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Votre devoir, mon nom, mon cœur en font bleffés;
Et ce cœur eft jaloux des pleurs que vous verfés.
ALZIRE.

Aiés moins de colere, & moins de jaloufie.
Un Rival au tombeau doit caufer peu d'envie.
Je l'aimois, je l'avoüe, & tel fut mon devoir.
De ce monde opprimé Zamore étoit l'efpoir;

Sa foy me fut promife, il eut pour moi des charmes,
Il m'aima: Son trepas me coute encor des larmes.
Vous, loin d'ofer ici condamner ma douleur,
Jugés de ma conftance, & connaiffés mon cœur,
Et quittant avec moi cette fierté cruelle,
Mérités, s'il fe peut, un cœur auffi fidele.

SCENE

GUSMAN.

VI.

On orgueil, je l'avoüe, & fa fincérité

Son orgueil,

Etonne mon courage, & plait à ma fierté.
Allons, ne fouffrons pas que cette humeur altiere
Coute plus à dompter que l'Amérique entiere.
La groffiere Nature, en formant fes appas,
Lui laiffe un cœur fauvage, & fait pour ces Climats!
Le devoir fléchira fon courage rebelle.

Ici tout m'eft foumis, il ne refte plus qu'elle:
Que l'hymen en triomphe, & qu'on ne dife plus
Qu'un Vainqueur & qu'un Maître effuia des refus.
Fin du prémier Alte.

ACTE

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A

ACTE II.

SCENE Í.

ZAMORE, AMERICAINS,

ZAMORE.

Mis, de qui l'audace, aux Mortels peu commune,
Renaît dans les dangers & croît dans l'infortune,
Illuftres Compagnons de mon funefte fort!
N'obtiendrons-nous jamais la vengeance ou la mort?
Vivrons-nous fans fervir Alzire & la Patrie,
Sans ôter à Gufman fa déteftable vie,

Sans punir, fans trouver cet infolent vainqueur,
Sans venger mon Païs qu'a perdu sa fureur?
Dieux impuissants, Dieux vains de nos vaftes Contrées,
A des Dieux Ennemis vous les avés livrées,

Et fix cens Espagnols ont détruit fous leurs coups
Mon Païs, & mon Thrône, & vos Temples, & vous
Vous n'avês plus d'Autels, & je n'ai plus d'Empire.
Nous avons tout perdu, je fuis privé d'Alzire.
J'ai porté mon courroux, ma honte & mes regrets,
Dans les fables mouvants, dans le fond des forêts,
De la Zone brulante, & du milieu du Monde,
L'Aftre du jour avû ma course vagabonde,
Jufqu'aux lieux où ceffant d'éclairer nos Climats

>

B

H

I

* Il ramene l'année, & revient fur fes

pas.

Enfin votre amitié, vos foins, votre vaillance
A mes vaftes défirs ont rendu l'efperance;
Et j'ai cru fatisfaire, en cet affreux féjour,
Deux Vertus de mon cœur, la vengeance & l'amour.
Nous avons raffemblé des Mortels intrépides,
Eternels ennemis de nos Maîtres avides;

Nous les avons laiffés dans ces forêts errants,
Pour obferver ces murs bâtis par nos Tirans.
J'arrive, on nous faifit; une foule inhumaine,
Dans des gouffres profonds nous plonge & nous en
chaîne.

De ces lieux infernaux on nous laiffe fortir,

Sans que denotre fort on nous daigne avertir.

Amis où fommes-nous? ne pourra-t'on m'instruire
Qui commande en ces lieux, quel eft le fort d'Alzire ?
Si Monteze eft efclave & voit encor le jour,
S'il traîne fes malheurs en cette horrible Cour?
Chers & triftes amis du malheureux Zamore,
Ne pouvés-vous m'aprendre un deftin que j'ignore?

UN AMERICAIN.

En des lieux differens comme toi mis aux fers,
Conduits en ce Palais par des chemins divers,
Etrangers, inconnus, chez ce Peuple farouche,

* L'Aftronomie, la Geographie, la Geometrie étoient cultivées au Perou. On traçoit des Lignes fur des Colonnes pour marquer les Equinoxes & les Solftices.

Nous n'avons rien apris de tout ce qui te touche.
Cacique infortuné, digne d'un meilleur fort,
Du moins, fi nos Tirans ont réfolu ta mort,
Tes amis, avec toi prêts à ceffer de vivre,
Sont dignes de t'aimer, & dignes de te fuivre.
ZAMORE.

Après l'honneur de vaincre, il n'eft rien fous les Cieux
De plus grand en effet qu'un trépas glorieux.
Mais mourir dans l'oprobre & dans l'ignominie,
Mais laiffer en mourant des fers à fa Patrie,
Périr fans fe vanger, expirer par les mains
De ces brigans d'Europe & de ces affaffins,
Qui de fang enivrés, de nos tréfors avides,
De ce monde ufurpé défolateurs perfides,
Ont ofé me livrer à des tourmens honteux,
Pour m'arracher des biens plus méprifables qu'eux;
Entraîner au tombeau des citoyens qu'on aime,
Laiffer à ces Tirans la moitié de foi-même,
Abandonner Alzire à leur lâche fureur,

Cette mort eft affreuse, & fait frémir d'horreur.

Bij

SCENE II.

ALVARE'S, ZAMORE. Suite.

ALVARE'S,

Soyés libres, vivés.

ZAMORE.

Ciel! que viens-je d'entendre ?

Quelle eft cette vertu que je ne puis comprendre !
Quel Vieillard, ou quel Dieu vient ici m'étonner!
Tu parois Espagnol, & tu fçais pardonner!
Es-tu Roi? cette Ville eft-elle en ta puiffance?

ALVARE's.

Non; mais j'y puis au moins protéger l'innocence.

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Quel eft donc ton deftin, Vieillard trop généreux :

ALVARE'S.

Celui de fecourir les mortels malheureux.

ZA MORE.

Eh! qui peut t'inspirer cette auguste clémence?

ALVARE'S.

Dieu, ma Religion, & la reconnoiffance.

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