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plan fuivi, & des vues raisonnées. Enfin que le génie fe mette en liberté, qu'il deffine en grand, qu'il invente même, s'il le faut, en fe propofant toujours la Nature pour modele. Mais il faut aggrandir les proportions fans les altérer. On veut ajouter aux modeles, & l'on fait fouvent grimacer la Nature au lieu de l'embellir; on s'en éloigne au lieu de l'imiter : il faut un don particulier pour l'orner avec des traits qu'elle puiffe avouer, avec ce beau fimple qui eft fon caractère propre, avec ce feu qui anime & vivifie tout, avec cette noble hardieffe qui éleve l'ame, & qui fait jouir les fens du fpectacle de la Divinité même. Mais qu'il eft rare d'atteindre à ce talent précieux, qui crée en quelque forte de nouveaux objets, pour les rendre plus accomplis, plus féduifants! C'est le propre des vaftes & puiffans génies qui tendent au fublime par des voies connues d'eux feuls.

*

SECTION VI

De l'Art de difpofer.

Ce que l'on vient de dire, regarde le détail des Arts & le choix le plus convenable au fujet qu'on exécute; mais cela ne fuffit point pour plaire; il faut encore difpofer ces objets, les lier, en faire un ensemble agréable. La difpofition dont on parle ici, est un ordre qu'on doit donner à toutes chofes, afin que les fens & l'efprit embraffent facilement ce qui leur eft préfenté. On doit affigner à toutes les parties d'une compofition la place qui leur eft la plus avantageuse, obferver la gradation, & ménager l'interêt néceffaire entre ces parties. Tout ne doit pas attirer également l'attention; l'objet principal doit fe faire fentir d'abord, & nous faifir en quelque forte. Les objets en particulier peuvent être du meilleur choix & parfaits en eux-mêmes, cependant ne produire aucun plaifir, & paroître froids & défagréables dans leur union, s'ils ne font pas difpofés avantageusement. C'est donc la disposition qui les fait valoir, & qui leur donne un prix : elle est le dernier effort de l'industrie & le ça

ractere le moins équivoque du talent & du génie. En effet, il femble qu'il en coute moins d'inventer que de difpofer. C'est par-là que les compofitions péchent ordinairement. On trouve dans la plupart des ouvrages, dans ceux de nos meilleurs maîtres, beaucoup de beautés de détail; chaque partie eft travaillée avec foin; mais rarement voiton un ensemble parfait. On facrifie l'unité d'objets, & la gradation fi effentielle des parties au tout, pour des beautés acceffoires. On fait perdre de vue l'objet principal, on distrait l'attention, on la partage. Eft-il donc fi difficile de difpofer? Oui fans doute, ceci demande une vue générale pour embraffer tous les objets à la fois, du gout pour leur donner le rang le plus convenable, du jugement pour ne pas outrer les beautés de détail, du talent pour éxécuter chaque chofe dans le ton qui lui eft propre. Enfin la distribution eft dans les beaux Arts cet à propos qui plaît, ce je ne fais quoi qui flatte, cette belle harmonie qui enchante, & elle doit être regardée comme le dernier degré, & comme le fceau de la perfection.

CHAPITRE III.

Des Difficultés extérieures aux beaux Arts pour leurs établissemens & pour leurs progrès.

ON fent par-tout ce qui vient d'être

expofé, combien il y a d'obstacles à furmonter pour parvenir à ce que les Arts fe propofent. On ne réuffit à plaire que par beaucoup de foins & de peines. Les hommes ont fatisfait affez facilement à leurs besoins; mais tout a été contr'eux, lorfqu'ils ont voulu créer des plaifirs.

Cependant quelles que foient les difficultés qu'on rencontre dans l'exécution, elles ne font pas comparables aux obstacles qui, provenant de causes étrangeres, étouffent les beaux Arts dans leur naiffance, & font mourir le germe même des talens.

Ces difficultés extérieures peuvent naître de la Nature du climat, ou de l'efprit du gouvernement, ou de la fituation des affaires. Un leger examen rendra fenfible ce que l'on vient d'avancer, & prouvera de plus en plus que

des circonftances nombreuses doivent concourir pour le progrès des beaux Arts, & qu'on doit regarder comme rare & très-précieux le privilége des peuples qui jouiffent de leur présence & de leurs aimables productions.

SECTION I.

De la Température du climat.

On ne fauroit diffimuler que la température d'air d'un pays n'influe beaucoup fur l'inclination des peuples. Ceux qui habitent fous un Ciel rigoureux ne fongent qu'à leurs plus preffants befoins; rarement & prefque jamais à leurs plaifirs. Les Arts qui demandent tant de foins, d'application & de loifir pourroient-ils être cultivés par des hommes qui ont toujours à combattre un froid exceffif, ou par une nation abbatue fous le poids continuel d'une chaleur brulante? C'eft dans des régions tempérées que les Arts aiment à faire leur féjour, & principalement dans ces contrées délicieuses où la terre fe couvre de richesses. Les beaux jours du printemps & de l'été échauffent le génie, & lui donnent de l'activité pour

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