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ftacles à furmonter dans cette carriere où tout, en quelque forte, tend à nous arrêter & à nous égarer. Le gout eft une lumiere qui ne s'épure qu'avec beaucoup de temps, & par des degrés prefqu'infenfibles. C'est le feu des Veftales auprès duquel il faut toujours veiller. Bientôt ce flambeau divin, cette flamme dugénie, le Gout en un mot s'altere s'obfcurcit, s'éteint, lorfqu'on n'apporte pas toujours la même attention, & les mêmes moyens pour l'entretenir, & pour le conferver.

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CHAPITRE IV. . Caufe de la décadence du gout dans les beaux Arts.

NOUS

Ous ne donnerons pas ici pour caufes de la décadence du gout, la mobilité des choses humaines, qui ne peuvent le foutenir dans le même point; la néceffité qu'il y a de defcendre, lorfqu'on eft arrivé au comble de la grandeur & de la perfection; * les influences de l'air, & mille autres caufes occultes qui étourdiffent la raison, fans la fatisfaire. Mais tels font les fignes qu'on peut regarder comme les funeftes avantcoureurs de la révolution du gout dans les beaux Arts, la négligence de l'étude de la Nature, l'envie de fe fingularifer, l'amour de la nouveauté, la partialité des Protecteurs, le luxe de l'imagination préferé au beau fimple du génie, enfin le trouble dans les affaires publiques.

*Tel eft le fort des chofes humaines ( dit Ciceron) leur élevation annonce leur chute, & elles périffent quand elles font arrivées au point de leur grandeur.

Invida fatorum feries, fummifque negatum

Stare diù. Lucain.

SECTION I.

Négligence de l'étude de la Nature.

Les études qui ont conduit à la découverte des Arts font pareillement néceffaires à leur confervation. La belle Nature eft dans tous les temps notre modele, & l'on ne doit point la négliger, parce qu'on a devant les yeux les ouvrages des grands Maîtres. Ces Hommes célébres peuvent faciliter les moyens de l'envifager, de la fentir, de la rendre; mais ils ne doivent pas exempter de la confulter, d'y recourir fans ceffe. En effet nous n'admirons leurs chefs-d'œuvres que parce qu'ils préfentent l'imitation de la Nature; mais tel eft l'abus général, on confulte des copies, & l'on néglige les mode-. les. On regarde les morceaux eftimés qui font fortis de la main des Artistes, comme devant faire l'objet capital du travail, & la Nature eft regardée comme une étude acceffoire. Par une fuite néceffaire de cette inconféquence, on adopte les défauts d'autrui, on dégrade les beautés de l'Art en voulant s'approprier celles de l'Artifte. Ce feu créateur du génie qui s'emprunte de la Na

Il

ture, s'éteint peu à peu. On fubftitue des êtres d'imagination à des êtres réels. On ne voit plus alors le spectateur fe récrier fur le preftige de l'Art déguifé fous les traits de la Nature. Il ne dit plus dans le transport de fon admiration, que cela eft vrai! que cela eft fenfible! II fait affez froidement l'éloge du talent & de l'efprit de l'Artifte: Cela eft, diton, dans la maniere d'un tel maître, cela eft dans le gout d'une telle école. Louange foible, & qui paroîtra un vrai reproche à tout efprit fenfé. L'homme de génie puise la beauté de fes ouvrages dans la Nature, & ne peut-être comparé qu'à lui-même. Qu'on me dife à qui reffemble Homere, Raphaël, Moliere, Corneille, Lafontaine ? Peut-être ces puiffans génies n'auroient-ils pas été ce qu'ils font, s'ils avoient été précédés par d'autres génies comme eux. Cette réflexion paroîtra fans doute hazardée ; mais qu'on y faffe attention; il n'eft que trop ordinaire qu'un grand nom produise beaucoup d'imitateurs. Un chef-d'œuvre de l'Art borne les talens, en captivant l'admiration; on oublie la Nature pour étudier les productions d'un grand maître; & comme il eft néceffaire que les copies foient inférieures à l'original,

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une foule de foibles Artiftes marchent à la fuite d'un grand homme. O Imitatores, fervum pecus! Horat.

La fervile admiration qui fait négliger l'étude de la Nature, peut donc être regardée comme une des premieres caufes de la décadence du gout.

SECTION II.

Defir de fe fingularifer.

L'envie de fe fignaler qui eft un des motifs les plus louables & les plus efficaces pour le progrès des beaux Arts, peut être auffi une des caufes qui préjudicient davantage à leur gloire & à leur confervation. En effet parmi tant de rivaux qui courent la même carriere, il n'en eft aucun qui ne cherche à se faire remarquer. Tous n'ont pas le génie & le talent néceffaires pour arriver au but. Mais il en eft qui par leurs intrigues en quelque forte, & par leur fingularité, attirent fur eux les regards des fpectateurs. Ils cédent aux cris de la multitude qui demande du nouveau, ils parviennent enfin par leur coupable complaifance à fe former des protecteurs & des admirateurs. Il eft vrai que ces fuccès brillants font de peu de durée.

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