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LIVRE CENT SOIXANTE-TREIZIE'ME.

P

ENDANT que la cour de Rome étoit agitée des divers mouvemens qui accompagnent toujours l'élection des nouveaux papes, celle de France méditoit une action tragique, à laquelle on ne peut encore penfer fans horreur. Le roi qui feignoit de vouloir affermir de plus en plus la paix avec les Calvinistes, avoit invité la reine de Navarre à se rendre auprès de fa perfonne, pour mettre la derniere main au mariage qu'on avoit proposé entre la princeffe Marguerite fa four & le prince de Navarre. La reine de Navarre fe rendit aux inftances du roi, qui pour mieux diffimuler, vint au-devant d'elle jufqu'à Blois, & lui fit de grandes caresses. Le prince de Navarre fuivit de près la reine fa mere, il arriva à Blois accompagné du prince de Condé, du comte de la Rochefoucault & de quantité de nobleffe, & l'affaire de fon mariage aïant été mise sur le tapis, l'on convint de tous les articles qui furent arrêtés dès le onze d'Avril.

y

Cette affaire confommée la reine de Navarre, après un court féjour à Blois, fe rendit à Paris le quatorze de Mai, afin d'y faire les préparatifs néceffaires pour le mariage de fon fils. Elle voulut Ioger chez Guillard évêque de Chartres, qu'elle connoiffoit pour Calvinifte; mais elle y mourut le dix de Juin fuivant âgée de quarante-quatre ans. Par fon teftament elle ordonna qu'on l'inhumât sans aucune pompe funebre dans le même lieu où Henri

AN. 1572.

I.

Arrivée de la

reine de Navarre

& de fon fils à la cour de France.

De Thou in hift.

lib.

de

51. pag. 788. Dans les mem.

l'Etoile som. 1.

in-8°. pag. 20.

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fon pere avoit été enterré, & elle enjoignit au prinAN. 1572. ce fon fils de vivre dans la confeffion de foi dans

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laquelle il avoit été élevé, de veiller à l'obfervance des conftitutions qu'elle avoit fait publier dans le Bearn & dans la basse Navarre, & d'avoir un foin particulier de Catherine fa fœur. Enfin elle institua pour fon héritier son fils, qui deflors prit le titre de roi de Navarre; elle pria le roi, la reine sa mere, les ducs d'Anjou & d'Alençon, de prendre ce prince & fa fœur fous leur protection,& de leur permettre la profeffion libre de leur religion, & elle nomma pour executeurs de fon teftament le cardinal de Bourbon & l'amiral de Coligni,

Ce dernier étoit à la veille de fa perte, & il s'en défioit d'autant moins, qu'on ne lui témoignoit que des marques d'amitié & de tendreffe; fes amis l'avertissoient en vain, que ces dehors fi flateurs ne paroissoient pas sinceres ; tranquille au milieu du péril qui le ménaçoit, il ne foupçonnoit pas même qu'il en fût proche. Il étoit plus occupé à folliciter le roi de déclarer une guerre ouverte aux Efpagnols, qu'à prendre des précautions pour fa fûreté; & la foiblef fe même des raisons que le roi oppofoit aux motifs preffans qu'il lui alleguoit pour faire cette guerre, ne diminuoit rien de fa fécurité. Cependant dès que la cérémonie du mariage du roi de Navarre avec Marguerite de France, qui fe fit dans l'églife de Nôtre-Dame de Paris le treize d'Août de cette année, eût été confommée, Charles IX. qui vouloit hâter la ruine des Calvinistes, fit venir le régiment des Gardes à Paris, fous le faux prétexte de contenir les Guises qui ne remuoient point; dès que ce

régiment fut entré, on ne penfa plus qu'aux moïens qu'il falloit prendre pour executer l'odieux projet AN. 1572. que l'on méditoit depuis long-tems, d'exterminer entierement les Proteftans dans le roïaume.

Mais on fut fort partagé dans le confeil fecret

IV.
L'on délibere

qu'on tint fur ce fujet en préfence du roi, entre la fur ce fujet dans reine mere, le duc d'Anjou & d'autres perfonnes le confeil de confiance. L'on opina d'abord qu'il falloit tuer Coligni ; que c'étoit l'unique moïen de se défaire de tous les Proteftans, parce que ceux-ci perfuadez que le coup feroit parti des Guises, ne manqueroient pas auffi-tôt de prendre les armes, & qu'ils pourroient être aisément taillez en pieces, les Catholiques étant en plus grand nombre. Que fi la chose ne réüssissoit pas, au moins le blâme de cette action, dont le roi tireroit beaucoup d'avantage, retomberoit fur ceux de la maifon de Guife, & qu'on les réduiroit aisément, quand ils n'auroient plus de competiteurs. Et qu'à l'égard des princes Proteftans que fa majefté avoit en fon pouvoir, il n'y avoit aucun doute que le roi ne leur fit abandonner leurs erreurs pour rentrer dans l'ancienne religion & dans l'obéïssance, lorsqu'il n'y auroit plus auprès d'eux de mauvais conseillers.

