fes plaintes. L'Anglois & leFrançois,quoique leurs goût foit fort éloigné de toutes chofes furnaturelles fondéesfur l'enchantement, doivent loüer celui d'Armide, puifqu'il eft la fource de tant de beautez. D'ailleurs Armide eft Mahometane, & la Religion Chrétienne nous permet de croire que les infideles font fous l'influence immediate du Diable. Mais il n'y a en verité qu'un Italien qui puiffe fupporter l'excès bizarre auquel le Taffe a porté ce merveilleux. Dix Prin ces Chrétiens metamorphofez en poiffons, dans les baffins d'Armide, & un Perroquet chan tant des chanfons galantes de fa propre compofition, font des chofes bien étranges aux yeux d'un lecteur fenfé, quoique nous foyons prevenus par l'hiftoire de Circé dans l'Odyffée, & quoique nous voyons tous les jours les perroquets imiter la voix humaine. Nous devons néanmoins par'donner ces extravagances Poëtiques, en faveur des beautez qui les accompagnent. Que les diables, puifqu'ils font admis, ayent une liberté entiere pour jouer tous leurs tours, furtout en Italie, où la fuperftition du peuple donne du credit à des contes qui ne font pas moins étranges. Mais on ne comprend pas comment des perfonnes de bon fens peuvent approuver un Magicien Chrétien qui tire Renaud des mains des forciers Mahometans. On voit avec furprise dans le Taffe, la Meffe, la Confeffion, les Lita hies des Saints & des morceaux de Sorcellerie: le tout confondu enfemble. Quelle fantaisie étrange, d'envoyer Ubalde & fon compagnon à un vieux & faint Conjurateur, qui les conduit juf qu'au centre de la terre! Les deux Chevaliers fe promenent là fur le bord d'un ruiffeau rempli de pierres précieufes de tout genre.De ce lieu on les envoye à Afcalon, vers une vieille femme qui les tranfporte auffi-tôt dans unpetit bateau auxIfles Canaries; ils y arrivent fous la protection de Dieu,tenant dans leurs mains une baguette magique: ils s'aquittent de leur ambaffade & ramenent au camp des Chrétiens, le brave Renaud, dont toute l'armée avoit grand befoin. Mais quel étoit ce grand exploit qui étoit réfervé à Renaud? Conduit par l'enchante ment depuis le Pic de Tenerif jufqu'à Jerufalem, la providence l'avoit deftiné pour abattre quelques vieux arbres dans une forêt infeftée de Lutins. Cette forêt eft le grand merveilleux du Poëme. Dans les premiers chants Dieu ordonne à l'Archange Michel de précipiter dans l'enferles Diables répandus dans l'air, qui excitoient des tempêtes & qui tournoient fon tonnerre contre les Chrétiens,en faveur des Mahometans. Michel leur deffend abfolument de fe mêler déformais des affaires des Chretiens. Ils obéiffent auffi-tôt, & fe plongent dans l'abîme.Mais bien-tôt après, le Magicien Ifmmeno les en fait fortir. Ils trouvent alors les moyens d'éluder les ordres de Dieu, & fous le prétexte de quelques diftinctions fophiftifques, ils prennent poffeffion de la foreft,où les Chrétiens fe préparoient à couper le bois néceffaire pour la charpente d'une tour. Les diables prennent une infinité de differentes formes, pour épouvanter ceux qui coupent les arbres. Tancrede y trouve fa Clorinde enfermée dans un Pin, & bleffée du coup qu'il a donné au tronc de cet arbre. Armide regarde de dedans un mirthe, tandis qu'elle eft à plufieurs milles de là, dans l'armée d'Egypte, fans qu'on voye qu'elle puiffe avoir la faculté d'être dans deux lieux differens à la fois, bien qu'elle foit la plus habile Magicienne |