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couvert des vents & de la pluye, ce qui eft fingulier à cette églife. Les chaires du choeur avançoient autrefois fort avant dans la nef; ce qui fait juger qu'il y avoit un grand nombre de religieux, & peut-être eft-ce de-là, qu'on a pris occafion de dire, qu'il y en avoit jufqu'à huit cens. Mais ayant demandé au doyen & au chantre, qui ont le plus de connoiffance de leur églife, s'ils avoient quelques preuves de cela, ils me répondirent qu'ils n'en avoient aucunes. Le logis abbatial qu'on appelle le château, eft fort beau, & illy a tant d'appartemens, qu'on y pourroit loger un prince. Il a l'agrément d'un beau jardin, & d'une terraffe qui découvre un pays tresagreable.

Sur le declin de la montagne, hors de la ville, on voit une grande croix de pierre, qu'on appelle la croix de faint Bernard, parce que l'on tient que le faint abbé prêcha en cet endroit & confirma par des miracles la croifade, qui fut fi fatale à la France. Un peu plus bas eft fitué le premier couvent des Cordeliers en France, qui eft fort petit, & qui se reffent encore de la premiere fimplicité de l'ordre de faint François. On y voit devant l'autel une tombe avec un épitaphe, qui apprend que le frere Pacifique compagnon de faint François eft enterré en cet endroit. Je demeurai un jour entier à Vezelay où je reçus beaucoup d'honnêteté de monfieur le doyen & de monfieur le chantre.

J'allai de-là à l'abbaye de Rigny de l'ordre de Cîteaux, fituée à un quart de lieuë de la ville de Varmenton. Les cloîtres, le chapitre, l'ancien refectoire & le dortoir font fort beaux. L'église n'eft pas defagreable, mais elle eft plus fimple. On y conferve une dent de S. Guillaume archevêque de Bourges, qui a la vertu de diffiper le venin des perfonnes qui ont été piquées par des ferpens. Il vient tous les jours des lieux circonvoisins des gens tout enflez, & on n'a jamais remarqué qu'aucun s'en foit retourné fans être foulagé. On les pique d'abord avec une aiguille d'argent à l'endroit où ils ont été piquez par les ferpens, on en fait fortir quelques goutes de fang; on lave la partie affligée avec de l'eau ou vin benit exprés, enfuite on leur fait boire le refte de cette eau ou de ce vin benit; à l'heure même ils se sentent foulagez, & dans un jour ou deux entierement gueris. On affure auffi que les ferpens ne piquent jamais perfonnes fur les tertes de Rigny. L'abbaye de Crifenon qui n'eft qu'à deux lieues de-là,

n'étoit dans fon origine qu'une chapelle de bois bâtie par Adelaïs fille de Hugues Capet & femme de Regnaud comte de Nevers. Robert de Nevers évêque d'Auxerre la donna l'an 1094 à faint Robert abbé de Molefme, qui par les liberalitez des feigneurs de Toucy y bâtit une églife de pierres & des officines pour des religieux de Molefme. Depuis Hugues de Montaigu évêque d'Auxerre, du confentement de Gui abbé de Molefme, & avec la permiffion du pape Inno. cent II. y mit des religieufes Benedictines tirées de l'abbaye de Julli, lefquelles furent foumises aux religieux de Molef me, qui refterent au nombre de quatre à Crifenon pour les diriger. Cette abbaye étoit autrefois fort illuftre ; & comme elle étoit fort frequentée, Guillaume archevêque de Sens legat du faint Siege, pour la foulager de la dépense qu'elle faifoit pour tant d'hôtes, reduifit le nombre des religieufes à cent. Aujourd'hui elles ne font pas trente. L'abbeffe & les religieufes me firent toutes les honnêtetez poffi bles, me communiquerent tout ce qu'elles avoient de bonne grace, & me retinrent le plus qu'elles purent. Je les quittai la furveille de la Touffaint pour me rendre à Auxerre.

