de vafes, de fruits, de fleurs, de barques, & de toute groffeur: il y en a de foie, de corne, de verre, de nacre & de toutes matieres. Il y en a de peintes, de brodées, de tout prix. J'en ai vû qui n'avoient pas été faites pour mille écus. Je ne finirois pas fi je voulois vous en marquer toutes les formes, les matieres & les ornemens. C'eft en cela, & dans la grande variété que les Chinois donnent à leurs bâtimens, que j'admire la fécondité de leur efprit: je ferois tenté de croire que nous fommes pauvres & ftériles en comparaison.

Auffi leurs yeux accoûtumés à leur architecture, ne goûtent pas beaucoup norre maniere de bâtir. Voulez-vous fçavoir ce qu'ils en difent, lorsqu'on leur en parle, ou qu'ils voient des

eftampes qui repréfentent nos bâtimens ? Ces grands corps de logis, ces hauts pavillons les épouvantent; ils regardent nos rues comme des chemins creufés dans d'affreufes montagnes, & nos maifons comme des rochers à perte de vûe, percés de trous, ainfi que des habitations d'Ours & d'autres bêtes férocés. Nos étages fur-tout, accumulés les uns fur les autres, leur paroiffent infupportables; ils ne comprennent pas comment on peut rifquer de se caffer le col cent fois le jour, en montant nos degrés pour se rendre à un quatrième ou cinquième étage. Il faut, difoit l'Empereur Canghy, en voyant les plans de nos maifons Européanes, il faut que l'Europe foit un pays bien petit & bien miferable, puifqu'il n'y a pas affez de terrein pour étendre les

villes, & qu'on eft obligé d'y habiter en l'air. Pour nous, nous concluons un peu différemment, & avec raifon.

que,

Cependant je vous avouerai fans prétendre décider de la préférence, la maniere de bâtir de ce pays-ci me plaît beaucoup. Mes yeux & mon goût, depuis que je fuis à la Chine, font devenus un peu Chinois. Entre nous, l'Hôtel, de Madame la Ducheffe, vis-à-vis les Thuileries, ne vous paroît - il pas très-beau? 11 eft pourtant prefque à la Chinoife, & ce n'eft qu'un rez-de-chauffée. Chaque pays a fon goût & fes ufages. Il faut convenir de la beauté de notre architecture; rien n'eft fi grand ni fi majeftueux. Nos maisons font commodes; on ne dire le contraire. Chez

peut pas

nous on yeut l'uniformité par

tout, & la fymmétrie. On veut qu'il n'y ait rien de dépareillé, de déplacé; qu'un morceau réponde exactement à celui qui lui fait face, ou qui lui eft oppofé: on aime auffi à la Chine cette fymmétrie, ce bel ordre ce bel arrangement. Le Palais de Pékin dont je vous ai parlé au commencement de cette Lettre, eft dans ce goût. Les Palais des Princes & des Seigneurs, les Tribunaux, les maifons des particuliers un peu riches, fuivent auffi cette loi.

Mais dans les maisons de plaifance, on veut que prefque partout il regne un beau défordre, une anti-fymmétrie. Tout roule fur ce principe: C'est une campagne rustique & naturelle, qu'on veut représenter; une folitude, non pas un Palais bien ordonné dans toutes les regles de la fymmétrie &

du rapport. Aussi n'ai-je vû aucuns de ces petits Palais placés à une affez grande diftance les uns des autres dans l'enclos de la maison de plaisance de l'Empereur, qui aient entre eux aucune reffemblance. On diroit que chacun eft fait fur les idées & le modéle de quelques pays étrangers; que tout eft pofé au hazard & après coup; qu'un morceau n'a pas été fait été fait pour l'autre. Quand on en entend parler, on s'imagine que cela eft ridicule, que , que cela doit faire un coup d'œil défagréable. Mais quand on y eft, on penfe différemment, on admire l'art avec lequel cette irrégularité eft conduite. Tout eft de bon goût & fi bien ménagé, que ce n'eft pas d'une feule vûe qu'on. en apperçoit toute la beauté. Il faut examiner piéce à piéce,