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voit toujours préférer la magnificence des édifices publics à leurs commodités perfonnelles. Il eft vrai que leurs ufages généraux, & des règlemens particuliers à quelques Villes, fur les détails de leur vie domeftique, entretenoient la fimplicité de leur manière de vivre, & concouroient au foutien & à la durée de cette façon de penfer; mais il n'en fera pas moins certain que cet amour de la gloire & de la patrie peut feul rendre raifon de l'application qu'ils ont donné fans relâche aux talens de l'efprit, & à la perfection des Arts. Par une fuite néceffaire, l'objet de véritable 'gloire dont cette Nation étoit préoccupée, avoit un enchaînement très - étendu : chaque Ville étoit Alattée d'avoir produit le Guerrier, le Poëte, le Muficien, l'Athlète & l'Artifte qui la rendoit célèbre; enfin, tout homme qui fe diftinguoit dans quelque partie, honoroit sa patrie & jouiffoit, de fon vivant, non-feulement de ce témoignage fi marqué, mais de ces éloges qui caufent une véritable féduction, & dont il eft fi pardonnable de s'enyvrer. Les récompenfes groffières, c'est-à-dire, l'affurance d'une vie fimple, étoient faciles à procurer aux dépens de l'Etat, à des hommes dont les befoins étoient restraints au néceffaire, & qui d'ailleurs fe trouvoient payés & récompenfés avec ufure par une célébrité qui feule les auroit fatisfait non-feulement fa patrie étoit inftruite de fon mérite; mais ses talens étoient publics & répandus dans toute la Grèce.

Rien dans le monde n'est à l'abri des inconvéniens : d'ailleurs il ne faut pas une réflexion bien profonde pour fentir qu'un peuple a tous les défauts & toutes les foibleffes d'un homme en particulier; ainfi cette même idée de gloire dont le produit a été fi complet, a conduit les Grecs à fon abus, c'est-à-dire, à des foibleffes qu'ils n'ont pû éviter. A la vérité, elle a échauffé, fortifié, perfectionné & foutenu les efprits, mais ils ont été par-delà le but; la poffeffion pratique de cette même gloire ne leur a pas fuffi; le mérite de l'invention leur a paru plus effen

tiel qu'il ne l'eft peut-être en effet. Non contens de la perfection à laquelle ils avoient conduit ce qu'on leur avoit communiqué, ils ont voulu s'arroger ce qui ne leur appartenoit pas. Il leur a été plus facile de fupprimer, comme on peut le préfumer, leurs premières productions dans les Arts, parce qu'elles leur parurent bien-tôt indignes des talens auxquels ils étoient parvenus, que d'effacer les emprunts du culte; il étoit établi, il fubfiftoit encore, & le genre de prévention qu'il entraîne ne fe dérange pas facilement. Pour diminuer ces entraves que l'efprit & la force ne font pas toujours les maîtres de rompre & de brifer, on voit les efforts qu'ils ont faits fucceffivement, pour mafquer les Dieux, les cérémonies & les fuperftitions de l'Egypte : ils leur ont donné une forme & des noms Grecs, en leur fubftituant une origine différente. Ils ont admis les Phéniciens, comme des inventeurs, pour diminuer le mérite de l'invention, en le partageant entre ces peuples & les Egyptiens. Ce fonds d'ingratitude a été pratiqué plus d'une fois dans le monde ancien; les Grecs ont eu la volonté, mais il ne leur a pas été poffible de l'exécuter auffi complettement que les Romains à l'égard des Etrufques. L'objet du fentiment & de la conduite ont été les mêmes dans les deux Peuples; mais l'Egypte étoit d'un poids plus difficile à ébranler que l'Etrurie.

PLANCHE XXXVII.

LES fix figures de terre cuite dont cette Planche eft remplie, ont été trouvées à Camarina en Sicile, Ville qui à confervé fon ancien nom ces petits monumens m'ont été envoyés par M. l'Abbé Dominico Schiauo, ami du P. Paciaudi. On ne fera point furpris d'une liaison établie fur le goût qu'ils ont l'un & l'autre pour l'antiquité; mais on ne peut dire combien la patrie de M. Schiauo lui eft redevable pour les foins avec lefquels il a ramaffé les

monumens de fon pays, & la fagacité avec laquelle il a fçu les expliquer.

Camarina eft fituée fur la côte de la Sicile qui regarde l'Afrique, entre Agrigente & le Promontoire, nommé autrefois Pachinum: cette Ville eft fameufe par le marais, fur les bords duquel elle étoit bâtie. Les eaux croupies de ce marais ayant occafionné la pefte, les habitans confultèrent l'Oracle pour fçavoir s'ils ne feroient pas bien de le deffécher; l'Oracle le défendit; la pefte continuant, ils passèrent outre, & firent écouler les eaux; alors les ennemis entrèrent dans la Ville par le terrein defféché, & la faccagèrent, ce qui a donné lieu au Proverbe xivaïv Trv Kaμaelvav, movere Camarinam, pour dire, s'attirer son Eneid. Lib. III. propre malheur : Virgile fait allufion à ce trait d'Hiftoire: Fatis nunquam conceffa moveri

Apparet Camarina procul.