L'églife cathedrale d'Auxerre eft parfaitement belle; mais ce qu'elle a au deffus beaucoup d'autres, c'eft que prefque tous fes évêques jufqu'au quatorziéme fiecle fe font diftinguez par la fainteté de leur vie. Monfieur de Caylus qui remplit aujourd'hui leur fiege, eft un parfait imitateur de leurs vertus. Il étoit pour lors occupé aux vifites de fon diocefe, dans lefquelles il fe fait un divertiffement de paffer cinq ou fix heures de fuite aux fonctions de fa charge, de prêcher deux fois le jour, d'inftruire & de confirmer les enfans, & de réconcilier fes ouailles au fouverain pafteur. Il revint toutefois à Auxerre pour affifter à une proceffion generale pour les neceffitez publiques, qu'il avoit indiquée l'octave de la Touffaint au tombeau de faint Germain. C'eft-là où on voit fouvent cet illuftre prelat venir fe remplir de l'efprit de tous fes faints predeceffeurs, qui y font enterrez. C'eft-là où on l'avoit vu peu auparavant avec tous les prêtres de fon diocefe faire une retraite, qui a édifié toute la ville.

Aprés la cathedrale, l'abbaye de S. Germain tient le premier rang dans tout le diocefe d'Auxerre, & a toujours été confiderée pour une des plus fameufes du royaume. Elle doit fon origine au grand Saint dont elle porte le nom,qui la choific

Auxerre.

pour le lieu de fa fepulture, & qui luy a attiré les vœux des fideles de tout le royaume, & une infinité de dons tres.riches. Elle conferve encore aujourd'hui beaucoup de fon ancienne fplendeur, nonobftant le pillage des Calviniftes, qui en enleverent des richeffes immenfes, fur tout la châffe d'or que Charles le Chauve avoit fait faire à faint Germain, dont ils brûlerent le corps. Le Pape Urbain V. qui en avoit été abbé, y fit bâtir trois églises l'une fur l'autre. Le tombeau de faint Germain eft dans celle du milieu & tout autour ceux de la plupart des faints évêques fes 'fucceffeurs, dont on conferve encore les corps entiers dans des tombeaux de pierre. Ils furent ouverts du temps de monfieur Seguier évêque d'Auxerre, qui eut une confolation fenfible d'en trouver encore quelques-uns qui avoient été religieux, revêtus de leur cilice & de leur habit monaftique. Ce lieu eft peut-être le plus venerable du royaume, & aprés les catacombes de Rome, je ne fçai fi on peut en trouver un plus faint. Car on prétend qu'il y a plus de foixante corps faints bien averez & reconnus pour tels par l'églife. Le jour de l'octave de la Touffaint on fait une fête folemnelle pour les honorer, & une proceffion fort devote & fort longue à leurs tombeaux.

La bibliotheque répondoit autrefois à la grandeur du monaftere; mais les heretiques & la negligence des anciens moines ont diffipé un fi grand nombre de manufcrits qu'il n'en reste aujourd'hui que fort peu; mais qui ne laiffent pas d'avoir leur merite. J'y vis entr'autres un ancien recueil d'homelies des faints Peres compilées par ordre de l'empereur Charlemagne, pour être lûës aux offices divins durant le cours de l'année, écrit de fon temps, à la fin duquel on lit les vers fuivans, qui font connoître le nom du compilateur, ou du moins de l'écrivain.

Obtulit hunc librum Domino, Germane, tibique
Ebrardus fupplex, fupplicis efto memor.
Auferet hoc nullus, cujus præcordia Chriftus
Poffidet, iratum ne patiatur eum.

Quin etiam fratris munus votumque probando
Infiftet parili quicquid amore valet.
Nam petit in cætu fratrum folemniter illum
Ad laudem Domini notte dieque legi.

Fungitur

Fungitur huic alter, folarem ut compleat annum,
His feftos poterit quis reperire dies.
Auguftus Carolus juffu collegit utrumque.

Amplius hinc nobis munera tanta placent.
Doctus erat, credat, Carolus cui jufferat illud
Quilibet hinc placido corde fequatur idem.

