Imágenes de páginas
PDF
EPUB

cela de les exclure pofitivement de nos prieres communes ; il fuffit que Dieu voie que nous fommes dans une difpofition qui ne nous permet pas de les y comprendre.

Quoique la haine ne produife que des paroles injurieuses qui semblent bien loignées de la malice du meurtre, cependant Dieu traitera ceux qui les proferent comme des homicides, parce que la haine en renferme la malice. Cela fait voir qu'il y a dés paroles qui paroiffent peu confiderables, qui font néanmoins des péchés dignes de la damnation, parce qu'elles nailfent d'un fonds de haine qui fuffit pour les rendre criminelles. Il ne faut pas dif tinguer la haine par les effets extériems des injures, mais par fes différents dégrés. Elle n'eft ordinairement que commencée, quand elle ne produit qu'un certain chagrin qui ne va pas jufqu'aux paroles de reproche; & cependant dans cet état même elle n'est pas innocente. Dieu la punira plus févérement que les Juifs ne puniffoient les crimes ordinaires. Que fi le mouvement de haine eft plus fort & plus formé, & qu'il produife au-dehors les reproches communs que la paffion fuggere, quoiqu'il ne marque pas encore une haine toute formée, Dieu la punira plus févérement que les Juifs ne punif

foient les crimes extraordinaires, & qui étoient jugés par le fouverain Confeil de l'Etat. Mais, fi la haine eft telle qu'elle porte à faire de certains reproches qui marquent un deffein formé de détruire la réputation du prochain, & qui ne foient pas fimplement les effets d'une paffion paffagere, mais d'une haine enracinée, qui tend à le deshonorer entiérement devant les hommes, comme faifoient parmi les Juifs l'injure de fou, il ne faut plus cher cher dans la conduite des hommes d'exemples de la févérité avec laquelle Dieu punira ce crime; & il faut favoir qu'il le punira par la derniere de fes peines, qui eft la damnation & la gêne du feu. On doit donc concevoir par-là que dans les querelles qui arrivent parmi les hommes, quoiqu'elles ne fe terminent qu'à des paroles, il y en a plufieurs où l'on perd en tiérement la grace de Dieu, & où l'on fe rend digne de l'enfer, & que cela fe rencontre quand la haine eft arrivée jufqu'à un certain dégré, oùì, de deffein formé, l'on veut deshonorer le prochain par des reproches qui le privent d'honneur & de confidération parmi les hommes.

Pour parvenir à remédier à la haine, il faut concevoir les malheurs dans lesquels elle entraîne. Il ne faut pas fe décourager lorfqu'on fent des averfions: il y en a

N}

beaucoup qui font plus dans l'imagi-nation que dans le cœur; mais , pour en empêcher le progrès, il faut d'abord rendre ces fentiments muets & fans action, c'est-à-dire, ne leur permettre jamais de paroître au-dehors, & s'étudier même à une modération plus grande, quand on parle ou qu'on a affaire avec ceux pour lefquels on fent de l'averfion. Il faut tâcher de rendre à ceux à l'égard de qui on fent cette difpofition, tous les bons offices que l'on peut, & demander à Dieu qu'il ôte de notre cœur cette racine d'amertume. Si avec tout cela on fent qu'elle continue, il faut la porter en patience, comme une grande mifere & comme une grande preuve de notre orgueil, & confidérer que cette haine que nous avons dans le cœur, nous rend dignes du mépris & de la haine des hommes, puifqu'elle nous fait mériter la haine & le mépris de Dieu même.

§. 15. De la Colere.

LA colere est un soulévement de l'ame contre la perfonne dont on croit avoir reçu quelque injure ou quelque déplaifir, qui nous porte à lui defirer du mal & à lui en faire, fi l'on peut. Comme cette paffion a de très-mauvais effets; qu'elle trouble la raison ; qu'elle fait fortir l'ame de fon

affiette naturelle; qu'elle lui caufe des tranf ports, des convulfions & une efpece de fureur; qu'elle la pouffe à toutes fortes d'excès; qu'elle ruine fouvent les familles & les Etats, la fageffe humaine a tou→ jours cru qu'il étoit très-important de porter les hommes, non-feulement à réprimer les mouvements de la colere, mais auffi à les étouffer, s'il étoit poffible. Elle donne, à la vérité, une grande horreur de cette paffion par l'état où elle met le corps même, par les marques extérieures de déréglement qu'elle y imprime; de forte qu'il n'y a point de paffion dont l'image foit plus capable de caufer de l'averfion; mais la Religion chrétienne en donne une toute autre idée, & fournit d'armes propres à la combattre.

La Religion nous fait voir que ce que nous prenons pour injure & qui eft injuste en effet de la part des hommes, a une caufe premiere qui l'ordonne fans injuftice; ainfi elle nous montre qu'on ne nous fait jamais d'injuftice ; que nous méritons tous les traitements que nous pouvons recevoir des hommes ; qu'ils n'en font pas les premieres caufes ; qu'ils ne font que les fimples inftruments de Dieu ; & par-là elle appaife nos plaintes; elle détourne notre efprit de cette prétendue injuftice

qu'il fouffre, & l'applique à confidérer & à condamner l'injuftice de fa colere. Elle nous fait découvrir dans ces traitements que nous prétendons injurieux, non-feulement la justice de Dieu, mais encore fa bonté qui les permet par des vues de miféricorde pour nous donner moyen d'en profiter pour guérir le plus grand de nos maux qui eft l'orgueil, & pour nous procurer le plus grand des biens, qui eft-l'humilité. Ainfi elle change toutes nos idées, nous faifant regarder comme des graces & des faveurs de Dieu, ce que les hommes appellent des difgraces & des malheurs. D'un autre côté elle fe fert, pour étonner, des menaces de Dieu même contre ceux qui fe mettent en colere, & que cette paffion porte à quelque excès contre le prochain.

en

Nous jugeons & nous agiffons pour l'ordinaire dans le monde comme des enfants qu'on épouvante par des grimaces. Nous ne regardons que l'extérieur & le vifage de nos ennemis, & les marques de colere & de haine qui y paroiffent ; & cela fuffit pour nous porter à l'impatience & à la colere. Mais que n'apprenons-nous des avares à mieux juger des chofes ? Donnez, à un avare dix mille écus; de quelque mauvaise grace que vous le faffiez, il fera

« AnteriorContinuar »