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Et souple à la raison, corrigez sans murmure. Mais ne vous rendez pas dès qu'un sot vous re

prend. Souvent dans son orgueil un subtil ignorant, Par d'injustes dégoûts combat toute une pièce, Blâme des plus beaux vers la noble hardiesse. On a beau réfuter ses vains raisonnemens, Son esprit se complait dans ses faux jugemens; Et sa foible raison, de clarté dépourvue, Pense que rien n'échappe à sa débile vue.

à Ses conseils sont à craindre; et si vous les croyez, Pensant fuir un écueil, souvent vous vous noyez.

Faites choix d'un censeur solide et salutaire Que la raison conduise, et le savoir éclaire : Et dont le crayon sûr , d'abord aille chercher L'endroit

que l'on sent foible et qu'on se veut

cacher. Lui seul éclairera vos doutes ridicules ; De votre esprit tremblant levera les scrupules. C'est lui qui vous dira, parquel transport heureux Quelquefois dans sa course un esprit vigoureux, Trop resserré par l'art, sort des règles prescrites, Et de l'art même apprend à franchir leurs limites. Mais ce parfait censenr se trouve rarement. Tel excelle à rimer qui juge sottement ; Tel s'est fait par ses vers distinguer dans la ville, Qui jamais de Lucain n'a distingué Virgile.

Auteurs, prêtez l'oreille à mes instructions: Voulez-vous faire aimer vos riches fictions ? Qu'en savantes leçons votre nuse fertile Par-tout joigne au plaisant le solide et l'utile. Un lecteur sage

fuit

un vain amusement Et veut mettre à profit son divertissement. Que votre ame et vos moeurs, peintes dans vos

ouvrages, N'offrent jamais de vous que de nobles images. Je ne puis estimer ces dangereux auteurs, Qui de l'honneur en vers infames déserteurs,

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Trahissant la vertu sur un papier coupable,

Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable.

Je ne suis pas pourtant de ces tristes esprits', Qui bannissant l'amour de tous chastes écrits, D'un si riche ornement veulent priver la scène; Traitent d'empoisonneurs et Rodrigue et Chi

mène.

L'amour du moins honnête, exprimé chastement,
N'excite point en nous de honteux mouvement.
Didon a beau gémir, et m'étaler ses charmes,
Je condamne sa faute en partageant ses larmes.
Un auteur vertueux dans ses vers innocens
Ne corrompt point le cœur, en chatouillant les

sens:

Son feu n'allume point de criminelle flamme. Aimez donc la vertu, nourrissez-en votre ame. En vain l'esprit est plein d'une noble vigueur ; Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.

Fuyez sur-tout, fuyez ces basses jalousies,
Des vulgaires esprits malignes frénésies;
Un sublime écrivain n'en peut être infecté ;
C'est un vice qui suit la médiocrité.

Du mérite éclatant cette sombre rivale
Contre lui chez les grands incessamment cabale;
Et sur les pieds en vain tâchant de se hausser,
Pour s'égaler à lui, cherche à le rabaisser.
Ne descendons jamais dans ces lâches intrigues.
N'allons point à l'honneur par de honteuses bri-

gues.

Que les vers ne soient pas votre éternel emploi.
Cultivez vos amis, soyez homme de foi.
C'est peu d'être agréable et charmant dans un
livre,

Il faut savoir encor et converser et vivre.
Travaillez pour la gloire, et qu'un sordide gain.
Ne soit jamais l'objet d'un illustre écrivain.

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Je sais qu'un noble esprit peut, sans honte et sans

crime, Tirer de son travail un tribut légitime : Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés , Qui dégoûtés de gloire, et d'argent affainés, Mettent leur Appollon aux gages d'un libraire, Et font d'un art divin , un métier mercenaire. Avant que la raison, s'expliquant par la voix,

, Eût instruit les humains, eut enseigné des loix, Tous les hommes suivoient la grossière nature; Dispersés dans les bois couroient à la pâture. La force tenoit lieu de droit et d'équité ; Le meurtre s'exerçoit avec impunité. Mais du discours enfin l'harmonieuse adresse: De ces sauvages mæurs adoucit la rudesse; Rassembla les humains dans les forêts épars , Enferma les cités de murs et de remparts ; De l'aspect du supplice effraya l'insolence, Et sous l'appui des lois mit la foible innocence. Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers. Delà sont nés ces bruits reçus dans l'univers , Qu'aux accens dont Orphée emplit les inonts de

Thrace, Les tigres amollis dépouilloient leur audace: Qu'aux accords d'Amphion les pierres se mou

voient. Et sur les murs Thébains en ordre s'élevoient. L'harmonie, en naissant, produisit ces miracles. Depuis le ciel en vers fit parler les oracles; Di sein d'un prêtre ému d'une divine horreur , Apollon par

des vers exhala sa fureur. Bientôt ressuscitans les héros des vieuxâges , Hornère aux grands exploits anima les courages. Hésiode à son tour

d'utiles leçons, Des champs trop paresseux vient håter les mois. En mille écrits fameux la sagesse tracée, l'ut, à l'aide des vers, aux mortels annoncée;

par

sons.

