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ve pour vous, & pour mériter, s'il eft poffible, de paffer auprés de vous le refte de ma vie, dans le fein de la retraite, de la paix, peut-être de la vérité, à qui vous facrifiés dans votre jeuneffe les plaifirs faux & enchanteurs du monde, pour joüir d'une amitié pure & refpectable, que vous préferés à ces commerces dangereux, du moins frivoles, qu'on honore fi fauffement du nom de focieté; enfin pour être à portée de dire un jour avec Lucrece, ce Poëte Philofophie dont les beautés & les erreurs vous font fi connuës.

Sed nil dulcius eft, bene quam munita tenere,
Edita doctrina fapientum templa ferena,
Defpicere unde queas alios, paffimque videre
Errare, atque viam palanteis quærere vitæ
Certare ingenio, contendere nobilitate,
Noctes atque dies niti præftante labore
Ad fummas emergere opes, rerumque potiri:
O miferas hominum, mentes! O peɛtora cæca!
Heureux! qui retiré dans le Temple des Sages,
Voit en paix scus fes pieds fe former les orages;
Qui contemple de loin les mortels infenfés,
De leur joug volontaire efclaves empreffés,
Inquiets, incertains du chemin qu'il faut suivre ;
Sans penfer, fans joüir, ignorant l'art de vivre;
Dans l'agitation confumant leurs beaux jours;
Pourfuivant la fortune & rampant dans les Cours
O vanité de l'homme! O foibleffe! O mifere!

Je n'ajouterai rien à cette longue Epître, touchant la Tragedie que j'ai l'honneur de vous dédier. Comment en parler, MADAME, après avoir parlé de vous? Tout ce que je puis dire, c'est que je l'ai compoféc dans votre maison & fous vos yeux. J'ai voulu la rendre moins indigne de vous, en. y mettant de la nouveauté, de la vérité & de la vertu. J'ai effayé de peindre ce fentiment généreux, cette humanité, cette grandeur d'ame qui fait le bien & qui pardonne le mal, ces fentimens tant recommandés par les Sages de l'Antiquité, & épurés. dans notre Religion, ces vraies loix de la nature, toujours fi mal fuivies. J'ai tâché d'être plus homme que Poëte. Vous avés ôté bien des défauts à cet ouvrage, & vous connoiffés ceux qui le défigurent encore. Puiffe le Public, d'autant plus févere à la longue qu'il a d'abord éte plus indulgent, me pardonner, comme vous, mes fautes!

Puiffe au moins cet hommage, que je vous rends, MADAME, périr moins vîte que mes autres Ecrits! Il feroit immortel, s'il étoit digne de celle à qui je l'adreffe.

Je fuis avec un profond respect,

MADAME,

V***

DISCOURS

PRELIMINAIRE.

Ο

N a tâché dans cette Tragédie, toute d'invention & d'une efpece affez neuve, de faire voir combien le véritable efprit de religion Pemporte fur les vertus de la nature.

La Religion d'un barbare confifte à offrir à fes Dieux le fang de fes ennemis. Un Chrétien mal inftruit n'eft fouvent gueres plus jufte. Etre fidéle à quelques pratiques inutiles & infidéle aux vrais devoirs de l'homme, faire certaines priéres & garder les vices; jeuner, mais hair, cabaler, perfécuter, voilà fa Religion. Celle du Chrétien véritable eft de regarder tous les hom❤ mes comme fes freres, de leur faire du bien, & de leur pardonner le mal.

Tel eft Gufman au moment de fa mort, tel eft Alvare dans le cours de fa vie; tel j'ai peint Henri IV. même au milieu de fes foibleffes.

On retrouvera dans prefque tous mes Ecrits cette humanité qui doit être le premier caractere d'un être penfant, on y verra (fi j'ofe m'exprimer ainfi) le défir du bonheur des hommes, l'hor reur de l'injuftice & de l'oppreffion ; & c'est ce

la feul qui a jufqu'ici tiré mes Ouvrages de l'obfcurité où leurs défauts devoient les ensevelir.

Voilà pourquoi la Henriade s'eft foutenuë malgré les efforts de quelques Français jaloux qui ne veulent pas abfolument que la France ait un Poëme épique. Il y a toûjours un petit nombre de Lecteurs, qui ne laiffent point empoifonner leur jugement du venin des caballes & des intrigues, qui n'aiment que le vrai, qui cherchent toûjours l'homme dans l'Auteur. Voilà ceux devant qui j'ai trouvé grace. C'eft à ce petit nombre d'hommes que j'adreffe les réflections fuivantes; j'efpere qu'ils les pardonnerontà la néceffité où je fuis de les faire.

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Un Etranger s'étonnoit un jour à Paris d'une foulé de libelles de toute efpece, & d'un déchaînement cruel, par lequel un homme étoit opprimé. Il faut apparemment, dit-il, que cet homme foit d'une grande ambition, & qu'il cherche à s'élever à quelqu'un de ces poftes qui irritent la cupidité humaine & l'envie. Non, lui répondit-on; c'eft un Citoyen obfcur, rctiré, qui vit plus avec Virgile & Locke, qu'avec Les Compatriotes & dont la figure n'eft pas plus connuë de quelques-uns de fes ennemis, que du Graveur qui a prétendu graver fon Portrait. C'est l'Auteur de quelques Piéces qui vous ont fait verfer des larmes, de quelques Ouvrages dans lefquels, malgré leurs défauts, vous aimez cet efprit d'humanité, de juftice, de liberté qui y regne. Ceux qui le calomnicnt, ce font des

hommes pour la plupart plus obfcurs que lui, qui prétendent lui difputer un peu de fumée, & qui le perfécuteront jufqu'à fa mort, uniquement à caufe du plaifir qu'il vous a donné.

Cet Etranger fe fentit quelque indignation pour les perfécuteurs, & quelque bienveillance pour le perfécuté.

Il eft dur, il faut l'avouer, de ne point obtenir de fes Contemporains & de fes Compatriotes, ce que l'on peut efperer des Etrangers & de la pofterité. Il est bien cruel, bien honteux pour l'efprit humain, que la Littérature foit infectée de ces haines perfonnelles, de ces cabales, de ces intrigues qui devroient être le partage des efclaves de la fortune. Que gagnent les Auteurs en fe déchirant mutuellement? Ils aviliffent une profeflion qu'il ne tient qu'à eux de rendre refpectable. Faut-il que l'art de penfer, le plus beau partage des hommes, devienne une fource de ridicule; & que les gens d'efprit rendus fouvent par leurs querelles le jouet des fots, foient les bouffons d'un Public dont ils devroient être les Maitres.

Virgile, Varius, Pollion, Horace, Tibulle, étoient amis; les monumens de leur amitié fubfiftent, & apprendront à jamais aux hommes que les efprits fuperieurs, doivent être unis. Si nous n'atteignons pas à l'excellence de leur genie, ne pouvons-nous au moins avoir leurs vertus? Ces hommes fur qui l'univers avoit les yeux, qui avoient à fe difputer l'admiration de l'Afie,

a ij

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