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gne. Elle eft aflez belle; les voutes font en forme de berceau, les piliers ronds & délicats, la nef fert de chœur aux religieufes, qui ont à chaque fiege un tableau de Flandre peint fur le bronze, que le prince d'Orange envoya à Madame de Nassau fa fœur qui en étoit abbeffe. Tous ces tableaux font des pieces achevées qui n'ont pas de prix. Le retable de l'autel orné de plufieurs figures de vermeil doré a coûté feize mille livres ; c'est à ce que je crois l'ouvrage de la pieté de Madame d'Albret abbeffe de fainte Croix.

Les religieufes de fainte Croix étoient anciennement dirigées par des Benedictins, qui avoient la garde des reliques de fainte Radegonde, & qui s'étant fecularifez, formerent une collegiale affez confiderable de chanoines, & fecoüerent entierement le joug de l'abbeffe. On voit encore des reftes de leurs lieux reguliers, du cloître, du chapitre & du dortoir, fur la porte duquel on lit cette infcription.

Ò ES PLIARA DES NOS XPE GVBERNA....... BVS.OMBVS INTRO IACENTIBVS ESTO LVCERNA

Le tombeau de la Sainte eft dans une crypte fouterraine derriere l'autel qui luy eft confacré. Les heretiques l'ouvrirent, & en tirerent fes facrées reliques, qu'ils jetterent dans le feu, fans refpecter fa qualité de reine. A côté de ce tombeau eft celuy de fainte Agnés abbeffe de fainte Croix & de fainte Difciole. Dans l'églife de fainte Radegonde affez recente, excepté le fanctuaire qui eft plus ancien, il a quelques tombeaux des prieurs de cette collegiale, qui font reprefentez avec leurs aumuffes fur la tête.

y

L'églife de l'abbaye de la Trinité eft belle & ancienne. Dans le chœur des religieufes, il y a un faint Sepulcre de Notre-Seigneur, dont toutes les figures font des pieces achevées. Le portrait du cardinal d'Amboife qui eft tout proche,eft quelque chofe de beau. Les figures du retable de la chapelle des infirmes font d'un bon goût, on diroit qu'il ne leur manque que la parole. Les cellules des religieufes font d'une propreté extraordinaire; on fe mireroit dans le pavé; leurs couches font fort baffes, fort étroites & fort dures; la pauvreté auffi-bien que la propreté regne dans leurs meubles; mais

Noaillier,

Ligugé.

la vertu & la regularité de ces excellentes religieufes furpaffent tout ce qui fe peut dire. Elles étoient 58 prefque toutes filles de qualité & d'efprit, qui au milieu des aufteritez d'une vie tres-penitente faifoient paroître une joye, qui ne peut être qu'un fruit du faint Efprit; elles reffembloient plutôt à des anges qu'à des creatures terreftres.

Ce fut-là que j'appris que l'abbaye de faint Pierre de Lyon étant vacante le roy l'avoit offerte à Madame de Villeroy religieufe du Calvaire du Marais à Paris, & que cette religieufe plus illuftre par fa vertu que par fa naissance, preferant la croix à une croce de cette confequence, remercia fa majefté de l'honneur qu'elle vouloit luy faire.

L'églife de Notre Dame la Grande paroît d'une grande antiquité. La premiere dignité de cette collegiale porte la qualité d'abbé, ce qui fait voir que c'étoit autrefois un monaftere qui a été fecularifé, comme plufieurs autres de la ville de Poitiers. Avant que d'aller plus loin j'eus la curiofité de voir aux Cordeliers le tombeau de Gautier évêque de Poitiers, qui avoit été religieux de l'ordre de faint François avant fon épifcopat, & que le pape Clement V, avoit injustement depofé, & relegué dans fon cloître. J'y fus exprés, & je trouvai que les cordeliers en avoient fait leur grand autel, & qu'ils celebroient les divins myfteres fur la pierre qui couvroit fon corps.

Je partis de Poitiers le 10 juillet, & j'allai au monaftere de Noaillier celebrer la fête de nôtre bienheureux pere faint Benoift avec nos confreres. Cette abbaye eft fort ancienne, & a confervé un grand nombre de fes premieres chartes. L'églife eft confacrée à faint Junien abbé de Mairé, dont le fepulcre de pierre eft derriere le grand autel. Tous les cloîtres font remplis de tombeaux élèvez. On croit que ce font des feigneurs de Mortmare, qui avoient anciennement leur fepulture à Noaillier; d'autres difent que ce font des feigneurs de Lufignan, enfin d'autres eftiment que ce font des feigneurs François tuez à la bataille de Poitiers, qui fe donna à une lieuë du monaftere, bataille fi funefte à la France, dans laquelle le roy Jean fut fait prifonnier.

