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tombent auffi tôt dans des craintes & des fraïeurs qui les agittent, & qui les troublent ;; qu'ordinairement même ils ne croient point qu'il y en ait ; & que s'ils en parlent en quelques rencontres, c'eft par hypocrifie, fans en être perfuadez, & feulement pour fe conferver quelque honneur dans le monde, & depeur d'y paffer pour des impies & pour des li bertins declarez.

Il n'eft pas même neceffaire de penetrer ni de fouiller dans le fecret de leur cœur, pour avoir droit de dire, que les Jugemens de Dieu font effacez de devant leurs yeux:car leur conduite & toutes leurs actions exterieures en rendent affez de témoignage. Ils agiffent en toutes rencontres avec tant de paffion, ils font paroître tant d'ardeur & tant de colere, ils font fi injuftes, fi cruels, fi inhumains, ils s'emportent à de fi grands excés ; qu'il eft manifefte à tout le monde,ou qu'ils ne croient point un Jugement dernier, ou que s'ils en reconaoiffent un, ils n'en tiennent aucun compte, & le méprifent.

3. La profperité eft même tres-fouvent funefte aux juftes & aux plus honnêtes gens: ear elle fait qu'ils s'attachent à la terre, qu'ils. aiment la vie prefente, qu'ils ne veulent point t la quitter, & qu'ils ne defirent plus avec la même ardeur qu'autrefois d'être -introduits Ep.45 dans la Jerufalem celefte Le monde, dit "faint Auguftin, eft plus dangereux pour nous, » quand il nous carefle, que quand il nous afflige » & nous tourmente; parce que fes careffes nous " portent infenfiblement à l'aimer, au lieu que

fes difgraces ne contribuent qu'à nous en don »ner du degoût & du mépris. Tout ce que l'on » voit dans le monde n'étant que concupifcence » de la chair, ou concupifcence des yeux, ou orgueil de la vie, ceux-mêmes qui préferens:

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les biens fpirituels, invifibles & éternels, à ce tous les faux biens de la cupidité, ont fouvent beaucoup de peine à défendre leur cœur de c l'amour des chofes de la terre. It s'y gliffe infenfiblement & il a toûjours quelque part à leurs ce meilleurs actions; parce qu'autant qu'il est vrai que les biens du fiecle futur font les meilleurs ce & les plus excellens par rapport à la charité, « autant eft-il certain que ceux de la vie presente ont plus de pouvoir fur nôtre infirmité.

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Les Juftes, dit auffi S. Gregoire Pape, fupportent avec peine la profperité temporelle, parce qu'elle diminue la ferveur de leur ame, & ils ne reçoivent qu'à regret les faveurs de la fortune, parce qu'elles ralentiffent l'ardeur de leurs faints defirs. Et de vrai les honneurs du monde nous occupent & nous détournent davantage des choles de Dieu, que les mépris; & le bonheur de la profperité nous nuit beaucoup plus que la mifere de l'adverfité parce- « qu'il arrive ordinairement que quand l'homme exterieur fe trouve affligé, l'interieur fe porte avec plus de force & de liberté à rentrer ce en foi même, pour y chercher les biens veritables. Au lieu que dans la bonne fortune l'efprit étant comme forcé de donner fon atten- ce tion à plufieurs chofes, ce partage rallentit ce beaucoup l'activité de fes bons defirs.

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nit. 279

Ce faint Pontife étoit tellement perfuadé Paftoral. que la profperité fait pancher le cœur de l'hom cura part me vers la terre, & eft caufe qu'il s'y attache, qu'il marque expreffement dans fon Paftoral que ceux qui conduisent le troupeau de JefusChrift, doivent avoir foin d'avertir les Fideles qui réuffiffent dans toutes leurs entreprises, & qui jouiffent d'une abondante fortune, de ne pas negliger de tendre vers celui dont ils ont reçû tous leurs biens, en s'attachant à ces mê mès biens; de ne pas aimer le lieu de leur pele

Numer. 32

rinage au préjudice de leur patrie; de ne pas fouffrir que les chofes qui ne leur ont été données que pour les foûtenir & les confoler pendant le cours du chemin qu'ils ont à faire icibas, ne retardent leur courfe, & ne les empêchent d'arriver à la fainte Sion; de ne pas fe plaire tellement à marcher à la lueur de la Lune pendant la nuit de cette vie, qu'ils ne defirent plus de jouir de la pleine lumiere du Soleil; & de ne pas regarder ce qu'ils poffedent en ce monde comme la recompenfe & la retribution de leurs peines & de leurs travaux, mais feulement comme un adouciffement & un foulagement de leur miseres.

