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ESTHER,

TRAGEDIE.

ACTE PREMIER. Le théâtre représente l'appartement d'Esther. SCENE I

ESTHER, ÉLISE.

ESTHER.

EST-CE toi, chère Elise ? O jour trois fois heu

reux !

Que béni soit le ciel qui te rend à mes vœux! Toi, qui, de Benjamin comme moi descendue, Fus de mes premiers ans la compagne assidue, Et qui, d'un même joug souffrant l'oppression M'aidois à soupirer les malheurs de Sion! Combien ce temps encore est cher à ma mémoire! Mais toi, de ton Esther ignorois-tu la gloire ? Depuis plus de six mois que je te fais chercher, Quel climat, quel désert a donc pu te cacher?

É LISE,

Au bruit de votre mort justement éplorée, Du reste des humains je vivois séparée Et de mes tristes jours n'attendois que la fin, Quand tout-à-coup, madame, un prophète divin; « C'est pleurer trop long-temps une mort qui t'abuse,

>> Leve-toi, m'a-t-il dit, prends ton chemin vers

Suse;

» Là tu verras d'Esther la pompe et les honneurs, Et sur le trône assis le sujet de tes pleurs,

» Rassure, ajouta-t-il, tes tribus alarmées, Sion; le jour approche, où le dieu des armées »Va de son bras puissant faire éclater l'appui ; » Et le cri de son peuple est monté jusqu'à lui. » Il dit et moi, de joie et d'horreur pénétrée, Je cours. De ce palais j'ai su trouver l'entrée. O'spectacle! & triomphe admirable à mes yeux, Digne en effet du bras qui sauva nos aïeux ! Le fier Assuérus couronne sa captive,

Et le Persan superbe est aux pieds d'une Juive! Par quels secrets ressorts, par quel enchaînement Le ciel a-t-il conduit ce grand évènement?

ESTHER.

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Peut-être on t'a conté la fameuse disgrace
De l'altière Vasthi, dont j'occupe la place
Lorsque le roi, contre eile enflammé de dépit,
La chassa de son trône ainsi que de son lit.
Mais il ne put sitôt en bannir la pensée :
Vasthi régna long-temps dans son ame offensée.
Dans ses nombreux états il fallut donc chercher
Quelque nouvel objet qui l'en pût détacher.
De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves coururent;
Les filles de l'Egypte à Suse comparurent;
Celles mêine du Parthe et du Scythe indompté
Y briguèrent le sceptre offert à la beauté.
On m'élevoit alors, solitaire et cachée,
Sous les yeux vigilans du sage Mardochée :
Tu sais combien je dois à ses heureux secours.
La mort m'avoit ravi les auteurs de mes jours:
Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
Me tint lieu, chère Elise, et de père et de mère.
Du triste état des Juifs jour et nuit agité,
1l me tira du sein de mon obscurité ;
Et, sur mes foibles mains fondant leur délivrance,
Il me fit d'un empire accepter l'espérance.
A ses desseins secrets, tremblante, j'obéis;
Je vins mais je cachai ma race et mon pays.
Qui pourroit cependant t'exprimer les cabales.

Que formoit en ces lieux ce peuple de rivales,
Qui toutes, disputant un si grand intérêt,
Des yeux d'Assuérns attendoient leur arrêt?.
Chacune avoit sa brigue et de puissans suffrages?
L'une d'un sang fameux vantoit les avantages;
L'autre, pour se parer de superbes atours,
Des plus adroites mains empruntoit le secours :
Et moi, pour toute brigue et pour tout artifice
De mes larmes au ciel j'offrois le sacrifice.
Enfin on m'annonça l'ordre d'Assuérus.
Devant ce fier monarque, Elise, je parus.
Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puis-

santes;

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Il fait que tout prospère aux ames innocentes
Tandis qu'enses projets l'orgueilleux est trompé.
De mes foibles attraits le roi parut frappé :
Il m'observa long-temps dans un sombre silence
Et le ciel, qui pour moi fit pencher la balance,
Dans ce temps là, sans doute, agissoit sur son

} cœur.