C'eft ainfi que l'on parloit devant le roi. Mais dans le confeil de la reine mere on alla plus avant. On dit que non-seulement il falloit tuer les Montmorencis avec l'amiral, mais qu'il falloit encore se défaire des princes de Guife, à qui la reine ne devoit jamais le fier. Si les Proteftans, disoit-on, veulent venger la mort de Coligni; comme ils feront les plus foibles, ils feront accablez par le peuple

avec les Montmorencis. Pendant ce temps-là le roi A N. 1572. aïant assemblé au Louvre le grand nombre de gens de guerre qu'il aura avec lui, demeurera comme fpectateur; & lorsqu'un des deux partis fera vaincu, il fe jettera fur les vainqueurs affoiblis & las de tuer, & comme s'ils avoient pris les armes fans fes ordres & par un efprit de rébellion, il les fera tous tailler en pieces.

V. L'amiral eft blef

Louvre.

lib. 52. pag. 816.

Franç. par Mar

669. fuiv. en

Le premier acte de la fanglante action qu'on méfé d'un coup d'ar- ditoit, commença le vendredi fuivant vingt-deux quebufe en fortant d'Août. Coligni aïant trouvé ce jour là le roi qui De Thou ut fup. fortoit d'une chapelle devant le Louvre, fuivit ce Voiez l'histoire prince jufqu'au jeu de paume, & comme il se retide la monarchie roit dans fon logis rue de Bétify, accompagné de cel tom. 4. pag. douze ou quinze gentilshommes, & traversoit le tre les preuves. cloître de faint Germain l'Auxerrois, marchant fort lentement, parce qu'il lifoit une requête qu'on lui avoit presentée, on lui tira un coup d'arquebuse d'une fenêtre de la maifon d'un chanoine appellé Pierre de Piles fieur de Villemur, qui avoit été précepteur du duc de Guife. L'affaffin étoit Nicolas de Louviers seigneur de Maurevel en Brie, homme hardi & d'une humeur très-vindicative. Il avoit été page du duc de Guife, & s'étoit déja rendu fameux par l'affaffinat du feigneur de Moüy. Des trois balles dont l'arquebuse étoit chargée, une emporta le second doigt de la main droite de l'amiral, & la feconde le blessa assez confiderablement proche le coude au Brantôme dans bras gauche. Il dit alors fans s'émouvoir, que c'éPéloge de l'amiral toit la le fruit de fa réconciliation avec le duc de Mathieu hift. de Guife, & en même-tems il montra la maifon d'où le coup éioit parti. Auffitôt on en enfonça les por

de Châtillon.

France liv. 6.

tes

tes,

l'on vifita par tout, l'on trouva dans une chambre baffe l'arquebufe, & une fervante & un AN. 1572. laquais, qui furent menez en prifon ; mais le meurtrier s'étoit déja sauvé par une porte de derriere. L'amiral, après avoir envoyé informer le roi de ce qui venoit d'arriver, se fit bander le bras, & alla à pied à fon logis qui n'étoit pas loin, en s'appuïant fur Guerchi & fur un Gentilhomme. Quelqu'un l'aïant averti en chemin qu'il y avoit lieu de craindre que les balles ne fuffent empoisonnées, il répondit, qu'il n'en arriveroit que ce qu'il plairoit à Dieu. Le roi de Navarre, le prince de Condé, le comte de la Rochefoucaud & beaucoup d'autres seigneurs Calvinistes avertis de cet accident, vinrent auffi-tôt rendre vifite à l'amiral; & Ambroise Paré chirurgien du roi, aïant été appellé, lui coupa le doigt, & fit quelques incifions au bras gauche en deux endroits, que la balle avoit traversez.

VI.
Le roi feint de

de cet attentat.

De Thou lib. 52. pag. 811. Hift. de la mo

narch. Frans. pag.

576.

ne

Mem. de la rei

Marguerite lo 1-848-72,

pag.

Le roi étoit encore dans le jeu de paûme, lorfqu'on vint lui annoncer cette nouvelle, & feignant paroître en colere d'en être touché, il jetta auffi-tôt la raquette par terre, en prononçant avec une feinte émotion ces paroles : Quoi donc ! ne ferai-je jamais en repos, y aura-t'il tous les jours de nouveaux troubles ? Enfuite il fortit du jeu de paûme pour se retirer au Louvre, protestant qu'il puniroit l'auteur d'un tel at tentat, & donna ordre qu'on fe faisît du duc de Guise; mais celui-ci étoit caché. Sur ces entrefaites le roi de Navarre & le prince de Condé vinrent au Louvre, pour se plaindre au roi d'une action fi indigne, & lui demander, que n'étant pas en fûreté à Paris, il leur fût permis de fe retirer. Mais sa ma

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