On a beaucoup de Médailles que cette Ville a fait frapper; elles font même très-belles: les monumens que je rapporte répondent mal à l'idée qu'elles ont pû donner, auffi bien qu'à celle que l'on a pû prendre dans l'Hiftoire du rôle qu'elle a joué dans le monde; ils ne donneront pas nón plus de grandes preuves de fon goût & de fon opulence; mais l'offrande des pauvres étoit reçue à Delphes, auffi - bien que celle des Rois; l'avarice a détruit ces derniers; celles des pauvres ont fubfifté, tout eft compensé dans le monde : la simplicité & la médiocrité n'ont pas befoin de cette augmentation d'éloges.

On ne m'a point mandé le détail de la découverte de ces morceaux: ils ne peuvent avoir été trouvés que dans les ruines d'un Temple où l'on avoit placé fucceffivement ces Ex-voto; car ils ne font pas du même tems.

Le détail que je vais donner de ces figures fervira à faire remarquer & à donner non-feulement des preuves de la fource Egyptienne; mais encore qu'elles fe trou

vent

vent confervées dans un pays où les Grecs avoient porté leur culte; mais ces preuves font plus marquées que fur aucun monument de la belle Grèce. Ce même détail fera de plus fentir les altérations que reçoit un culte en paffant par différens pays.

Je ne préfenterai que des obfervations fur chaque figure en particulier; il feroit impoffible d'en donner des explications, elles ne pourroient être que conjecturales; d'ailleurs ces figures n'étant travaillées que d'un côté, & cette négligence rend les éclairciffemens encore plus difficiles. Cette Planche n'a point été gravée au miroir; ainsi les originaux préfentent le fens contraire.

N. I.

Malgré les efforts des Grecs pour déguiser la fource de leur Mythologie, on voit que les habitans de la Sicile, qui ont témoigné la plus grande vénération pour Cérès, & qui lui devoient la plus grande reconnoiffance, on voit, dis-je, que les Siciliens confondoient cette Déeffe avec l'Ifis Egyptienne, ou convenoient tacitement que l'une avoit produit l'autre. Le maintien & la disposition de la figure de ce n°. indiquent conftamment cette opinion, malgré le double vêtement qui paroît très-diftinctement, & malgré la coëffure furmontée du boiffeau, mais arrangée ici avec plus de graces & de nobleffe que fur la tête d'aucune Impératrice Romaine. On trouvera peut-être que de telles obfervations font légères & ne méritent d'être mises en ligne de compte je puis en convenir; mais j'avoue qu'elles m'affectent. Ce qui acheve de caractérifer Cérès, dont la représentation n'eft chargée d'aucun autre attribut, c'est le petit cochon qu'elle tient par les quatre pieds avec ses deux mains. On verra plus bas, fur un monument de la Grèce rapporté dans ce VI Volume, la raison d'un attribut que la culture des bleds rendoit plus intéressant à ces infulaires : elle étoit dès lors leur plus grande richesse.

Tome VI.

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Le vêtement de deffus que porte cette figure ne peut être comparé qu'aux chafubles de nos Prêtres, foit à caufe de fon arrondiffement, foit à caufe de fa longueur.

Le travail de cette terre cuite eft un peu ufé; cependant on diftingue très-aisément tous les détails dans lefquels je viens d'entrer, d'autant que ce monument est d'ailleurs bien confervé.

Hauteur neuf pouces trois lignes.

No. II.

Cette figure de femme moins entière que celle du n°. I. n'eft pas vêtue de la même manière, mais elle porte également deux vêtemens contre l'ordinaire des Egyptiens; celui de deffus a des manches affez larges & terminées au coude; mais en tout, cet habillement eft plus fimple & les plis font plus fingulièrement difpofés que celui que nous venons de voir. On pourroit en accufer l'ignorance de l'Artifte, qui ne fçavoit pas exprimer autrement les rayures que nous voyons tracées fur les monumens Egyptiens. Quoi qu'il en foit, cette figure tient un cochon avec fes deux mains comme la précédente. Malgré la différence de la coëffure qui indique un tems plus moderne, & malgré la ceinture, je crois qu'elle représente également Cérès; mais elle a moins de dignité dans fon maintien, & le travail en eft beaucoup plus groffier. La plinthe fur laquelle elle étoit pofée eft détruite, cependant fa hauteur eft encore de neuf pouces cinq lignes,

No. III.

La représentation de cette femme eft encore plus fimple, & devroit par conféquent être regardée comme plus ancienne. Cependant le travail paroît être du même tems que celui du n°. II de cette Planche. Je regarde cette figure comme la représentation d'une Prêtreffe de Cérès ; ou peut-être celle d'une Femme du peuple, qui porte tout

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