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à troubler les confciences qu'à les rendre tranquiles.

Malgré le bruit de cette burlesque férénade, dit Zambullo, un autre, ce me femble, frape mon oreille. Celui que vous entendez en dépit du Charivari, répondit le Boiteux, part d'un cabaret, où il y a un gros Capitaine Flamand, un Chantre François & un Officier de la Garde Allemande, qui chantent en trio. Ils font à table depuis huit heures du matin, & chacun d'eux s'imagine qu'il y va de l'honneur de fa nation d'enivrer les deux autres.

Arrêtez vos regards fur cette Maifon ifolée vis-à-vis celle du Chanoine, vous verrez trois fameufes Galiciennes qui font la débauche avec trois hommes de la Cour. Ah! qu'elles me paroiffent jolies, s'écria Don Cléofas? Je ne m'étonne pas fi les Gens de qualité les courent. Qu'elles font de careffes à ceux-là ! Il faut qu'elles foient bien amoureufes d'eux ! Que vous êtes jeune, repliqua l'Efprit! vous ne connoiffez guère ces fortes de Dames. Elles ont le cœur encore plus fardé que le visage. Quelques démonftrations qu'elles faffent, elles n'ont pas la moindre amitié pour ces Seigneurs. Elles en ménagent un pour avoir sa protection, & les deux autres pour en tirer des contracts de rente. Il en eft de même de toutes les Coquettes. Les hommes ont beau fe ruïner pour elles, ils n'en font pas plus aimez. Au contraire, tout païeur eft traité comme un mari. C'est une règle que

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j'ai établie dans les intrigues amoureuses. Mais laiffons ces Seigneurs favourer des plaisirs qu'ils achètent fi cher, pendant que leurs valets qui les attendent dans la ruë, fe confolent dans la douce espérance de les avoir gratis.

Expliquez-moi, de grace, interrompit Léandro Perez, un autre tableau qui se présente à mes yeux. Tout le monde eft encore fur pied dans cette grande Maison à gauche. D'où vient que les uns rient à gorge déploïée, & que les autres danfent? On y célèbre quelque fête aparemment? Ce font des nôces, dit le Boiteux. Tous les Domeftiques font dans la joie. Il n'y a pas trois jours que dans ce même hôtel on étoit dans une extrême affliction. C'eft une hiftoire qu'il me prend envie de vous raconter. Elle eft un peu longue, à la vérité, mais j'espère qu'elle ne vous ennuiera point. En même tems, il la commença de cette forte.

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CHAPITRE IV.

Hiftoire des amours du Comte de Belflor, & de Léonor de Cefpedes.

E Comte de Belflor un des plus grands Seigneurs de la Cour, étoit éperduëment amoureux de la jeune Léonor de Cefpedes. Il n'avoit pas deffein de l'époufer; la fille d'un fimple Gentilhomme ne lui paroiffoit pas un parti affez confidérable pour lui. Il ne fe propofoit que d'en faire une Maîtreffe.

Dans cette vûë, il la fuivoit partout, & ne perdoit pas une occafion de lui faire connoître fon amour par fes regards; mais il ne pouvoit lui parler, ni lui écrire, parce qu'elle étoit inceffamment obfédée d'une Duègne févère & vigilante, apellée la Dame Marcelle. Il en étoit au défespoir, & fentant irriter fes defirs par les difficultez, il ne ceffoit de rêver aux moïens de tromper l'Argus qui gardoit son Io.

D'un autre côté, Léonor qui s'étoit aperçûë de l'attention que le Comte avoit pour elle, n'avoit pû fe défendre d'en avoir pour lui; &

il fe forma infenfiblement dans fon cœur une paffion qui devint enfin très-violente. Je ne la fortifiois pourtant pas par mes tentations ordinaires, parce que le Magicien qui me tenoit alors prifonnier, m'avoit interdit toutes mes fonctions; mais il fuffifoit que la nature s'en mêlât. Elle n'eft pas moins dangereuse que moi. Toute la différence qu'il y a entre nous, c'est qu'elle corrompt peu à peu les cœurs, au lieu que je les féduis brusquement.

Les chofes étoient dans cette difpofition, lorfque Léonor & fon éternelle Gouvernante allant un matin à l'Eglife, rencontrèrent une vieille femme qui tenoit à la main un des plus gros chapelets qu'ait jamais fabriquez l'hipocrifie. Elle les aborda d'un air doux & riant, & adreffant la parole à la Duègne: Le Ciel vous conserve, lui dit-elle; la sainte paix soit avec vous ! permettez-moi de vous demander fi vous n'êtes pas la Dame Marcelle, la chaste veuve du feu Seigneur Martin Rofette? La Gouvernante répondit qu'oüi: Je vous rencontre donc fort à propos, lui dit la vieille pour vous avertir que j'ai au logis un vieux parent qui voudroit bien vous parler. Il eft arrivé de Flandres depuis peu de jours; il a connu particulièrement, mais très-particulièrement vôtre mari, & il a des chofes de la derniere conféquence à vous communiquer. Il auroit été vous les dire chez vous s'il ne fût pas tombé malade, mais le pauvre homme eft à l'extrêmité. Je demeure

à deux pas d'ici. Prenez, s'il vous plaît, la peine de me suivre.

La Gouvernante qui avoit de l'esprit & de la prudence, craignant de faire quelque fauffe démarche, ne fçavoit à quoi fe réfoudre; mais la vieille devina le fujet de fon embaras, & lui dit: Ma chere Madame Marcelle, vous pouvez vous fier à moi en toute assurance. Je me nomme la Chichona. Le Licencié Marcos de Figueroa & le Bachelier Mira de Mefqua vous répondront de moi comme de leurs Grandes-meres. Quand je vous propofe de venir ma Maison,

ce n'eft que pour vôtre bien. Mon parent veut vous reftituer certaine fomme que vôtre mari lui a autrefois prêtée. A ce mot de reftitution, la Dame Marcelle prit fon parti: Allons, ma fille, dit-elle à Léonor, allons voir le parent de cette bonne Dame. C'est une action charitable que de vifiter les malades.

Elles arrivèrent bien-tôt au logis de la Chichona qui les fit entrer dans une falle baffe, où elles trouvèrent un homme alité, qui avoit une barbe blanche, & qui, s'il n'étoit pas fort malade, paroiffoit du moins l'être. Tenez, Cousin, lui dit la vieille en lui préfentant la Gouvernante, voici cette fage Dame Marcelle à qui vous fouhaitez de parler, la veuve du feu Seigneur Martin Rofette vôtre ami. A ces paroles, le vieillard, foulevant un peu la tête, falua la Duègne, lui fit figne de s'aprocher, & lorsqu'elle fut près de fon lit, lui dit d'une voix foible: Ma chere

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