Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fe fit ouvrir les veines dans un bain chaud. Il mourut avec une tranquillité qui dans ces derniers momens marque la vraie grandeur d'ame.

Il ne fut pas le premier qui choisit une hiftoire récente pour le fujet d'un Poëme Epique. Varius avant lui avoit executé avec fuccès cette dangereufe entreprife. La proximité des tems & la notorieté des faits étoient certainement un grand obftacle à l'invention Poëtique; d'ailleurs plus le fujet eft grand, plus les difficultez font confiderables. Cefar & Pompée étoient fans doute des hommes d'une autre importance qu'Achille & qu'Enée. Les combats devant les murs de Troie,&dans les champs de Lavinie n'étoient que des jeux puerils en comparaison des

guerres civiles des Romains, & de la bataille de Pharfale, où les deux hommes les plus puif. fans & les plus grands de la terre combattirent pour la Monarchie univerfelle.

Lucain pouvoit à peine laisfer prendre l'effor à fon imagination fur un fujet fi connu, & avec une extrême difficulté atteindre à sa vraie grandeur.Auffi fon Poëme eft-il fec & ennuïeux, parce qu'il n'ofe s'écarter de l'histoire. Il fe perd dans la nuë lorfqu'il s'efforce de s'élever & de conformer fon ftile à la grandeur des actions de fes Heros.

Ainfi Enée & Achille, qui par eux-mêmes étoient des perfonnages peu importans, paroiffent toûjours grands dans Homere & dans Virgile, pendant que Cefar & Pompée paroiffent

comme abîmez dans l'enffure de Lucain. Faut-il que les portraits de ces Héros étant peints avec des traits fi fiers & fi hardis, leurs actions nous touchent fi peu? Rien n'eft plus beau que les caracteres de Cefar, de Pompée & de Caton ; mais rien n'eft plus languiffant que les rolles qu'ils jouent ; le Poëte, malgré toute la force de fon pinceau, malgré la grandeur de fon génie, la délicateffe de fon efprit & la fineffe de fes idées politiques, n'eft pourtant qu'un Gazetier déclamateur: fublime quelquefois, toûjours défectueux.

Il eft digne d'éloge pour avoir écarté les divinitez, comme Homere & Virgile méritent des louanges pour en avoir fait ufage. Les Fables convenoient aux tems fabuleux dans lefquels

Priam

Priam & Latinus ont reçu. Mais elles n'étoient en aucune façon de mife dans les guerres de Rome. Ce qui rend le caractere d'Enée brillant & répand de la Majeflé fur les foibles commencemens de Rome, auroit dégradé le caractere de Cefar, & y auroit même jetté du ridicule. Quelle pauvre figure, le vainqueur auroit-il fait dans les champs de Pharfale, fi on avoit amené à fon fecours Iris ou Mercure. Cela fait voir évi-: demment que l'intervention des Dieux n'eft point absolument nécessaire dans un Poëme Epique Elle y eft même si peu néceffaire que le plus bel endroit de Lucain, & peut-être qui foit dans aucun Poëte, est la Harangue de Caton dans le neuviéme Livre, où il refufe E

de confulter Jupiter; ce n'eft donc pas parce qu'il n'a point employé les Dieux, mais parce qu'il a ignoré l'Art de conduire les actions des hommes, qu'il eft inferieur à Virgile,

L'idée generale qu'on a de cet Auteur eft fort jufte. On le regarde comme un génie élevé, mais non comme un bon Poëte. Les précieux diamans de fa Pharfale, quoique mal montez, brillent à nos yeux. Corneille avoit coutume de dire qu'il devoit plus à Lucain qu'à Virgile: non qu'il fût affez peu équitable ou affez peu fenfé pour pré

ferer la Pharfale à l'Eneide. Mais un Auteur qui met des Héros réels fur la scene n'a pas befoin de fictions Epiques, & trouve mieux fon compte dans les pensées mâles & énergiques

« AnteriorContinuar »