quelques Soldats, & pour paffer le temps,il naît entr'eux une difpute au fujet de Virgile, & principalement fur l'épifode de Didon. Alonzo faifit cette occafion pour entretenir fes Soldats de la mort de Didon,telle qu'elle eft rapportée par les anciens Hiftoriens; & afin de mieux donner le démenti à Virgile, & de reftituer à la Reine de Carthage fa réputation, il s'amufe à en difcourir pendant deux chants entiers. Ce n'eft pas d'ailleurs un dé faut mediocre de fon Poëme, d'être compofé de 36 chants trèse-longs. On peut fuppofer avec raifon, qu'un Auteur qui ne fçait ou qui ne peut s'arrêter, n'eft pas propre à fournir une telle carriere." A Un fi grand nombre de dé fauts n'a pas empêché le celebre Michel Cervantes de dire, que l'Araucana peut être comparé avec les meilleurs Poëmes d'Italie. L'amour aveugle de la Patrie a fans doute dicté ce faux jugement à l'Auteur Efpagnol; cependant le veritable & folide amour de la Patrie confiste à lui faire du bien &à contribuer à fa liberté autant qu'il nous eft poffible. Mais difputer feulement fur les Auteurs de notre Nation, nous vanter d'avoir parmi nous de meilleurs Poëtes que nos voifins, c'eft plûtôt fot amour de nous-mêmes qu'amour de notre Paiis. LE TASSE. Torquato Taffo commença de travailler à la Jerufalem. quand Camoëns finit sa Lufiade. Il difoit que Camoëns étoit le feul rival qu'il craignît dans l'Europe. Si fa crainte étoit fincére, elle étoit frivole; car il furpaffoit autant le Poëte Portugais, que celui-ci étoit fuperieur à tous les Poëtes de fon Paiis. Perfonne n'apporta en naiffant plus de génie & plus de talent pour le genre Epique: mais fon génie qui fit fa grande reputation fit auffi tous fes malheurs. Sa vie ne fut qu'une fuite fâcheufe de difgraces & de traverfes: banni de fon Paiis, il fe vit réduit à la trifte néceffité d'avoir un maître : Il fouffrit la difette, l'exil, la prifon ; & ce qui eft encore plus infupportable, la calomnie l'attaqua & l'opprima á T.. 1 On On alla même jufqu'à lui vouloir ravir fa gloire poëtique, confolation imaginaire dans des miferes réelles. Le nombre de fes ennemis éclipfa longtems fa réputation ; & enfin lorfque fon mérite eut furmonté l'envie & qu'il eut été jugé digne de recevoir l'honneur du triomphe à Rome, tel que Petrarque l'avoit autrefois reçû, mais avec moins de mérite (ce qui étoit alors auffi honorable qu'il feroit aujourd'hui ridicule) il mourut la veille du jour defti né à cette bifarre cérémonie. Rien ne donne une plus hau te idée du Taffe, que l'infcription de fon tombeau. Le Pape, après lui avoir fait faire de magnifiques funerailles (comme fi ce frivole honneur eût pû rêparer les malheurs qui l'avoient H accablé pendant fa vie) propo fa un prix pour celui qui feroit/ la meilleure épithaphe à fa gloi-> re. On en prefenta plufieurs, toutes remplies des juftes louanges du Poëte. Les Juges nommez pour le choix de l'épitaphe étoient partagez fur la preferénce, lorfqu'un jeune homme of frit cette infcription Les Juges ne balancerent point à lui ajuger le prix perfuadez que le nom du Taffe étoit fon plus digne éloge. Le tems qui détruit la répu tation paffagere des Auteurs médiocres, n'a pu donner atteinte au caractère immortel des ouvrages du Taffe: Son Poëme eft aujourd hu chanté |