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homme fur la terre n'avoit jamais éprouvé un fi grand froid. On vit alors une infinité de bêtes & d'oifeaux mourir à la campagne, plufieurs enfans & même des hommes eurent le même fort; les marbres fe fendirent, tous les noyers, les chafteigniers & les oliviers perirent, les bleds qui avoient été femez ne germerent point, & la defolation fut fi grande, qu'elle fut fuivie d'une difette univerfelle de bleds, de vins, de fruits dans tout le royaume, & accompagnée de maladies contagieufes qui defolerent plufieurs villes de France.

Cependant on m'avertit qu'aprés Pasques il falloit reprendre le travail, & continuer la vifite des évêchez & des abbayes du royaume; pour me foulager & pour avancer davantage on me permit de prendre un compagnon. Je jettay les yeux fur dom Urfin Durand, que je crus trés-propre à cet employ, tant à cause que c'est un religieux qui joint à la pieté, beaucoup d'efprit & une fanté robufte, & capable de refifter à la fatigue du voyage & de l'étude, que parce qu'il me parut une homme de bonne volonté & auffi fociable qu'il eft neceffaire dans une entreprise de cette forte.

Nous partîmes de Marmoutier un Jeudy quatrième d'AMoncé, vril, & ce jour-là nous allâmes à l'abbaye de Moncé audeffus d'Amboife. Cette abbaye doit fon origine à quefques filles de pieté qui s'étant retirées dans ce defert pour y vivre dans la penitence & dans les exercices de la contemplation, répandirent une odeur fi grande de leur vertu dans tout le pays, que Sulpice feigneur d'Amboife en fut touché, & leur offrit de bâtir un monaftere, fi elles vouloient garder la clôture & s'engager par vou. Elles accepterent fes offres, & fe donnerent à l'ordre de Citeaux, dont elles dépendent encore aujourd'huy. La fuperieure ne prit d'abord que le nom de prieure, & elle étoit élective par la communauté, ce qui a duré jufqu'en 1652 que le pape Innocent X. à la demande du roy, l'érigea en abbaye en faveur de madame d'Epinoy.

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Nous ne vîmes rien de confiderable dans l'églife que cette épitable gravée fur une fimple tombe: Hic jacet domina Johanna uxor Johannis domini Calvi-montis filia comitis Vindocinenfis. Fuit in vita bonæ memoria. Anima ejus requiefcat in pace.

Nous partîmes le lendemain pour aller à l'abbaye de Fontaine les-blanches, & de-là à Blois où nous arrivâmes fort

tard

tard & fort fatiguez, ce qui obligea le R. P. Prieur de nous y faire fejourner un jour pour nous repofer. Nous em ployâmes cette journée à vifiter les archives de l'abbaye de Bourgmoyen. Nous la crûmes bien employée pour la confolation que nous eûmes d'y trouver une lettre originale de faint Louis roy de France, qu'il écrivit à l'abbé de ce monaftere en lui envoyant une épine de la couronne de Notre-Seigneur. Nous y trouvâmes auffi des lettres de l'Evêque de Chartres & de l'archevêque de Sens, qui confirme rent la verité de cette fainte relique. Ce précieux trefor est refté à Bourgmoyen jufqu'au pillage des Huguenots, qui diffiperent tout ce qu'ils trouverent de faint dans la ville.