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Et par-tout des esprits ses préceptes vainqueurs
Introduits par l'oreille, entrèrent dans les caurs.
Pour tant d'heureux bienfaits, les muses révérées
Furent d'unjuste encens dans la Grèce honorées ;
Et leur art attirant le culte des mortels ,
A sa gloire en cent lieux vit dresser des autels.
Mais enfin l'indigence anenant la bassesse,
Le Parnasse oublia sa première noblesse.
Un vil amour du gain infectant les esprits,
De mensonges grossiers souilla tous les écrits;
Et par-tout enfantant mille ouvrages frivoles,
Trafiqua du discours, et vendit les paroles.

Ne nous flétrissez point par un vice si bas,
Si l'or seul a pour vous d'invincibles appas,
Fuyez ces lieux charmans qu'arrose le Permesse :
Ce n'est point sur ses bords qu'habite la richesse.
Aux plus savans auteurs,comme aux plus grands

guerriers,
Apollon ne promet qu'un nom et des lauriers.
Mais, quoi ? dans la disette une muse affamée,

dira-t-on, subsister de fumée.
Un auteur , qui pressé d'un besoin importun ,
Le soir entend crier ses entrailles à jeun,
Goûte peu d'Hélicon les douces promenades.
Horace a bu son saoul, quand il voit les Ménades;
Et libre du souci qui trouble Colletet,
N'attend

pas pour dîner, le succès d'un sonnet,
Il est vrai; mais enfin cette affreuse disgrace
Rarement parmi nous afflige le Parnasse :
Et que craindre en ce siècle, où toujours les beaux

arts
D'un astre favorable éprouvent les regards ;
Où d'un prince éclairé la sage prévoyance
Fait par tout au mérite ignorer l'indigence ?

Muses, dictez sa gloire à tous vos nourrissons.
Son nom vaut mieux pour eux que toutes vos le-

çons. Que Corneille, pour lui rallumant son audace,

Ne peut pas ,

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Soit encor le Corneille et du Cid et d'Horace.
Que Racine, enfantant des miracles nouveaux ,
De ses héros sur lui forme tous les tableaux.
Que de son nom, chanté par la bouche des belles,
Benserade en tous lieux amuse les ruelles.
Que Segrais dans l'églogue en charme les forêts;
Que pour lui l'épigramme aiguise tous ses traits.
Mais quel heureux auteur, dans une autre Enéide,
Auxbords duRhin tremblant conduira cet Alcidei
Quelle savante lyre au bruit de ses exploits,
Fera niarcher encor les rochers et les bois;
Chantera le Batave éperdu dans l'orage,
Soi-même se noyant pour sortir du naufrage :
Dira les bataillons sous Mastricht enterrés,
Dans ces affreux assauts du soleil éclairés ?

Mais tandis que je parle, une gloire nouvelle Vers ce vainqueur rapide aux Alpes vous appelle. Déjà Dole et Salins sous le jougont ployé. Besançon fume encore sous son roc froudroyé. Dù sontées grands guerriers, dont les fatales ligues Devoient à ce torrent opposer tant de digues? Est-ce encore en fuyant, qu'ils pensent l'arrêter, Fiers du honteux honneur d'avoir su l'éviter ? Que de remparts détruits ! que de villes forcées ! Que de moissons de gloire en courant amassées ! Auteurs, pour les chanter, redoublez yos trans

ports, Le sujet ne veut pas de vulgaires efforts.

Pour moi, qui jusqu'ici nourri dans la satyre, N'ose encor manier la trompette et la lyre , Vous ne verrez pourtant, dans ce champ glorieux, Vous animer du moins de la voix et des yeux ; Vous offrir ces leçons, que ma muse au Parnasse Rapporta , jeune encor, du commerce d'Horace; Seconder votre ardeur, échauffer vos esprits, Et vous montrer de loin la couronne et le prix. Mais aussi pardonnez, si plein de ce beau zèle, De vos pas fameux observateur fidèle

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