Le 13 Juillet je fus à Ligugé, le premier monaftere de France, d'où faint Martin fut tiré pour être confacré archevêque de Tours, & dont les Jefuites de Poitiers font en poffeffion,

J'y trouvai deux freres coadjuteurs, qui en font valoir les
biens, & qui me firent de grandes inftances pour m'arrêter à
dîner. Ils me permirent de dire la fainte Meffe dans le lieu
même où faint Martin refufcita le catecumene dont Sulpice
Severe parle dans fa vie. De-là je fus dîner à l'abbaye de Fon-
taine le Comte, de l'ordre des chanoines reguliers de faint
Auguftin. Le prieur m'y reçut avec beaucoup de bonté, &
me communiqua de bonne grace la fondation du monaftere
que le pere
du Poirier, frere de Monfieur du Poirier me-
decin à Tours me dicta. Comme je n'étois qu'à une lieuë de
l'abbaye de Bonnevaux de l'ordre de Citeaux, j'y allai le
même jour, un religieux voulut bien venir avec moy pour
me mettre dans le chemin. Il fit cela avec affection, &
vint avec moy un quart de lieuë; mais toute fa bonne vo-
lonté se termina à m'égarer. Je ne laissai pas d'arriver à Bon-
nevaux d'affez bonne heure. Je n'y trouvai aucun religieux ;
le prieur étoit allé à l'élection de l'abbé de Pontigny, le pro-
cureur à Poitiers pour les affaires de fa maison, & le troifié-
me étoit auffi forti pour des raisons que je ne fçai point. Je
l'attendis jufqu'à huit heures du foir, mais je ne pus le voir
que le lendemain matin. Comme il me dit de bonne
foy qu'ils n'avoient que peu de titres, & qu'il n'en avoit pas
la clef, je pris le parti d'aller à l'abbaye du Pin qui n'est
qu'à deux lieuës de-là,dans l'intention de revenir. Il me don-
na un guide pour me conduire qui me fit grand plai
fir, car le chemin eft fort difficile. L'abbaye du Pin eft d'une
propreté admirable, & qui fait juger que la pureté de l'ame
des religieux qui l'habitent eft encore plus grande. Elle est
conduite par un abbé regulier de l'étroite obfervance de
l'ordre de Cîteaux. Il n'y avoit pas long-temps que le der-
nier étoit mort, & le roy en avoit nommé un nouveau, qui
n'étoit pas encore arrivé, ce qui fut cause que je ne pus voir
quelques manufcrits qui étoient dans la chambre de l'abbé,
mais je vis la bibliotheque & les archives dans lesquelles je
trouvai la fondation de l'abbaye de Bonnevaux : cela m'exem-
pta d'y retourner. Je paffai toute la matinée du dimanche
avec les religieux, qui m'édifierent beaucoup par leur mode-
ftie & par leur regularité, & je partis apréfdîné pour me ren-
dre à l'abbaye de Valence de l'ordre de Cîteaux.

Cette abbaye fut fondée l'an.1225 par Hugues de Lufignan; elle eft fituée proche d'une petite ville, qui étoit autrefois

Le Pin

Valence.

S. Mexent.

Celles,

toute huguenote. Il paroît par la grandeur de l'église & par les anciens lieux reguliers,qui fubfiitent encore aujourd'hui, que c'étoit autrefois une abbaye farneuse, mais les ravages qu'y ont fait les heretiques, joints aux commandes, l'ont reduite à present à quatre religieux. On dit que Calvin prêcha dans l'églife.

