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majefté & le feu de fes expreffions les changent fouvent en beautez.

..

Mais ce qui cause principalement cette langueur qui gagne l'efprit de la plupart des lecteurs, malgré les beaux endroits qu'ils y peuvent admirer, eft qu'Homere ne nous intereffe pour aucun de fes Héros. Achille eft trop violent pour nous infpirer un tendre interêt pour lui, & quand même fa fierté & fa valeur s'attireroient de notre part cette favorable difpofition que produit d'ordinaire l'idée d'un grand courage, fa longue oifiveté feroit évanouir cette idée : Le lecteur le laiffe là à l'imitation du Poëte,

Menelas, qui eft le veritable auteur de la guerre & auquel

on devroit principalement s'intereffer, n'eft pas affurement un caractere fort brillant; celui de Paris fon rival, eft méprifa. ble; Menelas n'eft dans le Poëme que le frere d'Agamemnon, & Paris que le frere d'Hector. Agamemnon le Roi des Rois nous bleffe par fon orgeüil, fans nous donner une haute idée de fa conduite. Je ne fçai comment cela fe fait, mais on n'aime point le fage Ulyffe; la belle Hélene, cause de tant de défordres & de malheurs, eft un per fonnage infipide; on se soucie peu de quel côté elle reftera; elle paroît elle-même indifferente à l'égard de fes deux maris, & ne pancher ni pour l'un ni pour l'autre.

Lorfque deux guerriers combattent dans l'Iliade, nous fom

mes frappez par la defcription du combat, & fouvent même nous nous fentons faifis de la même fureur qui les anime; mais nous ne craignons ni n'efperons pour aucun d'eux & en cela nous reffemblons à Junon dans l'Eneide,

Tros Rutulufye fuat nullo difcrimine ha→ bebo.

Qu'il foit Troyen ou Rutule je n'en ferai aucune difference.

Nous plaignons, il eft vrai, les malheurs de Priam, & il paroît meriter les larmes que nous répandons pour lui. Cependant Homere devoit nous intereffer les Grecs durant tout fon Poëme, puifqu'il a prétendu les célébrer & que ce font fes Heros. Obfervons en mêmetems que fi nous nous interreffons pour Priam à la fin du Poë

pour

me, il nous eft très indifferent dans tout le cours de l'action. De tous les guerriers de l'Iliade c'eft le brave, le tendre, le pieux Hector, qui merite le plus notre affection. Il a le meilleur caractere, quoiqu'il défende la mauvaise caufe, & il eft trahi par les Dieux, quoiqu'il foit le plus vertueux. Mais l'interêt que nous prenons à ce qui le touche s'évanouit dans la foule de tant de Héros ; notre attention partagée diminue,comme une riviere divifée en plufieurs bras ne forme que plufieurs ruiffeaux Ainfi l'imagination du Lecteur eft fouvent pleine d'idées grandes & nobles, pendant que les affections de l'ame font oifives. Il reft donc point étonnant que les mouvemens du cœur ne fui

vent point ceux de l'imagination, & que nous nous trouvions tout à la fois remplis d'admiration & d'ennui.

Si toutes ces raisons font contestées (car quelle pensée de notre esprit eft à couvert de la contradiction?) j'ajouterai une autre réflexion fur un point de fait, hors de toute difpute. Plufieurs livres de l'Iliade font indépendans les uns des autres; ils n'ont aucune liaison, aucune fuite néceffaire; on les peut tranfpofer, fans que l'action en foit alterée. C'eft peut être ce qui les a fait appeller Rapfodies; je, laiffe au lecteur à juger fi un tel ouvrage, quelque bien écrit qu'il foit, peut nous intereffer.

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