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s'attribuer; mais fi la tombe d'Ebbon de Charenton le pere
ne parle plus, fa fondation & la confirmation de la fonda-
tion faite par fon fils donneront éternellement le démenti à
ces meffieurs. Manrique dit que l'abbaye de la Maison Dieu,
ou de Noirlac, fut fondée l'an 1136, & qu'elle eut pour pre-
mier abbé Robert neveu de faint Bernard,qui la gouverna l'ef
pace de 58 ans. Cependant l'acte de la fondation n'eft daté
que
de l'an 1150, & l'on trouve dans un titre de 1175 un
Franco abbé, qui felon fon épitaphe fut le troifiéme de la
Maison- Dieu, & un Guillaume qui fut le quatrième abbé,
à qui le jeune Ebbon de Charenton confirma l'an 1189 la fon-
dation faite par fon pere. Ce qui renverse tout le systême du
long gouvernement de l'abbé Robert neveu de faint Bernard,
que nous ne nions pas pour cela avoir été abbé de Noirlac,
puifque le livre de l'Exorde de Cîteaux le dit pofitivement.

Je partis de Noirlac le jour de faint Michel de grand matin pour aller à l'abbaye de Charenton, où madame de Mont- Charenton gon de Beau-verger qui en eft abbeffe me reçut avec une bonté, que je ne puis exprimer. Cette abbaye eft fort ancienne, & reconnoît pour les fondateurs les difciples de faint Colomban. On voit encore dans l'églife un fepulcre de pier. re qu'on dit être celuy de faint Chalan difciple de ce Saint; fur le couvercle duquel on voit ce monogramme.

que

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Au commencement du douzième fiecle, Leger archevêde Bourges de l'autorité du faint Siege en chaffa les religieufes, & mit en leur place des chanoines reguliers; mais aprés la mort de ce prelat, le chapitre de Bourges expulfa les chanoines, & rappella les religieufes, qui depuis ce tempsy font toûjours restées. Au commencement du feiziéme fiecle, madame d'Amboife qui en étoit abbeffe, foumit le

monaftere à la congregation naiffante de Chezal Benoist, & reçut une espece de reforme, qui fut depuis embraffée par quelques autres abbayes, & on tira de Charenton des religieufes pour gouverner les abbayes de faint Laurent de Bourges, de faint Pierre de Lyon, de faint Menouft & encore d'autres. Dans la fuite cette reforme s'affoiblit de telle forte par la negligence de quelques abbeffes, que le fpirituel & le temporel en fouffrirent beaucoup, fi bien que madame de la Rochefoucault nommée abbeffe de Charenton ayant vû l'état de fa maifon, n'eut pas le courage d'y demeurer, & en fit fa démiffion entre les mains du roy, qui luy donna l'abbaye du Paraclet, & nomma à celle de Charenton madame Renée de Megrigny, que Dieu avoit deftinée pour en être la reftauratrice.

Cette illuftre abbeffe iffuë d'une noble maison affez connuë en France, avoit été élevée à la pieté dés fes plus tendres années dans l'abbaye de Malnoue proche de Paris. Agée de feize ans, elle s'y confacra à Dieu par les voeux folemnels de la vie religieufe. Son bel efprit & fes rares qualitez jointes à fa vertu, la firent aimer de tout le monde, & obligerent fes fuperieures à luy confier l'economie de la maifon; charge dont elle s'acquitta au grand contentement de toutes les foeurs. Dieu qui la deftinoit à quelque chose de plus grand, la faifoit paffer par ces fortes d'emplois, pour la former, & luy apprendre à rétablir une maison ruinée. Madame de Rohan abbeffe de la Trinité de Caën, ayant été transferée à Malnouë, fit fes délices de madame de Megrigny, & lorfque de Malnoue elle alla à Paris s'établir au prieuré du Chaffemidy, elle voulut l'avoir auprés d'elle pour fe fervir de fon confeil, & de fon fçavoir faire; ce qui luy réüffit fi bien, qu'on peut dire, que s'il y a quelque bien & du bon ordre dans cette maison, c'est à madame de Megrigny qu'on en eft redevable.

