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arts.

Mais, MADA M E, le plus grands gé nic, & fûrement le plus défirable, eft celui qui ne donne l'exclufion à aucun des beaux Ils font tous la nourriture & le plaifir de l'ame: y en a-t'il dont on doive se priver? Heureux l'efprit que la Philofophie ne peut déffecher, & que les charmes des Belles Lettres ne peuvent amollir; qui fçait fe fortifier avec Locke, s'éclairer avec Clarke & Newton, s'élever dans la lecture de Ciceron & de Boffuet, s'embellir par les charmes de Virgile & du Taffe!

Tel eft votre génie, MADAME; il faut que je ne craigne point de le dire, quoique: vous craigniés de l'entendre. Il faut que votre exemple encourage les perfonnes de votre Sexe & de votre Rang, à croire qu'on s'embellit encore en perfectionnant fa raison, & que l'efprit donne des graces.

Il a été un tems en France, & même dans tout l'Europe, où les hommes penfoient déroger, & les femmes fortir de leur état, en ofant s'inftruire. Les uns ne fe croïoient nés que pour la guerre, ou pour l'oifiveté; & les autres, que pour la coquéterie.

Le ridicule même que Moliere & Def preaux ont jetté fur les Femmes fçavantes, a femblé, dans un fiécle poli, juftifier les préjugés de la barbarie.

Mais Moliere, ce Législateur dans la morale & dans les bienféancés du monde, n'a

pas affurément prétendu, en attaquant les Femmes fçavantes, fe moquer de la science & de l'efprit. Il n'en a joué que l'abus & l'affectation; ainfi que, dans fon Tartuffe, il a diffamé l'hipocrific, & non pas la vertu.

Si, au lieu de faire une Satire contre les Femmes, l'exact, le folide, le laborieux, l'élégant Defpreaux avoit confulté les Femmes de la Cour les plus fpirituelles, il eût ajoûté à l'art & au mérite de fes Ouvrages, fi bien travaillés, des graces & des fleurs qui leur euffent encore donné un nouveau charme. En vain, dans fa Satire des Femmes, il a voulu couvrir de ridicule une Dame qui avoit appris l'Aftronomie; il eût mieux fait de l'apprendre lui-même.

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L'efprit philofophique, qui en tous païs a toujours fuccedé à celui des Belles Lettres, fait tant de progrés en France depuis quarante ans dans tous les efprits, excepté dans ceux qui feront toujours Peuple, que fi Boi, leau vivoit encore, lui qui ofoit fe mocquer d'une femme de condition, parce qu'elle voioit en fecret Roberval & Sauveur, il feroit obligé de respecter & d'imiter celles qui profitent publiquement des lumieres des Maupertuis, des Réaumur, des Mairan, des Dufay, & des Cleraut; de tous ces, veritables fçavans, qui n'ont pour objet qu'une fcience utile, & qui en la rendant agréable, la rendent infenfiblement néceffaire à notre Naa ij

tion. Nous fommes au tems, j'ose le dire, où il faut qu'un Poëte foit Philofophe, & où une Femme peut l'être hardiment.

Dans le commencement du dernier fiécle, les François apprirent à arranger les mots. Le fiécle des chofes eft arrivé. Telle qui lifoit autrefois Montagne, l'Aftrée, & les Contes de la Reine de Navarre, étoit une Sçavante. Les Deshoullieres & les Daciers, illuftres dans différens genres, font venues depuis. Mais votre Sexe auroit encore tiré plus de gloire de celles qui ont mérité qu'on fit pour elles le Livre charmant des Mondes, & les Dialogues fur la lumiere du Marquis Algaroti, Ouvrage peut-être comparable aux Mon

des.

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Il eft vrai qu'une Femme qui abandonneroit les devoirs de fon état pour cultiver les fciences, feroit condamnable, même dans fes fuccés. Mais, MADA ME, le même efprit qui mène à la connoiffance de la vérité, eft celui qui porte à remplir fes devoirs.

La Reine d'Angleterre, qui a fervi de Mé diatrice entre les deux plus grands Métaphy ficiens de l'Europe, Clarke & Leibnits, & qui pouvoit les juger, n'a pas négligé pour cela un moment les foins de Reine, de Fem me & de Meré.

Chriftine, qui abandonna le trône pour les beaux Arts, fut une grande Reine, tant qu'elle régna. La petite-fille du grand Condé, dans

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laquelle on voit revivre l'efprit de fon Ayeul, n'a-t'elle pas ajouté une nouvelle confidération au fang dont elle eft fortie?

Vous, MADAME, dont on peut citer le nom aprés celui des plus grands Princes, vous faites aux Lettres le même honneur. Vous en cultivés tous les genres. Elles font votre occupation dans l'âge des plaifirs. Vous faites plus; vous cachés ce mérite étranger au monde, avec autant de foin que vous l'avés acquis. Continués, MADAME, à chérir, à ofer cultiver les fciences, quoique cette lumiere, long-tems renfermée dans vous-même, ait éclaté malgré vous. Ceux qui ont répandu en fecret des bienfaits doivent-ils renoncer à cette vertu, quand elle eft malgré eux devenuë publique ?

Eh! pourquoi rougir de fon mérite? L'efprit orné n'eft qu'une beauté de plus. C'eft un nouvel Empire. On souhaite aux Arts la protection des Souverains: celle de la beauté n'eft-elle pas au-deffus ?

Permettés-moi de dire encore qu'une des raifons qui doivent faire eftimer les femmes qui font ufage de leur efprit, c'est que le goût feul les détermine. Elles ne cherchent en cela qu'un nouveau plaifir, & c'est en quoi elles font bien loüables.

Pour nous autres hommes, c'eft fouvent -par vanité, quelquefois par interêt, que nous confumons notre vie dans la culture

des Arts. Nous en faifons les inftrumens de notre fortune; c'eft une espece de profanation. Et je fuis fàché qu'Horace dife de lui; paupertas impulit audax ut verfus facerem. L'indigence eft le Dieu qui m'infpira des vers. La roüille de l'Envie, l'artifice des intrigues, le poifon de la Calomnie, l'affaffinat de la Satire (fij'ofe m'exprimer ainfi) déshonorent parmi les hommes une profeffion qui par elle-même a quelque chofe de divin.

Pour moi, MADAME, qu'un penchant invincible a déterminé aux Arts dès mon enfance, je me fuis dit de bonne heure ces paroles, que je vous ai fouvent repetées, de cé Conful Romain qui fut le pere de la Patrie, de la liberté & de l'éloquence. Studia * adolefcentiam alunt, Senectutem oblectant, fecundas res ornant, adverfis perfugium ac fo-: ·latium præbent; delectant domi, non impediunt foris, pernoctant nobifcum, peregrinantur, rufticantur.,, Les lettres forment la jeuneffe, & font le charme de l'age avancé. La profperité en eft plus brillante. L'adverfité en reçoit des confolations; & dans ,, nos maifons, dans celles des autres, dans les ,, voyages, dans la folitude, en tous tems, en ,, tous lieux, elles font la douceur de notre vie.

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Jeles ai toujours aimées pour elles-mêmes; mais à préfent, MADAME, je les' culti

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