Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ZAMORE,

Dieu, ta Religion! quoi ces Tirans cruels,
Monftres défalterés dans le fang des Mortels,
Qui dépeuplent la terre, & dont la barbarie
En vafte folitude a changé ma patrie,
Dont l'infame avarice eft la fuprême loi,

Mon pere! ils n'ont donc pas le même Dieu que toi?

ALVARE'S.

Ils ont le même Dieu, mon fils, mais ils l'outragent.
Nés fous la loi des Saints, dans le crime ils s'engagent.
Ils ont tous abufé de leur nouveau pouvoir,

Tu connois leurs forfaits; mais connoi mon devoir.
Le Soleil par deux fois a d'un Tropique a l'autre.
Eclairé dans fa marche & ce monde & le nôtre,
Depuis que l'un des tiens, par un noble secours,
Maître de mon deftin, daigna fauver mes jours.
Mon cœur dès ce moment partagea vos miferes.
Tous vos concitoyens font devenus mes freres,
Et je mourrois heureux fi je pouvois trouver
Ce Héros inconnu qui m'a pû conferver.

ZAMORE.

A fes traits, à fon âge, à sa vertu suprême,
C'eft lui; n'en doutons point, c'eft Alvarès lui-même.
Pourrois-tu parmi nous reconnaître le bras,

A qui le Ciel permit d'empêcher ton trépas?

[ocr errors]

ALVARE's.

Que me dit-il? Aproche. O Ciel! â Providence !
C'est lui, voilà l'objet de ma reconnaissance.
Mes yeux, mes triftes yeux affoiblis par les ans,
Hélas! avês-vous pû le chercher fi longtems?
En l'embraffant,

Mon bienfaicteur ! mon fils! parle, que dois-je faire?
Daigne habiter ces lieux, & je t'y fers de pere.
La mort a respecté ces jours que je te doi,
Pour me donner le tems de m'acquitter vers toi,
ZAMORE.

Mon pere, ah! fi jamais ta Nation cruelle
Avoit de tes vertus montré quelque étincelle,
Croi moi, cet Univers aujourd'hui défolé,
Au-devant de leur joug fans peine auroit volé.
Mais autant que ton ame eft bienfaifante & pure,
Autant leur cruauté fait frémir la Nature,
Et j'aime mieux périr que de vivre avec eux.
Tout ce que j'ofe attendre, & tout ce que je veux,
C'eft de fçavoir au moins fi leur main fanguinaire,
Du malheureux Monteze a fini la mifere,
Si le pere d'Alzire.... hélas ! tu vois les pleurs,
Qu'un fouvenir trop cher arrache à mes douleurs,
ALVARE'S,

Ne cache point tes pleurs, ceffe de t'en défendre,

C'eft de l'humanité la marque la plus tendre. Malheur aux cœurs ingrats & nés pour les forfaits Que les douleurs d'autrui n'ont attendri jamais. Apren que ton ami, plein de gloire & d'années, Coule ici près de moi fes douces destinées.

Le verrai-je ?

ZAMORE.

ALVARE'S.

Oui, croi-moi; puiffe-t'il aujourd'hui

T'engager à penser, à vivre comme lui.

ZAMORE.

Quoi Monteze..... dis-tu ?

ALVARE'S.

Je veux que de fa bouche

Tu fois inftruit ici de tout ce qui le touche,
Du fort qui nous unit; de ces heureux liens,
Qui vont joindre mon peuple à tes concitoyens.
Je vais dire à mon fils, dans l'excès de ma joie,
Ce bonheur inoüi que le Ciel nous envoie.
Je te quitte un moment, mais c'eft pour te fervir,
Et pour ferrer les noeuds qui vont tous nous unir.

Bi

SCENE III.

ZAMORE, AMERICAINS.

ZAMORE.

Es Cieux enfin fur moi la bonté fe déclare,

[ocr errors]

Je trouve un homme jufte en ce féjour barbare.
Alvarès eft un Dieu, qui parmi ces pervers
Defcend pour adoucir les mœurs de l'Univers,
Il a, dit-il, un fils. Ce fils fera mon frere.
Qu'il foit digne, s'il peut, d'un fi vertueux pere.
O jour! ô doux espoir à mon cœur éperdu!
Monteze! aprés trois ans, tu vas m'être rendu ;
Alzire, chere Alzire, ô toi que j'ai servie,
Toi pour qui j'ai tout fait, toi l'ame de ma vie,
Serois-tu dans ces lieux! hélas me gardes-tu
Cette fidélité, la prémiere vertu?

Un cœur infortuné n'eft point fans défiance....
Mais quel autre Vieillard à mes regards s'avance?

SCENE IV.

MONTEZË, ZAMORE, AMERICAINS,

C

ZAMORE.

Her Monteze,eft-ce toi que je tiens dans mes bras? Revoi ton cher Zamore, échapé du trépas, Qui du fein du tombeau renaît pour te défendre, Revoi ton tendre ami, ton allié, ton gendre.

Alzire eft-elle ici? parle, quel eft fon fort?
Ache de me rendre ou la vie ou la mort.

MONTEZ E.

Cacique malheureux ! fur le bruit de ta perte,
Aux plus tendres regrets notre ame étoit ouverte,
Nous te redemandions à nos cruels deftins,
Autour d'un vain tombeau que t'ont dreffé nos mains
Tu vis; puiffe le Ciel te rendre un fort tranquile!
Puiffent tous nos malheurs finir dans cet azile !
Zamore! ah! quel deffein t'a conduit en ces lieux ?

ZAMORE.

La foif de te vanger, toi, ta fille, & mes Dieux.

MONTEZ E.

Que dis-tu?

ZAMORE.

Souviens-toi du jour épouvantable, Où ce fier Espagnol, terrible, invulnérable, Renverfa, détruifit jufqu'en leurs fondemens Ces murs que du Soleil ont bâti les enfans.* Gufman étoit fon nom. Le deftin qui m'oprime Ne m'aprit rien de lui que fon nom & fon crime. Ce nom, mon cher Monteze, à mon cœur fi fatal,

Les Péruviens, qui avoient leurs fables comme les Peuples de notre Continent, croyoient que leur premier Inca qui bâbit Cusco, étoit fils du Soleil.

1

« AnteriorContinuar »