L'abbaye de Notre-Dame de Charenton fur la riviere de Marmande étant venu à vaquer par la demiffion de madame de la Roche foucaut, monfieur de Mefgrigny fon pere la demanda au roy, & l'ayant obtenue y amena luy-même fa fille, la faifant paffer par fes terres par une finguliere providence; car par tout où elle paffoit, elle eut fein de fe fournir de linge, de vaiffelle, & de beaucoup d'autres petits meubles,qui luy furent d'un trés- grand fecours : car lorsqu'elle

arriva

le arriva à Charenton, elle ne trouva pas un lit pour fe coucher, ny une serviete pour fa table; & fes religieufes furent obligées d'en emprunter pour la recevoir. La pauvreté étoit fi grande, qu'il n'y avoit point de ferrure à la porte de la clôture, tous les édifices étoient en ruine, & la maison fans reffource pour les réparer. Elle ne trouva pas un double dans fon abbaye, & les dettes étoient fi exceffives, que les marchands ne vouloient plus rien donner à credit. Cette extrême pauvreté la furprit, mais elle ne l'abbatit point; elle ne fit au contraire qu'animer fon zele & fon ardeur à travailler à la vigne du Seigneur. Son genie fuperieur l'éleva au-desfus d'une fi grande mifere, & fans avoir égard à la promeffe que monfieur fon pere lui fit de ne la point laiffer là, ny à l'efperance dont il la flattoit de luy obtenir une meilleure abbaye, ce qui luy auroit été facile d'obtenir, fi la mort ne l'avoit prévenu; elle crut que l'abbaye de Charenton étoit fon partage, que Dieu l'y appelloit & l'y vouloit pour y rétablir le temporel & le fpirituel, qui n'étoit en guéres meilleur état.

Elle avoit une penfion de cinq cens livres de fes parens; madame fa fœur qu'elle avoit amenée de Malnoüe avec elle en avoit autant.Elle trouva dans l'abbaye trois novices dont on avoit déja mangé la moitié des dottes; ayant devant foy cette petite reffource, elle fit publier dans toutes les paroiffes que ceux à qui fon abbaye devoit quelque chofe vinffent la trouver. Elle paya d'abord une partie des dettes les plus preffées,& donna aux créanciers de fi bonnes paroles, que fa conduite les contenta tous. Elle s'appliqua d'abord à prendre une parfaite connoiffance de l'état de fon monaftere, elle fit mettre tous les titres en ordre par un religieux Benedictin, elle retrancha les abus qui s'étoient gliffés dans la nourriture par la negli. gence de l'abbeffe qui l'avoit precedée; ce qui luy attira de grandes contradictions de la part des religieufes accoûtumées à une vie licentieufe, & qui ne vouloient rien démordre des anciennes pratiques dans lesquelles elles avoient été élevées. Elle les fupporta avec une fermeté & une grandeur d'ame digne d'une fainte abbeffe, mettant toute fa confiance en Dieu, qu'elle aimoit très tendrement, & qu'elle re gardoit comme fon unique force; auffi avoit elle pris pour fa devife Deus fortitudo qu'elle fit graver fur la muraille de fon logis abbatial.

I. Partie.

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Penetrée qu'elle étoit de cette maxime de l'Evangile que monsieur fon pere luy avoit repetée fouvent: Cherchez premierement le royaume de Dieu & fa justice, & tout vous fera donné avec abondance, elle fonda toutes fes actions fur cette promeffe. Auffi aprés avoir liquidé fes dettes voyant que l'églife étoit toute nûë, toute dépavée, & fort humide, ce qui y attiroit des crapaux & plufieurs autres infe&tes; elle la fit rehauffer de cinq pieds, & paver au dedans & au dehors,elle fit faire un beau retable de fculpture au grand autel, boifer & griller trés-proprement le chœur des religieufes; & au lieu de fimples bancs fur lefquels elles s'affeioient pendant l'office, elle leur fit faire de fort belles chaires de chœur. Elle trouva la facriftie comme le refte de la