Enfin, avec des yeux où régnoit la douceur:
Soyez reine, dit-il ; et, dès ce moment même
De sa main sur mon front posa son diadême.
Pour mieux faire éclater sa joie et son amour
Il combla de présens tous les grands de sa cour:
Et même ses bienfaits, dans toutes ses provinces,
Invitèrent le peuple aux noces de leurs princes.
Hélas! durant ces jours de joie et de festins,
Quelle étoit en secret ma honte et mes chagrins!
Esther, disois-je, Esther dans la pourpre est as-

sise

Le moitié de la terre à son sceptre est soumise :
Et de Jérusalem l'herbe cache les murs!
Sion, repaire affreux de reptiles impurs,
Voit de son temple saint les pierres dispersées!
Et du d'Israël les fêtes sont cessées !

ÉLIS E. "

N'avez-vous point au roi confié vos ennuis?

ES THE RI

Le roi, jusqu'à ce jour, ignore qui je suis.
Celui par qui le ciel règle ma destinée
Sur ce secret encore tient ma langue enchaînée.

ÉLI SE...

Mardochée ? Hé! peut-il approcher de ces lieux?

ESTHER.

Son, amitié pour moi le rend ingénieux.
Absent, je le consulte; et ses réponses sages
Pour venir jusqu'à moi trouvent mille passages:
Un père a moins de soin du salut de son fils. (D
Déjà même, déjà, par ses secrets avis,
J'ai découvert au roi les sanglantes pratiques
Que formoient contre lui deux ingrats domes
tiques.

I

Cependant mon amour pour notre nation A rempli ce palais de filles de Sion: Jeunes et tendres fleurs, par le sort agitées, Sous un ciel étranger comme moi transplantées. [ Dans un lieu séparé de profanes témoins, Je mets à les former mon c étude et mes soins Et c'est là que, fuyant l'orgueil du diadême, Lasse de vains honneurs, et ne cherchant mois *ro ad ar

même 9

Aux pieds de l'Eternel je viens m'humilier,

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if

Et goûter le plaisir de me faire oublier.
Mais à tous les Persans je cache leurs familles. I
Il faut les appeler. Vencz, venez, mes filles
Compagnes autrefois de, ma captivité,
De l'antique Jacob, jeune postérité..

ཝཱ

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ESTHER ÉLISE, LE CHOEUR. JE

UNE 18RAÉLITE chantant derrière le théatre. «

1

a. Ma sœur, quelle voix nous appelle ?

2001 AUTRE.

J'en reconnois les agréables sons :

C'est la reine.

TOUTES DEUX.

Courons, mes sœurs, obéissons.
La reine nous appelle:

Allons, rangeons-nous auprès d'elle.

TOUT LE CHOEUR, entrant sur la scène par plusieurs (} endroits différsns.

La reine nous appelle;

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Allons, rangeons-nous auprès d'elle.

ELISE.

Ciel! quel nombreux essaim d'innocentes beautés S'offre à mes yeux en foule, et sort de tous côtés! Quelle aimable pudeur sur leur visage est peinte! Prospérez, cher espoir d'une nation saintes Puissent jusques au ciel vos soupirs innocens Monter comme l'odeur d'un agréable encens!Que Dieu jette sur vous des regards pacifiques!

ESTHER.

Mes filles, chantez-nous quelqu'un de ces can

tiques

Où vos voix si souvent se mêlant à mes pleurs
De la triste Sion célèbrent les malheurs.
UNE ISRAELITE chante seule.

Déplorable Sion, qu'as-tu fait de ta gloire?
Tout l'univers admiroit ta splendeur :
Tu n'es plus que poussière; et de cette grandeur
Il ne nous reste plus que la triste mémoire.
Sion, jusques au ciel élevée autrefois,

Jusqu'aux enfers maintenant abaissée,
Puissé-je demeurer sans voix,

Si dans mes chants ta douleur retracée
Jusqu'au dernier soupir n'occupe ma pensée!

TOUT LE CHOEUR.

O rives du Jourdain ! ô champs aimés des cieux!
Sacrés monts, fertiles vallées
Par cent miracles signalées!
Du doux pays de nos aïeux
Serons-nous toujours exilées ?

Pühlen PoUNBOTSRAÉLITE), Saule.

Quand verrai-je, o Sion! relever les remparts,

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