fur Loire,

De Blois nous fumes à Orleans, & de là à faint Benoist S. Benoift fur Loire. L'églife eft affez belle. On y voit une porte ancienne à laquelle le P. Mabillon donnoit 900 ans, où eft reprefentée l'hiftoire de la tranflation des reliques de notre bienheureux Pere faint Benoift. La nef eft affez recente mais le chœur n'eft pas éloigné du temps de la fondation du monaftere. Au milieu eft le tombeau de Philippe I. roy de France, affez fimple & fans infcription. Le Sanctuaire est tres. richement parqueté de marbre, de jafpe, & de porphire. L'autel pour être d'une ftructure nouvelle n'en eft pas moins beau, mais ce qui le rend plus confiderable, c'eft la riche châffe de notre bienheureux Pere, dont le travail eft tres exquis. Son chef fe conferve dans le trefor avec des reliques de faint Sebastien, de faint Denys, de faint Aigulfe & de quelques autres Saints. On y a mis auffi depuis peu un chapelet eftimé quatre cens écus. Les grains d'un bois odoriferant font fort bien travaillez, les Pater font d'or, accompagnez de medailles d'or & d'argent dont l'ouvrage furpaffe la matiere, & d'une mignature admirablement belle. La Reine mere l'avoit donné autrefois à madame de Montefpan. Celle cy le donna au R. P. Dom Mathieu Gilbert, qui étant prieur de faint Benoift, le mit dans le trefor. La bibliotheque étoit autrefois une des plus riches du royaume. Elle fut pillée l'an 1562 par les heretiques. Pierre Daniel avocat à Orleans & bailli de Fleuri s'en empara à la faveur du cardinal de Chastillon abbé du monaftere & grand fauteur de l'herefie. Il en fit fon plaifir durant fa vie, & par ce moyen donna au public quelques anciens ouvrages qui n'avoient point vû le jour, ou en corrigea d'autres qui

I. Part.

I

étoient fort imparfaits; il en aida encore fes amis qui travailloient à fatisfaire les fçavans par de belles éditions, Aprés fa mort fes heritiers vendirent les manufcrits à mon. fieur Petau conseiller au parlement de Paris, & à monsieur Bonghard, qui ayant été envoyé en Allemagne par le roy Henri IV. porta à Strasbourg, où il avoit coûtume de faire fa refidence, fa part des manuscrits. Aprés fa mort le prince Palatin les acheta, & les tranfporta dans fa bibliotheque d'Heidelberg; mais le Duc de Baviere ayant pris l'an 1622 cette ville, il s'empara de la bibliotheque, & en fit present au pape Gregoire XV. qui la mit au Vatican. Quant à la part de monfieur Petau, fes heritiers qui aimoient mieux de l'argent que du parchemin, la vendirent à la Reine Chriftine de Suede, qui la porta à Rome, & qui en mourant la legua au pape; & de la forte toute la bibliotheque de faint Benoist a été incorporée dans celle du Va

tican.

Pierre Daniel ne pilla pourtant pas tellement la bibliotheque de faint Benoist, qu'il n'échapât plufieurs volumes à fa cupidité. Car outre plufieurs manufcrits qui ont déja fervi aux nouvelles éditions des Peres, aufquelles nos confreres ont travaillé, nous y trouvâmes un fort ancien manuf crit de la Concorde des Regles de faint Benoist d'Aniane, suivie d'un recueil des ouvrages des Peres, qui a pour titre Liber de diverfis voluminibus Patrum excerptus. C'est fans doute ce recueil des ouvrages des faints Peres, que faint Benoist d'Aniane avoit joint à fa Concorde, pour le faire lire à ses religieux dans les affemblées du foir, que le Pere Menard affùre être à Fleury, & que le P. Mabillon n'y avoit pû trouver. Il est compofé des extraits tirez des livres de faint Ambroise fur l'Exameron, de faint Jerôme contre Jo. vinien, de l'homelie de faint Gregoire fur la concupifcence de la bouche, des fentences de faint Ifidore, de Bede fur faint Luc, de faint Cefaire, de faint Profper, de faint Nil, des Proverbes de l'évêque Evagre pour les moines, des conferences de Caffien avec les abbez Serapion, Moyfe, Ifaac & Theonas, d'un fermon de faint Auguftin fur la Circoncifion, de fon ouvrage de la vie & des mœurs des clercs, de la vie de faint Antoine, de la vie de faint Fulgence, d'un ouvrage de faint Chryfoftome, d'une homelie de faint Gregoire, des inftituts de Caffien, des œuvres de faint Ephrem,

de la conference avec l'abbé Paphnuce, de quelques fentences tirées de faint Jerôme, des fermons de faint Cefaire & des morales de faint Gregoire. Comme le livre est déchiré à la fin, il pouvoit y avoir encore d'autres extraits tirez des Peres de l'Eglife, que ce grand Saint avoit choifis, comme plus propres à entretenir la pieté parmi fes religieux.

Nous y trouvâmes auffi un autre manufcrit ancien de fept ou huit cens ans, qui contient la vie de faint Gregoire, & un autre ouvrage qui a pour titre, Liber fancti ac beatiffimi Benedicti patris monachorum. Je me contentai de prendre les titres des chapitres, que je veux rapporter icy.

