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92.

des tranfports trop violens.

Il declare qu'en s'affligeant de la forte, ils témoignent fe défier de la vertu & des merites des défunts, n'être pas affez perfuadez de leur bonheur dans l'autre vie, & craindre même qu'ils ne foient dans les peines & dans les

tourmens.

Il ajoûte qu'il leur feroit beaucoup plus honorable que leur douleur cedât plûtôt aux lumieres de la raifon, qu'à la longueur du tems; que c'eft outrager les défunts d'aimer mieux que le cours des années les faffe oublier, que de fe confoler de leur perte par les principes de la Religion; & que pour témoigner qu'on les eftimoit & qu'on les cheriffoit, il faut se mettre en état de s'occuper avec plaifir de leur memoire, bien loin de s'en troubler, & d'en craindre même la pensée.

Saint Auguftin écrivant à une fainte Vierge pour la confoler de la mort de fon frere,& à une veuve fur la perte qu'elle venoit de faire de fon mari, leur marque expreffement que leur dou253. leur ne doit point être femblable à celle des infideles,qui font inconfolables à la mort de leurs parens & de leurs amis : mais que la foi,l'efperance, & la charité doivent moderer leur affiction & les confoler; parceque la foi leur enfei→ gne que ceux qui meurent parmi nous, vivent encore devant Dieu par la principale partie d'eux mêmes, en attendant que leurs corps réfufcitent & vivent de nouveau; parce qu'ils doivent efperer de fuivre bien-tôt ceux qu'ils perdent prefentement, & de leur être réunis dans tres peu de tems; parceque leur charité fi elle eft veritable, doit leur donner de la joie à la vûë du bonheur de leurs parens & de leurs amis,qui voient Dicu, & qui le poffedent pour toute l'é

ternité.

Ce grand Saint étoit autrefois tombé dans le

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défaut que nous blâmons, & qu'il a lui-même depuis blâmé car il avoit conçu une douleur exceffive de la mort d'un de fes amis: Il s'en accufe dans fes confeffions avec beaucoup d'humilité, & il en demande pardon à Dieu. » La «c^onfess. douleur de fa perte, di-il, remplit mon cœur ib. de tenebres. Je ne voïois autre chofe devant mes « cap. yeux que l'image de la mort. Mon païs m'étoit ce un fupplice; la maifon de mon pere m'étoit en ce horreur : tout ce qui m'avoit plû en fa compa- ce gnie, m'étoit devenu fans lui un fujet de tour- ce ment & d'affliction: mes yeux le cherchoient « par tout, & ne le pouvoient trouver: & je haïf- « fois toutes les chofes que je voiois, parceque «e je ne le voïois point en aucune d'elles, & qu'elles ne pouvoient plus me dire: il viendra bien- ce tôt, comme elles me le difoient durant la vie; ee lorfqu'il fe trouvoit absent. Ainfi je devins im- ce portun à moi-même, en m'interrogeant fans сс ceffe, & demandant à mon ame pourquoi elle ce étoit trifte, & me troubloit de la forte. Voilà & capi l'état où j'étois alors. Je pleurois tres-amere- «7 ment, & je ne trouvois point d'autre confola- « tion que dans l'amertume des mes larmes. се

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Quelle folie, continue ce grand Saint, de ne ce fçavoir pas aimer des hommes comme des hom- « mes! Et que l'homme eft peu fage de fouffrir ce avec tant d'impatience ces infortunes humai- ce nes? Je m'agitois, je foupirois, je pleurois, « & j'étois en trouble, fans trouver aucun repos, << & fans fçavoir à quoi me refoudre. Car je por- ce tois mon ame toute dechirée & toute enfan- ce glantée. Elle ne pouvoit fouffrir de demeurer « dans mon corps, & je ne fçavais où la mettre. «e Elle ne trouvoit point de foulagement, ni dans «e les bois les plus agreables, ni parmi les jeux ce & la mufique, ni dans les lieux les plus odori- ce ferans, ni dans les feftins les plus fomptueux, ni dans les voluptez de la chair, ni dans les li- «

6. in cantica.

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vres, ni dans les vers, toutes chofes & la lamiere même m'étoit en horreur; & tout ce qui 5 n'étoit point mon ami m'étoit devenu infupportable, excepté les larmes & les foupirs dans lefquels feuls je trouvois un peu de foulagement. Ces paroles fi humbles de ce grand Saint font une leçon pour nous tous, elles nous avertiffent d'éviter les foibleffes de fa vie paffée : elles nous apprennent en quelle difpofition nous devons fouffrir la perte des perfonnes qui nous font les plus chers.

