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nous fommes bornez à un efpace étroit, dans lequel nous ne pouvons marcher que d'un pás timide & avec une extrême circonspection.

C'eft à certe heureuse liberté dont jouit la Nation Angloife,que font dûës plufieurs excellentes traductions en vers des anciens Poëtes, au lieu que les: François n'ont pû que traduire en profe Virgile, Homere,Lucrece, Ovide, &c.

M. de la Motte de l'Academie Françoise eft le feul homme de merite & de reputation qui ait effayé de mettre l'Iliade en vers. Mais il a été obligé de réduire les 24 livres d'Homere à 12 où même il n'y a pas plus de vers que dansquatre du Poëme Grec. Son Iliade n'eft qu'un abregé de l'original encore l'a-t-on

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trouvée trop longue.

Après tout, fi l'esclavage & la timidité de la langue Françoise, la rendent inhabile à la traduction d'Homere & de Virgile, je ne comprens pas pourquoi cela empêcheroit la nation de tirer de fon propre fond, un Poëme Epique.

Je crois qu'un Poëme peut fort bien fe paffer des descriptions méchaniques, ou anatomiques. Nous voulons qu'un Auteur remûe nos paffions qu'il développe les replis de l'ame, qu'il décrive les usages divers des peuples qu'il exprime les differentes maximes que la difference des gouvernemens produit dans le caractere des hommes: en un mot qu'il parle la langue du monde poli & fpirituel. Nous le difpenfons vo

lontiers de faire le Chirurgien, le Menuifier, le Charpentier, quand même il s'exprimeroit élegamment par rapport à tous ces Arts.

Le Cardinal de Rets & le Com-. te de Clarendon dans leurs Mémoires remontent à la fource des guerres civiles, & font des por traits finis de ceux dont l'ambition fut fatale à la France & à l'Angleterre. Mais ces deux grands écrivains ne s'amufent point àdécrire exactement comment un tel Officier fut bleffé au travers de la veffie, & un autre dans le rognon: ils ne perdent point leur tems à décrire élegamment de quel bois étoient conftruits les bancs de la chambre du Parlement.

Pourquoi donc un Poëte Epique feroit-il dans la neceffité de

s'occuper de minuties, dont un noble Hiftorien auroit honte? Quelques-uns attribuënt la 'difette où nous fommes des Poëmes Epiques à la gêne de la rime. Ils foutiennent que ces fens periodiques & reglez, placez conftamment avec la même mefure & les mêmes poses, fans aucune varieté, fatiguent l'oreille., & produisent une uniformité infupportable. Ils difent encore que cette tyrannie de la rime abat le génie, & qu'un Poëte au lieu d'employer la rime comme un ornement utile. au fens, affervit fes propres penfées au joug de la rime, & ne penfe que par elle & pour elle.

Ils ajoutent que la rime eft une invention gothique & barbare, née de la pefante imagination des Moines, & ils pré

tendent que de fi mauvais materiaux ne peuvent fervir à la conftruction d'un bel édifice.

J'avoue que nous fommes efclaves de la rime en France, & que c'eft un esclavage dont nous ne pouvons nous affranchir. Nos Tragedies doivent abfolument être rimées. Si nous n'avions point de rime, notre Poësie afsujettie à des regles féveres, qui ne permettent ni inversion ni enjambement,n'auroit que la pompe du ftile pour fe diftinguet de la profe. Notre Langue n'a pas les mêmes reffources que les autres Langues ont dans leurs vers non-rimez. Pour nous,il faut neceffairement

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que nous rimions & quiconque entreprendra de fe délivrer d'un fardeau que Corneille, Racine & Boileau ont foutenu avec

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