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pour les finir, de vendre un petit patrimoine aux portes de la ville. Les défagrémens que cet ouvrage lui caufa, & le payement modique qu'il en retira, le dégoûtèrent de travailler pour le public. La fculpture ne fut plus pour lui qu'un préfervatif contre l'ennui & l'oifiveté. Ce fut alors qu'avec un de fes amis il fe livra à l'alchimie, & qu'afin de varier fes occupations il reprit la palette.

Vers ce temps-là douze perfonnes gaies fe réunirent fous le nom de fociété du Chaudron. L'humeur enjouée & facétieufe de Ruftici les raffembla à la Sapience où il demeuroit. Plufieurs artistes la compofoient & s'amusoient à fe donner des repas dont les mets, apportés par chacun d'eux, devoient être aprêtés d'une manière fingulière & variée. Lorfque le tour de notre artiste vint de régaler fes confrères, il fit préparer, au lieu de table, une chaudière faite en cuvier, dans laquelle ils s'affirent tous de façon qu'ils paroiffoient être dans l'eau. L'anfe de la chaudière, élevée jufqu'au plafond, répandoit une grande lumière fur l'affemblée. Il fortit, du milieu de cette nouvelle table, un arbre dont chaque branche foutenoit un plat chargé de viande pour deux perfonnes. Les plats

ôtés, les branches fe replioient, l'arbre disparoiffoit & s'enfonçoit fous le chaudron, où des muficiens faifoient entendre une agréable fymphonie. L'arbre reparoiffoit à chaque fervice, entre lefquels on fervoit de très-bon vin. Le plat de Ruftici fut une chaudière de patisserie dans laquelle Ulyffe plongeoit fon père pour le rajeunir. Ces deux figures étoient deux chapons bouillis, auxquels on avoit donné la forme humaine. Cette idée, vraiment digne d'un peintre qui avoit mafqué ce chaudron par des toiles & des peintures, amufa beaucoup toute la fociété.

Les divertiffemens de ce genre, & d'autres 'dont Vafari nous a confervé le détail, rendoient délicieux à notre artiste le féjour de Florence. Il ceffa de l'être lorfque les Médicis fes protecteurs en furent chaffés en 1528. Ruftici prit alors le parti de laiffer fes biens à gouverner à un ami, & vint en France. Ayant été présenté à François I, ce père des arts lui accorda une penfion de cinq cents écus, & une vafte maison pour fondre un cheval deux fois grand comme nature, qui devoit porter fa statue. Mais ce prince mourut avant que l'ouvrage fût fini. Les affaires changèrent de face fous Henri II, qui lui ôta fa

penfion, & donna fon logement à Pierre Strozzi; maréchal de France. Les efpagnols n'ont-ils pas raifon de dire qu'amitié de prince n'eft pas hé ritage?

Ruftici trouva heureusement, dans les bontés de ce feigneur, quelque foulagement à fon malheur. Placé dans une abbaye qui appartenoit à fon frère, il y fut traité honorablement. L'envie de revoir fa patrie l'en fit fortir en 1540. Elle avoit bien changé de face depuis fon départ. Dans le fiège de cette ville, l'armée ennemie en avoit ravagé les fauxbourgs, & les poffeffions qui lui appartenoient hors la porte Sangallo. Quand il en fut peu éloigné, la vue de ce défaftre le toucha fenfiblement, il fe couvrit la tête du chaperon de fon manteau, & entra dans la ville les yeux fermés; il y refta quelques mois, & retourna en France, où il amena sa mère, & il y mourut âgé de quatre-vingts ans.

Ruftici étoit un très-honnête homme; fa politeffe, la douceur de fes mœurs, l'art qu'il avoit de plaire dans la fociété, & furtout fa générofité, le firent regretter. Il aimoit tant les pauvres, qu'il les affiftoit tous. Une certaine fomme d'argent, mife dans un panier, étoit destinée à ses bonnes œuvres. Un pauvre qui lui demandoit

l'aumône, regardoit un jour ce panier & disoit, ne croyant pas être entendu, hélas! fi j'avois cet argent, j'accommoderois bien mes affaires. Ruftici l'entendit, le regarda fixement, & le lui donna.

Cet artifte bienfaisant se plaifoit à élever des animaux. Il avoit accoutumé à l'état de domesticité un porc-épic qui fe tenoit fous fa table comme un chien ; il nourriffoit un aigle & un corbeau qui parloient à faire illufion. Dans une chambre murée il entretenoit de l'eau, comme dans un vivier, pour y nourrir des ferpens & des couleuvres leur manière de vivre, & leurs jeux faifoient un de fes amusemens.

Ruftici étoit très-habile dans le deffin, dans les bas-reliefs, & furtout dans les ouvrages de fonte. Il a fort peu manié le marbre; la plupart de fes ftatues font de bronze. On compte, parmi les plus remarquables, une Léda, une Europe, un Neptune, un Vulcain, plufieurs cavaliers, un homme nu à cheval, & une des Graces qui presse une de ses mamelles. Il faut, disoit - il, penfer long-temps à un ouvrage avant que d'en faire une efquiffe, & lorfqu'elle eft faire, la Jaiffer plusieurs mois fans la montrer à perfonne, & la reprendre enfuite, A l'égard des ouvrages,

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ils ne doivent être découverts que lorsqu'ils font achevés, c'est l'unique moyen qu'a l'artiste de les changer & de les retourner à fon gré, fans aucun respect humain.

Chez les religieufes de faint Luc à Florence, Ruftici a fait un modèle de l'apparition de N. S à la Madeleine, qui fut verni par Jean della Robbia. Dans la chapelle du château des Salyiati, dont il étoit intime ami, on voit une Vierge de marbre.

Le palais Médicis conferve une tête en bronze du duc Julien vu de profil.

Dans une falle des confuls Dell'arte, à la porte Sainte-Marie, il y a un médaillon de forme ronde où eft fculptée la fainte famille. Le roi d'Espagne possède une Annonciation grand médaillon qui fut jeté en bronze.

BACCIO BANDINELLE (1).

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E nom de baptême de ce Sculpteur étoit Barthélemi, dont on a fait le diminutif Baccio.

(1) Vafari, Serie degli uomini illuftri,

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