L'abbaye de faint Mexent, qui n'est qu'à cinq ou fix lieuës de là, eft fans conteftation une des plus illuftres du Poitou, & peut-être la plus noble. Elle éprouva comme beaucoup d'autres la fureur des heretiques, qui ruinerent de fond en comble l'églife. Le malheur qu'elle eut d'avoir un abbé heretique, ne contribua pas peu à sa perte; mais ce malheureux eut aprés fa mort le fort que meritoit fa méchante vie; car ayant été apporté dans un cercueil de plomb au chapitre, les foldats qui ne fçavoient point qui c'étoit, ayant befoin de plomb pour faire des balles de moufquet, briferent le cercueil, & les chiens mangerent ce maudit cadavre, & traînerent les offemens dans les rues. Nos peres ayant mis la reforme à faint Mexent, fe font efforcez de luy rendre fon premier luftre, & fur les fondemens de l'ancienne églife en ont bâti une nouvelle, qui par fa grandeur, fa délicateffe & fes ornemens, fait l'admiration du pays. Lorfqu'on la bâtit, on trouva fous les ruines de l'ancienne des hommes armez tout de bout avec leurs hallebardes. On croit que c'étoient des foldats heretiques, qui affiftoient à la démolition de cet augufte temple, & qui avoient été prepofés pour empêcher les catholi ques de s'oppofer à leur pernicieux deffein, lefquels furent enfevelis fous les ruines de ce faint édifice.

De faint Mexent je fus à l'abbaye des Chaftelliers de l'ordre de Cîteaux, & enfuite à celle de Celles de l'ordre des chanoines reguliers de faint Auguftin. Le prieur qui eft auffi curé de la paroiffe eft un fort honnefte homme; l'abbaye luy eft redevable de fes bâtimens fuperbes, & l'églife de fes or nemens. Lorsque je pris congé de luy pour aller à l'abbaye des Alleurs, il me confeilla de paffer à Puis-Berlam pour y voir Monfieur l'abbé de Chabrignac religieux des Alleux & directeur des religieufes de Puis-Berlam. Il me retint là & m'obligea d'y coucher. Il m'apprit que cette maifon avoit été fondée par une perfonne de qualité, qui ayant été auparavant de la religion prétenduë reformée, & s'étant convertie, pour donner à Dieu des marques de fa reconnoiffance,

avoit bâti cette maison fur fon fonds, & y avoit confacré à Dieu fa propre fille. Il me fit voir quelques titres des Alleux, & me donna un guide qui m'y conduifit le lende

main.

Lorfque j'y fus arrivé, j'y trouvai la place d'une abbaye; mais je n'y trouvai plus de monaftere. Les mazures qui ref tent font voir que la maifon étoit autrefois affez belle. Elle fut fondée au commencement du douzième fiecle par faint Geraud, & donna à l'église de Poitiers l'illuftre évêque Grimoaldus, qui gouverna faintement ce diocese avant Gilbert de la Porrée. Je demandai d'entrer dans l'églife, mais le prieur n'ofa pas me l'ouvrir, apparemment pour ne point bleffer mes yeux de ce qu'ils y auroient vû. Il me mena en fa maison, me fit voir ce qu'il avoit de titres, me donna à dîné, & vint me reconduire. C'étoit un homme d'ef prit & fçavant. J'allai coucher le même jour à l'abbaye de Nanteuil, fondée à ce qu'on prétend du temps de l'empe reur Charlemagne. C'eft une maifon d'anciens Benedictins de la congregation des Exempts; les religieux ont chacun leur appartemens feparez, mais ils mangent en commun. Il paroît par les mazures des lieux reguliers, que ce monaftere étoit autrefois affez confiderable. Le prieur qui me reçut paroît fort honnête homme; il m'ouvrit de bonne grace les archives, & travailla avec moy toute la journée à chercher dans leurs titres la lifte de leurs abbez.

L'abbaye de Charroux qui n'eft qu'à trois lieuës de-là, Charroux, doit paffer pour une des plus fameufes du diocefe. Elle eft redevable de fa fondation à Roger comte d'Aquitaine, qui y mit d'abord douze religieux fous la conduite de l'abbé Dominique vers l'an 770. L'église étoit en fon temps une des plus belles du royaume, le portique étoit magnifique & orné de figures; on defcendoit dans la nef, qui étoit fort longue, par plufieurs degrez; de la nef on montoit dans le choeur par cinq ou fix marches, & du chœur au fanctuaire par dix ou douze. Au deffus de l'autel placé au milieu d'une rotonde de trois rangs de piliers, s'élevoit un dôme fait en forme de thiarre d'une hauteur prodigieufe, dont la fleche auffi-bien que la nef a été renversée. L'autel fait en forme de coffre avoit été confacré par le pape Urbain II. La pierre fuperieure d'environ fept pieds de long & cinq ou fix de large, étoit pofée fur quatre grandes pierres qui formoient

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