Incipiunt capitula.

Quæ funt virtutes bonorum operum.

1. De Humilitate.

II. De Timore Dei.

III. De Pænitentia.

IV. De Derelinquentibus fæculum.

V. De Oratione & compunctione.

VI. De filentio & verba otiofa non loquendo.

VII. De dilectione Dei & proximi.

VIII. De continentia virginitatis mentis & corporis.

IX. De vana gloria & laude humana non quærenda.
X. De patientia tentationis & martyrii.

Cet ouvrage n'eft point affûrément de notre bienheureux Pere faint Benoift; mais il pourroit bien être de faint Benoift d'Aniane, qu'on peut regarder, fur tout en France,comme le fecond fondateur de notre ordre, & le pere d'une infinité de moines: auffi les anciens luy donnent-ils le glorieux nom de Benedictus fecundus.

Je pourrois ajouter à cela des manufcrits de Juvencus, Sedulius, Arator, de l'hiftoire ecclefiaftique d'Eufebe, de Boëce de la confolation de la philofophie & contre Euti. ches, Alvarus fur faint Mathieu, & l'expofition d'Aimoin moine de Fleuri fur l'Apocalypfe, écrite du temps de l'auteur, & peut-être de fa propre main, & un ancien Sacranentaire d'environ 900 ans, à la tête duquel on lit ces mots : Sacramentorum liber, quem..... fancto Benedicto ob fui memoriam à tranfmarinis partibus mifit, imprecans cum juramento maledictionis, ut fi quis cum de monafterio aliquo inge

Ferrieres,

ChâteauLandon.

nio non redditurus abftraxerit, cum Juda proditore, Anna, & Caipha, portionem æternæ damnationis accipiat. Amen, Amen. Fiat, Fiat.

comm

Le monaftere de Ferrieres, où nous fûmes ensuite, est fort ancien; on prétend qu'il eft bâti dans le lieu même où faint Savinien premier archevêque de Sens eut une vifion le jour de Noël, dans laquelle tout le myftere de la naissance du Sauveur luy fut revelé fi clairement, qu'en revenant à luy, il s'écria: C'eft veritablement icy Bethleem, & que c'est pour cette raison qu'on l'appelloit Bethleem, il paroît par les lettres de Loup de Ferrieres. Les plus brillantes lumieres, qui ont éclairé cette illuftre mailon, font faint Aldric archevêque de Sens, Alcuin, Loup de Ferrieres, & dans les derniers fiecles Louis de Blanchefort, qui peut en être confideré comme le reftaurateur, puisqu'il en a rétabli les édifices, & qu'il l'a édifié luy-même par fes vertus, & par la fainteté de fa vie, dont l'odeur depuis prés de deux cens ans s'eft confervée jufqu'à prefent parmi le peuple. Il y a deux églifes, l'une defquelles eft encore appellée Bethléem, & une chapelle fort propre, & deux cloîtres. Pour ce qui eft du trefor, la relique la plus précieuse qu'on y conserve, eft le corps de faint Aldric archevêque de Sens; & la piece la plus curieufe, eft un ancien ciboire d'yvoire, dans lequel on confervoit autrefois le S. Sacrement.

De Ferrieres nous fûmes à l'abbaye de Cercanceau, & delà à Château-Landon, où il y avoit autrefois un monastere de moines, qui devint illuftre par la poffeffion des reliques de faint Severin abbé d'Agaune, qui y mourut, en revenant de Paris, où il avoit été appellé par le roy Clovis, qu'il guerit d'une maladie.

Cette abbaye fut donnée dans le douziéme fiecle aux chanoines reguliers, qui la poffedent encore aujourd'hui. Monfieur de la Grange qui en eft abbé regulier nous reçut parfaitement bien. Il nous donna le foir à foupé, & le lendemain fes religieux nous donnerent à dîné. Nous vîmes cependant le chartrier & la bibliotheque, dans laquelle il y a peu de manufcrits. Le principal contient les lettres de Rufbroch, l'un des plus fameux contemplatifs de fon temps, qui avoit mis autrefois la reforme dans la mai fon. Monfieur l'abbé s'offrit de nous les communiquer, fi nous voulions les imprimer; mais comme nous avons d'autres chofes

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