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timent, qu'à la vérité on peut donner de longues queues aux comparaisons; mais foutenant qu'il faut, ainfi qu'aux robes des Princeffes, que ces queue's foient de même étoffe que la robe. Ce qui manque, dit-il, aux comparaifons d'Homere, où les queues font de deux étoffes différentes; de forte que s'il artivoit qu'en France, comme cela peut fort bien arriver, la mode vînt de coudre des queues de différente étoffe aux robes des Princeffes, voilà le Préfident qui auroit entiérement caufe gagnée fur les comparaisons. C'eft ainfi que ces trois Meffieurs manient entre eux, la raison humaine; l'un faifant toujours l'objection qu'il ne doit point faire; l'autre approuvant ce qu'il ne doit point approuver; & l'autre répondant ce qu'il ne doit point répondre.

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Que fi le Préfident a eu ici quelque avantage fur l'Abbé, celui-ci a bien-tôt fa revanche à propos d'un autre endroit d'Homere. Cet endroit eft dans le douziéme Livre de l'Odyffée, où Homere, felon la traduction de M. P** raconte : Qu'Ulyße étant porté fur fon mât brifé, vers la Charybde, justement dans le tems que Peau s'élevoit ; & craignant de tomber au fond, quand l'eau viendroit à redefcendre il Se prit à un figuier fauvage qui fortoit du haut du rocher, où il s'attacha comme une fauve-fouris, & où il attendit, ainfi fufpendu, que fon mât qui étoit allé à fond, revint fur beau; ajoutant que lorsqu'il le vit revenir, il fut auffi aife qu'un Juge qui fe léve de deffus fon Siege pour aller diner, après avoir jugé plufieurs procès. M. l'Abbé infulte fort à M. le Préfident fur cette comparaifon bizarre du Juge qui va dîner; & voyant le Préfident embarraffe, Eft-ce, ajoûte-t-il que je ne traduis pas fidélement le Texte d'Homere? Ce que ce grand défenfeur des Anciens n'oferoit nier. Auffi-tôt M. le Chevalier revient à la charge; & fur ce que le Préfident répond: que le Poëte donne à tout cela un tour fi agréable, qu'on e peut pas n'en être point charmé : Vous vous me

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quez, pourfuit le Chevalier: Dès le moment qu'Ho mere, tout Homere qu'il eft, veut trouver de la reßemblance entre un homme qui fe réjouit de voir fon mât revenir fur l'eau, & un Juge qui se léve pour aller diner, après avoir jugé plufieurs procès, il ne sçauroit dire qu'une impertinence.

Voilà donc le pauvre Préfident fort accablé ; & cela faute d'avoir fçû, que M. l'Abbé fait ici une des plus énormes bévûës qui ayent jamais été faites, prenant une date pour une comparaifon. Car il n'y a en effet aucune comparaifon en cet endroit d'Ho mere. Ulyffe raconte que voyant le mât, & la quille de fon vaisseau, fur lefquels il s'étoit fauvé, qui s'engloutiffoient dans la Charybde; il s'acrocha, comme un oiseau de nuit, à un grand figuier qui pendoit là d'un rocher, & qu'il y demeura long-tems attaché, dans l'efpérance que le reflux venant, la Charybde pourroit enfin revomir le débris de fon -vaiffeau : Qu'en effet ce qu'il avoit prévû arriva : & qu'environ vers l'heure qu'un Magiftrat, ayan's rendu la juftice, quitte fa féance aller pour prendre fa réfection, c'est-à-dire, environ fur les trois heures après midi ces débris hors de la parurent Charybde, & qu'il fe remit deffus. Cette date eft d'autant plus jufte qu'Euftathius affure , que c'est le tems d'un des réflux de la Charybde, qui en a trois en vingt-quatre heures ; & qu'autrefois en Gréce on datoit ordinairement les heures de la journée par le tems où les Magistrats entroient au Con; par celui où ils y demeuroient ; & par celui où ils en fortoient. Cet endroit n'a jamais été entendu autrement par aucun Interpréte, & le Tra ducteur Latin l'a fort bien rendu. Par là on peut voir à qui appartient l'impertinence de la comparaison prétendue, ou à Homere qui ne l'a point faite, ou à M. l'Abbé qui la lui fait faire fi mal-àpropos.

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Mais avant que de quitter la conversation de ces

trois Meffieurs, M. l'Abbé trouvera bon, que je ne donne pas les mains à la réponse décifive qu'il fait à M. le Chevalier, qui lui avoit dit: Mais à propos de comparaifons on dit qu'Homere compare Ulyße, qui fe tourne dans fon lit, au boudin qu'on rôtit fur le gril. A quoi M. l'Abbé répond: Cela eft vrai ; & à quoi je réponds. Cela eft fi faux, que même le mot Grec, qui veut dire boudin n'étoit point encore inventé du tems d'Homere, où il n'y avoit ni boudins, ni ragoûts. La vérité eft que dans le vingtiéme Livre de l'Odyffée, il compare Ulyffe qui fe tourne çà & là dans fon lit, brûlant d'impatience de fe foûler comme dit Euftathius, du fang des Amans de Pénélope, à un homme affamé, qui s'agite pour faire cuire fur un grand feu le ventre fanglant, & plein de graiffe, d'un animal, dont il brûle de fe raffafier, le tournant fans ceffe de côté & d'autre.