L'on peut alleguer fur ce fujet l'exemple des tribus de Ruben & de Gad & de la moitié de celle de Manaffé, qui ayant beaucoup de beftiaux & de grandes richeffes, ne voulurent point paffer le Jourdain, & renonçerent à la poffeffion de la terre promife, pour s'établir dans les pars qui étoient de l'autre côté de ce fleuve Car c'eft là ce qui arrive à la plupart de ceux qui vivent ici bas dans l'abondance. Ils fe trouvent bien fur la terre ; ils ne penfent qu'à y faire de grands établiffemens; ils ne peuvent fe refoudre d'en fortir; & s'ils ne renoncent pas ouvertement à la poffeffion de la terre des vivans, dont parle le Prophete, ils ne témoignent pas au moins beaucoup d'empreffement d'y entrer; ils ne gemiffent point de vivre fi long-tems dans ce bas monde ; & ils ne difent point fincerement avec David: » Helas que nôtre exil eft long: Nous vivons

ici bas parmi les habitans de Cedar:il y a long» tems que nôtre ame eft étrangere: ni avec faint » Paul Nous defirons avec ardeur d'être de» gagez des liens de nôtre corps, & de jouïr de' Jefus-Chrift. Bien-loin d'avoir ces fentimens, » ils fe plaignent & ils s'affligent aux approches

de la mort ils ne peuvent en entendre parler fans fe troubler; ils fuient avec empreffement tout ce qui pourroit les y conduire; & ils ne font jamais plus contens que lorsqu'on leur promer une longue vie & une fanté parfaite : tant il eft vrai que les grandes profperitez attachent à la terre le cœur de ceux qui en jouiffent, & rallentiffent en eux le defir de la felicité éternelle.

4. Les faints Peres nous enfeignent que fouvent les plus juftes & les plus parfaits fe relâchent de leur feverité ordinaire pendant la profperité; qu'ils menent une vie plus douce & plus commode qu'auparavant, qu'ils s'accordent plufieurs fecours & plufieurs foulagemens dont ils fe, paffoient autrefois tres-facilement; qu'ils deviennent plus délicats dans leur boire & dans leur manger; qu'ils croient être infirmes & avoir de grands befoins; qu'ils ufent de meubles & d'habits plus propres qu'à l'ordinaire, qu'ils fe répandent dans le monde,qu'ils frequentent beaucoup de compagnies; & qu'ils goûtent les joies & les plairs du fiecla, dont ils témoignoient autrefois beaucoup d'éloignement. « Qu'il eft rare, dit faint Ber- eelib. si nard, de trouver des gens qui ne fe relâchent « 'e confi. point de leur vigilance & de leur exactitude or- « dinaire pendant la profperité, & qui n'amo. « liffent pas alors leur vie & leur conduite, mê- «e me fans s'en appercevoir. Leur ame s'évapore ce & fe fond pour ainfi dire, infenfiblement com- « me la cire auprés du feu, & comme la neige & la glace aux raïons du Soleil. David a été « fage, Salomon a été fage: mais la profperité les a fait tomber, l'un dans un égarement paffager, l'autre dans l'abîme du peché. Celui là «c cf grand, qui éprouvant l'adverfité, ne perd ee rien de fa premiere fageffe. Mais celui-là n'eft a pas certainement moins grand, qui jouïssant

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s d'une parfaite felicité, n'en reçoit aucun préjudice. Vous en trouverez même davantage qui confervent leur fageffe & leur innocence » dans l'adverfité, que vous n'en trouverez qui » ne la perdent pas pendant la profperité. Il faut » donc combler de louanges celui qui au milieu

d'une grande profperité, ne fe laiffe point → aller à des ris indecens, à des difcours fiers & » infolens, au luxe des habits, ni à un foin im"moderé de fa fanté.

5. Non feulement la profperité eft cause que les Fideles fe relâchent de leurs devoirs & de leur regularité ordinaire; mais encore qu'ils fe corrompent, & qu'ils tombent dans des pe

chez énormes & dans des crimes fcandaleux. L'exemple de David & de Salomon, dont on vient de parler, le juftifie affez:car ils ne fe font emportez aux excés marquez dans l'écriture, que lorfqu'ils ont été en paix & dans l'abondance. Une infinité de Chrétiens tombent encore tous les les jours dans un femblable malheur: car combien en voit on qui font fervir leurs richeffes à leurs debauches & à leurs diffolutions; qui prennent occafion du repos dont ils jouiffent, pour lâcher la bride à leurs paffions, & qui ne gardent aucune mesure ni aucune moderation dans leur conduite exterieure, parce qu'ils le figurent qu'ils ne font riches que pour contenter leur vieil homme, & pour donner à leur concupifcence tout ce qu'elle peut defirer ; & que c'eft-là la prerogative de leur état & de leur condition. Mais qu'ils fçachent que c'eft abufer honteufement de leurs biens; que c'eft fe fervir des dons de Dieu pour l'offenfer & pour l'irriter; que c'eft felon l'expreffion des faints Peres, être riche contre le Seigneur. Car ils ne l'offenfent avec tant d'emportement & tant de fureur, que parce qu'ils ont de grands biens, & qu'ils ont reçû de fon

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