maifon depourvue de tout, elle y fit faire des ornemens de toutes les couleurs, la garnit de beaux linges; & afin que rien ne manquât à la décoration de la maifon de Dieu, elle engagea fes religieufes à travailler elles-mêmes à de beaux points pour mettre aux aubes, aux furplis, aux nappes de communion; & pour les encourager par fon exemple, elle les faifoit travailler dans fa chambre. Cette digne abbeffe n'en demeura pas là, elle fit faire un faint ciboire de vermeil doré, une boëte d'argent pour mettre les faintes huiles, une petite cuvette & des burettes, un benitier avec fon afpersoir, & une coquille pour mettre le fel lorfqu'on fait la benediction de l'eau benite, tout cela d'argent. Sa pieté n'étant pas encore fatisfaite, elle fit faire des ornemens des calices, des foleils d'argent, & des tabernacles pour les paroiffes de la campagne qui dépendoient de fon abbaye : ce qui luy attira la benediction de tous les peuples.

Aprés avoir ainfi pourvû à la maifon de Dieu, elle fongea auffi à fe loger, elle & fes religieufes. Elle fit donc conftruire fon logis abbatial, des dortoirs, des infirmeries; & afin de leur procurer toutes les commodités, elle fit faire une baffe-cour & des étables pour les beftiaux.

Sa conduite fpirituelle ne fut pas moins admirable: elle avoit trouvé toutes les obfervances fort alterées, elle s'appliqua à les rétablir, mais on peut juger avec combien de peines. Ayant réparé le chapitre, elle y affembloit regulierement les filles, tant pour leur faire des exhortations fur leurs devoirs, que pour y corriger les fautes qui fe commettoient contre la regularité: ce qu'elle faifoit avec tant de pruden

ce, qu'il n'y avoit que les efprits mal faits qui puffent y trouver à redire. Les fêtes principales de l'année elle faifoit un difcours fur le myftere qu'on celebroit ou fur la vie du Saint que l'on honoroit, ce qu'elle faifoit avec une fi grande netteté, tant de facilité & d'onction, que fes religieufes en étoient auffi penetrées que fi un ange leur eût parlé.

Elle étoit elle même un feraphin lorfqu'elle affiftoit à l'office divin; elle s'y trouvoit toûjours la premiere & en fortoit la derniere, elle ne s'en exemptoit jamais que pour des neceffités indifpenfables; dans fes maladies mêmes, toute languiffante qu'elle étoit, elle s'y faifoit porter. Son amour pour Dieu paroiffoit fur tout lorfqu'elle approchoit de la fainte table; elle communioit toutes les fêtes & tous les dimanches, & fort fouvent fur la femaine; elle excitoit toutes fes filles à s'en approcher le plus qu'elles pourroient; & lorfque quelques-unes alloient luy en demander la permiffion, on la voyoit pleurer de joye & de tendreffe. Elle leur difoit qu'elle eût fouhaité que.fes confeffeurs luy euffent permis de communier tous les jours, que fon cœur eût été dans un continuel plaifir; mais que fa mifere étoit trop grande, & que fon indignité étoit une jufte punition de fes fautes & de fes foibleffes.

On peut dire qu'elle n'en eut jamais à foûtenir la gloire de Dieu: lorfqu'elle remarquoit quelqu'une de fes religieufes s'écarter de fon devoir, elle l'avertiffoit charitablement; mais lorsqu'elle voyoit qu'elle ne fe corrigeoit pas, elle étoit ferme à retrancher les abus. Elle fouffroit avec patience les fautes qui ne regardoient que fa perfonne, & diffimula beaucoup de chagrins qu'on luy donnoit, ne faifant paroître cune alteration. Lorfque quelque religieufe venoit luy faire fatisfaction, elle la recevoit à bras ouverts, luy remontrant doucement fa faute & pleurant avec la coupable.

Pour ne rien negliger de ce qui pouvoit contribuer au bien fpirituel de fes filles. Elle leur acheta un bon nombre de livres de pieté & curieux, dont elle fit une bibliotheque ; elle en fit encore une particuliere pour fon ufage compofée de livres choifis touchant les devoirs des fuperieurs, qu'elle prêtoit à fes religieufes qui les luy demandoient.

Elle étoit d'une belle humeur, & aimoit les petites recréations qui ne bleffoient point la regularité Chacune avoit la liberté de dire devant elle fon fentiment fur l'agréable com

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