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Le Sage mourut le 17 novembre 1747, après une vie de travail, innocente comme fon âme, belle & fimple comme fon génie & dure comme la néceffité qu'il combattit fans ceffe & qu'il ne put jamais vaincre.

ANATOLE FRANCE.

ÉPITRE DÉDICATOIRE

AU TRÈS-ILLUSTRE

AUTEUR

LUIS VELEZ DE GUEVARA.

'EST à vous, Seigneur de Guevara, que j'ai dédié cet Ouvrage dans fa nouveauté1. Si je me fis un devoir alors de vous rendre cet hommage, rien ne doit me difpenfer aujourd'hui de vous le renouveller. J'ai déja déclaré & je déclare encore publiquement, que vôtre Diablo Cojuelo m'en a fourni le titre & l'idée. Ainfi je vous cède l'honneur de l'invention, fans vouloir, comme je vous

l'ai dit, approfondir fi quelque Auteur Grec, Latin ou Italien ne pourroit pas justement vous le difputer.

J'avouerai même encore qu'en y regardant de près, on reconnoîtroit dans le corps de ce Livre quelques-unes de vos penfees. Plût au Ciel qu'il y en eût davantage, & que la néceffité de m'accommoder au génie de ma Nation m'eût permis de vous copier exactement! J'aurois fait gloire d'être vôtre Traducteur; mais j'ai été obligé de m'écarter du texte, ou, pour mieux dire, j'ai fait un Ouvrage nouveau fur le même plan.

Sous la forme que je lui ai prêtée d'abord, il a été réimprimé en France je ne fçai combien de fois. Nous avons partagé tous deux l'honneur du fuccès qu'il a eu; mais que dis-je partagé? Jai paffé à Paris pour vôtre Copifte & je n'ai été loué qu'en fecond. Il est vrai, en récompenfe, qu'à Madrid la Copie a été traduite en Espagnol &qu'elle y eft devenue un Original.

J'en donne aujourd'hui une nouvelle Édition, que je vous adreffe encore, Seigneur Luis Velez ; mais, pour la rendre plus digne de revoir le jour après dix-neuf années, il a fallu le retoucher & le

remettre, pour ainfi dire, à la mode. Quoique le monde foit toûjours le même, il s'y fait une fucceffion continuelle d'Originaux, qui femble y aporter quelque changement.

Je n'ai pas feulement corrigé l'Ouvrage; je l'ai refondu & augmenté d'un Volume, que les fottifes humaines m'ont aisément fourni. C'est une fource de Tomes inépuifables. Mais je n'ai pas entrepris de l'épuifer. J'abandonne ce travail immenfe à quelqu'un de ces Auteurs laborieux qui veulent bien employer une longue vie à mériter d'occuper une toife de place dans les Bibliothèques. Pour moi, qui borne mon ambition à égaier pendant quelques heures mes Lecteurs, je me contente de leur offrir en petit un tableau des mœurs du fiècle.

Après avoir reconnu, Seigneur de Guevara, que vôtre Diable a toûjours hipotéqué fur le mien, il faut encore confeffer, pour la décharge de ma confcience, que j'ai emprunté des vers & quelques images de Francifco Santos, auteur du Livre intitulé Dia y Noche de Madrid. Quoique le larcin ne foit pas de grande importance, je déclare que je l'ai fait, afin que quelque mauvais plaifant ne vienne pas me comparer aux voleurs qui pour

vendre impunément une vaisselle qu'ils ont volée, en ôtent les armoiries.

Puiffe le Public recevoir auffi favorablement cette derniere édition qu'il a reçu la premiere. Je n'oferois me flåter de ce bonheur, quoique l'Ouvrage foit plus nouri qu'il n'étoit & que j'aie fait de mon mieux pour engager ceux qui le liront à y prendre un nouveau goût.

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