Le Reverend Pere Dom George Viole, qui joignoit à une illuftre naiffance, un fort bel efprit & une grande vertu, & qui aprés avoir été prieur de faint Germain, y finit fes jours en qualité de fimple religieux, ayant fait avec beaucoup d'exactitude l'histoire des évêques d'Auxerre & de tous les monafteres du diocese, m'épargna la peine de vifiter les archives de plufieurs, les ayant toutes vifités luy-même avec un grand foin, & en ayant recueilli avec beaucoup de travail tous les anciens monumens qui auroient pû me fervir. C'eft pourquoy je me contentai de profiter de fon ouvrage, qui m'occupa quatre femaines. Cela n'empêcha pas que je ne viffe la bibliotheque de faint Marien de l'ordre des Premontrez, qui eft fort riche en manuscrits, la plûpart des ouvrages de faint Auguftin & des autres Peres de l'Eglife. On y voit entr'autres un commentaire de Remy d'Auxerre fur le prophete Ofée, celuy d'Hervée moine du Bourdieu fur les petits prophetes, les fentences ou la theologie d'un Othon d'un caractere d'environ cinq cens ans. Je vis auffi le chartrier & l'église de faint Pierre poffedée par les chanoines reguliers de faint Augustin de la reforme de fainte Geneviéve. Je fus auffi à l'abbaye de faint Julien, qui doit le rétabliffement de fon observance à madame de Raigni, qui y a introduit la reforme des religieufes du Val de grace.

La fête de faint Edmond archevêque de Cantorbie arriva heureusement durant le fejour que je fis à Auxerre. La devotion que je dois avoir pour ce Saint, dont je porte le nom, m'obligea de l'aller celebrer à Pontigni, où les facrées reliques repofent. Monfieur Caron qui en étoit nouvellement élu abbé, m'y reçut avec beaucoup de bonté, & m'y retine deux jours, durant lefquels je parcourus deux beaux cartulaires, qui me donnerent de grandes lumieres. Le jour de faint Edmond je dis la fainte Meffe fous la châffe du Saint avec fa chafuble, qui est toute ronde par le bas comme les anciennes chasubles. J'eus auffi la confolation de voir fon fa

I. Partie.

H

cré corps que Dieu a confervé fans corruption jufqu'à prefent par un miracle continuel. Il est élevé fur le grand autel dans une grande châffe de bois doré, on voit par un criftal la tête du Saint qui eft toute nuë, le refte du corps eft est revétu de ses habits pontificaux. Son bras en fut' feparé pour être exposé à la veneration des peuples, à la priere de S. Louis roy de France, qui le fit mettre dans un reliquaire d'or où on le voit à nud; mais la chair en eft toute noire, au lieu que celle de fon corps eft fort blanche. Mathieu Paris auteur Anglois, qui vivoit en ce temps-là, en apporte la cause, & dit que lorfqu'on fit la feparation du bras, les religieux craignant qu'étant détaché du corps, il ne fe corrompist, (comme fi la même main qui le confervoit attaché au corps, n'eut pû le conferver détaché de ce même corps,) pour empêcher un fi grand malheur, l'embaumerent, & qu'en punition de leur peu de foy, il devint en même temps tout noir. Nous eftimons cependant que le miracle continue encore; car il n'eft pas naturel, que le baume, quelque vertu qu'il ait, pût conferver durant prés de cinq cens ans cette fainte chair. Ce même auteur rapporte auffi qu'en confideration de faint Edmond, on permit aux femmes Angloifes d'entrer dans l'églife de Pontigny, contre la coûtume de l'ordre de Cîteaux, qui ne fouffroit point l'entrée des églifes aux femmes. Aujourd'hui non feulement les Angloifes, mais generalement toutes les femmes entrent dans l'églife de Pontigny, mais elles n'entrent point encore dans celles de Cîteaux & de Clairvaux. On voit auffi dans le trefor l'anneau pastoral de faint Edmond, le calice & la patene avec lesquels il fut enterré, fa coupe, & le bras de faint Irenée martyr.

Il n'eft pas neceffaire que je dife icy que c'eft dans le monastere de Pontigny, que fe retira faint Thomas de Cantorbie pour éviter la perfecution du roy Henri II. On y voit encore fes ornemens pontificaux & la chapelle où il avoit coûtume de faire fes prieres, où l'on tient qu'il eut revelation de fon martyre.

Quant à l'églife de Pontigny elle est belle, & se ressent de la grandeur de la feconde fille de Cîteaux. On voit derriere cette églife les mázures de l'ancienne, c'eft-à-dire, de la premiere église de Pontigny. Elle étoit petite, mais affez belle pour temps. Le logis abbatial étoit tout proche. Il

Le

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