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En effet, tout le monde fçait que le ventre de

certains animaux chez les Anciens étoit un de leurs plus délicieux mets: que le fumen, c'est-à-dire, le ventre de la truye parmi les Romains, étoit vanté par excellence, & défendu même par une ancienne Loi Cenforienne › comme trop voluptueux. Ces mots, plein de fang & de graiße, qu'Homere a mis en parlant du ventre des animaux, & qui font fi vrais de cette partie du corps, ont donné occafion à un misérable Traducteur, qui a mis autrefois l'Odyffée en François, de fe figurer qu'Homere parloit là du boudin parce que le boudin de pourceau Le fait communément avec du fang & de la graiffe ; & il l'a ainfi fottement rendu dans fa traduction. C'est fur la foi de ce Traducteur, que quelques ignorans, & M. L'Abbé du Dialogue, ont crû qu'Homere comparoit Ulyffe à un boudin : quoique ni le Grec ni le Latin n'en difent rien, & que jamais aucun Commentateur n'ait fait cette ridicule bévûë. Cela montre bien les étranges inconvéniens qui arri

vent à ceux qui veulent parler d'une Langue qu'ils

ne fçaven't point.

REFLEXION VI I.

Il faut fonger au jugement que toute la postérité fera de nos Ecrits. Longin. Chap. XII.

I

L n'y a en effet que l'approbation de la Postérité, qui puiffe établir le vrai mérite des Ouvrages. Quelque éclat qu'ait fait un Ecrivain durant la vie, quelques éloges qu'il ait reçûs, on ne peut pas pour cela infailliblement conclure que fes Ouvrages foient excellens. De faux brillans, la nouveauté du ftile, un tour d'efprit qui étoit à la mode, peuvent les avoir fait valoir; & il arrivera peutêtre dans le fiécle fuivant on ouvrira les yeux, que & que l'on méprifera ce que l'on a admiré. Nous en avons un bel exemple dans Ronfard, & dans fes imitateurs, comme du Bellay, du Bartas, Defporqui dans le fiécle précédent ont été l'admiration de tout le monde, & qui aujourd'hui ne trouvent pas même de Lecteurs.

tes,

La même chofe étoit arrivée chez les Romains à Nævius, à Livius, & à Ennius, qui du tems d'Horace, comme nous l'apprenons de ce Poëte, trouvoient encore beaucoup de gens qui les admiroient; mais qui à la fin furent entiérement décriés. Et il ne faut point s'imaginer que la chûte de ces Auteurs, tant les François que les Latins, foit venue de ce que les Langues de leurs pays ont changé. Elle n'est venue, que de ce qu'ils n'avoient point attrapé dans ces Langues le point de folidité & de perfection qui eft néceffaire pour faire durer, & pour faire à jamais prifer des Ouvrages. En effet, la Langue Latine, par exemple, qu'ont écrite Ciceron & Virgile, étoit déja fort changée du tems de Quintilien, & encore plus du tems d'Aulugelle. Cependant Ciceron & Virgile y étoient encore plus eftimés que de

leur tems même ; parce qu'ils avoient comme fixé la Langue par leurs écrits, ayant atteints le point de perfection que j'ai dit.

Ce n'eft donc point la vieilleffe des mots & des expreffions dans Ronfard, qui a décrié Ronfard; c'eft qu'on s'eft apperçû tout d'un coup que les beautés qu'on y croyoit voir n'étoient point des beautés. Ce que Bertaut, Malherbe, de Lingendes, & Racan, qui vinrent après lui, contribuérent beaucoup à faire connoître, ayant attrapé dans le genre férieux le vrai génie de la Langue Françoise, qui bien loin d'être en fon point de maturité du tems de Ronfard, comme Pafquier fe l'étoit persuadé fauffement, n'étoit pas même encore fortie de fa premiere enfance. Au contraire le vrai tour de l'Epigramme, du Rondeau, & des Epîtres naïves, ayant été trouvé, même avant Ronfard, par Marot, par Saint-Gelais, & par d'autres ; non feulement leurs Ouvrages en ce genre ne font point tombés dans le mépris, mais ils font encore aujourd'hui généralement eftimés: jufques-là même, pour prouver l'air naïf en François, on a encore quelquefois recours à leur ftile; & c'eft ce qui a fi bien réussi au célébre M. de la Fontaine. Concluons donc qu'il n'y a qu'une longue fuite d'années, qui puiffe établir la valeur & le vrai mérite d'un Ouvrage.

Mais lorsque les Ecrivains ont été admirés durant un fort grand nombre de fiécles, & n'ont été méprifés que par quelques gens de goût bizarre ; car il fe trouve toujours des goûts dépravés: alors non feulement il y a de la témérité, mais il y a de la folie à vouloir douter du mérite de ces Ecrivains. Que fi vous ne voyez point les beautés de leurs Ecrits, il ne faut pas conclure qu'elles n'y font point, mais que vous êtes aveugle, & que vous n'avez point de goût. Le gros des hommes à la longue ne fe trompe point fur les Ouvrages d'efprit. Il n'eft plus queftion, à l'heure qu'il eft, de fçavoir fi Homere,

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