Non feulement faint Bernard condamne ceux qui pleurent avec excès la mort de leurs amis & de leurs parens; mais il remarque que les larmes que plufieurs des gens du monde verfent en ces rencontres, font des larmes d'ambition, d'avarice, & de cupidité. Que les uns Serm. s'affligent de la perte des biens temporels qu'ils obtenoient par le credit des défunts. Que les autres regrettent les honneurs que leurs amis & leurs parens leur auroient procurez. Que les autres font contriftez de n'avoir plus le moïen de contenter leurs paffions fecrettes & favorites. Que d'autres fe lamentent dans la vûë des peines & des incommoditez aufquelles ils feront deformais expofez. S. Jean Chryfoftome obferve à ce propos qu'il y a quelquefois des veuves Homil. qui verfent des larmes, fans être touchées de 61. in la mort de leurs époux, & feulement pour garJoannem der une bienfeance humaine; pour le faire efti

mer dans le monde; pour témoigner à l'exterieur qu'elles ont beaucoup aimé les défunts; & quelquefois même pour trouver plus facilement d'autres maris.

Ainfi l'affliction en ces rencontres peut meriter d'être condamnée pour deux raisons. Premierement à caufe de fa trop grande violence, des larmes trop abondantes qu'elle fait verfer, & des excès dans lefquels elle precipite ceux

qui s'en laiffent dominer. En fecond lieu à caufe des motifs humains, charnels, & corrompus qui l'excitent & qui l'entretiennent. Les chrétiens qui perdent leurs amis & leurs parens, doivent donc veiller avec beaucoup de foin fur eux mêmes par rapport à ces deux défauts, Ils doivent éviter de s'attrifter & de s'affliger avec excès, de peur d'imiter l'infidelité des Gentils & des païens,qui n'ont point l'efperance de la résurrection, qui ne penfent point à l'autre vie, qui croient que tout paffe avec celleci, & qui n'attendent point les biens éternels. Ils doivent bannir de leur douleur & de leur affliction les pensées d'interêt, les motifs de va→ nité & d'ambition, & toutes les vûës humaines. A moins de cela les larmes qu'ils versent bien loin de les purifier & de leur être meritoires, les fouillent, les corrompent, & les rendenţ criminels aux yeuxde Dieu.

Si l'on demande maintenant en quelle difpofition nous devons être pour fouffrir chrétiennement la mort de nos parens & de nos amis nous répondrons en peu de paroles, qu'il faut en détacher nôtre cœur, les offrir à Dieu en facrifice, les remettre volontiers entre les mains de fa fouveraine Majefté, reconnoître qu'il en eft le maître absolu, qu'ils lui appartiennent, & qu'il a droit de nous les redemander à toute heure, & d'en difpofer felon fa volonté qui eft toûjours jufte & toûjours équitable.

Il faut pleurer leur mort pour fatisfaire aux devoirs de la nature & de la Religion; mais il faut que le cours de nos larmes foit reglé par la pieté & par la foy, enforte qu'elles ceffent de couler après quelque tems, & que nous foïons fufceptibles des confolations que Dieu nous prefente.

Il faut faire reflexion que nous n'étions pas digues de les poffeder, & que Dieu nous les a

enlevez pour nous punir de nos infidelitcz,& du peu de foin que nous avons eu de profiter de leurs exemples, & d'imiter leurs vertus.

Il faut confiderer que la mort les a affranchis d'une infinité de miferes, de maux, de tentations, & de pechez aufquels on 'eft toû jours fujet pendant la vie prefente; & qu'ainfi ils ont été tirez de fervitude, & rendus participans de la liberté des enfans de Dieu.

Il faut fe réjouir de ce qu'ils ont fi heureusement fourni leur carrière, achevé leur course, & confommé leurs combats; de ce que leurs vertus ont été males en affurance entre les mains de Dieu, & de ce qu'ils ne pourront plus les perdre, ni en déchoir pendant toute l'éternité.

Il faut louer Dicu de ce qu'il leur a accordé le don de la perfeverance, qu'il les a récompenfez avec tant de liberalité & de profufion, qu'il les a mis en poffeffion de fon roiaume, & qu'il leur a diftribué la couronne de Juftice qu'il leur avoit préparée par fon infinie mifericorde.

Il faut être perfuadé que s'affliger de leur mort, c'eft en quelque maniere envier leur bonheur: En effet puifque nous avons droit d'efperer qu'ayant rempli tous leurs devoirs, & accompli toute juftice, ils voient Dieu, ils le contemplent, ils le poffedent, eft-il raifonnable de fe laiffer aller à la triftefle à la vûë de leur gloire & de leur felicité ?

Quoi qu'on ait tant de raifons d'efperer qu'ils font dans la paix & dans le repos, il faut neanmoins fe mettre en devoir de les fecourir & de les affifter, en cas qu'ils foient encore redevables à la justice divine. Ainfi la charité veut que nous offrions pour eux des prieres, des aumônes, des jeûnes, de bonnes œuvres, & furtout le facrifice de nos Autels, afin d'avancer leur bonheur, & de rompre tous les obftacles qui les empêchent de s'aller repofer dans le fein de Dieu.

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