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& fon difcours fur fort applaudi des foldats, qui ne A N. 1571. demandoient qu'à combattre enfuite il retourna dans sa capitane,& Colonne & Requesens remonterent fur leurs vaiffeaux. Alors tous les officiers donne

rent le fignal de la priere, & toute l'armée à genoux
falua avec de grands cris de joïe l'image du Cruci-
fix, & se prosterna devant elle : c'étoit un spectacle
édifiant de voir tous ces foldats armez pour com-
battre, & ne respirant que le carnage des infidéles,
fe profterner devant le Crucifix, & demander à
Dieu la grace de vaincre les ennemis de fa religion.
Dom Jean fit donner le signal pour combattre par
un coup
de canon, & les deux armées commence-
rent à s'approcher: celle des Turcs étoit pouffée par
un vent favorable, mais qui tomba dans le tems
même que la bataille commença, & qui fut fuivi
d'un fi grand calme, qu'on s'imaginoit être sur ter-
re plûtôt que fur mer. Auffi-tôt après le vent fe rele-
va tant soit peu en faveur des Chrétiens, & porta
la fumée de leur artillerie dans l'armée Ottomane;
& l'on regarda ce changement comme un secours
envoïé du ciel.

Le corps du milieu combattit de part & d'autre, & l'on commença à battre les Turcs à coups de canon, lorsqu'ils s'approchoient des plus grandes galeres. Veniero mit devant fa capitane les galeres de Jean Loredano & de Malipierro, & Colonne fit la mê:ne chose : mais les Turcs aïant rompu les rangs, & s'étant jettez confufément au travers des plus grandes galeres Chrétiennes, allerent charger la pointe gauche de l'armée des conféderez ; ils commencerent le combat à une heure après-midi par

une grêle de fléches. Un gros de galeres ennemies aïant enveloppé Barbarigo, celui-ci qui remplissoit A N. 1571. tous les devoirs d'un géneral qui tient déja la victoire, reçut dans l'œil un coup de fléche dont il mourut le lendemain ; fon neveu Contarini aïant pris sa place, fut auffi tué, de même que Quirini; mais les Turcs déja fort affoiblis, se jetterent fur le rivage qui étoit proche, & abandonnerent leurs vaiffeaux qui s'étoient brifez contre des rochers : l'on n'eut pas le même succès dans le corps du milieu, où aucun vaisseau Turc, quelque preffé qu'il pût être, ne quitta le combat, parce qu'on ne pouvoit pas si aisément se sauver. fi

Jean d'Autriche qui avoit avec lui quatre cens hommes d'élite, & beaucoup de gentilshommes, attaqua le bacha Hali ; & après avoir longtems combattu, il se rendit maître de la capitane de ce bacha qui fut tué dans le combat. Du côté des Chrétiens, Loredano & Malipierro s'étant jettez avec trop d'ardeur au milieu des ennemis, furent tuez d'un coup de canon; leurs gens néanmoins loin de perdre courage, redoublerent leurs efforts, & prirent deux galeres des infidéles. Veniero & Colonne en prirent auffi chacun un même nombre; mais beaucoup de nobles Venitiens furent tuez en cette occafion, & d'autres y furent dangereufement blessez : cette perte fut en quelque façon réparée par Honoré Cajetan, capitaine d'une des galeres du pape, appellée le Grifon, car aïant rencontré Caracoza, fâmeux Pirate, il fe rendit maître de fon vaiffeau, & après quelque combat, ce même pirate fut tué.

LX.

Le bacha Pertau, après avoir foutenu pendant, Les Turcs font

De Thou, loco

deux heures tout l'effort de quatre vaiffeaux de l'arA N. 1571. mée Chrétienne, aïant perdu tous fes gens, & voïant que fon vaiffeau, dont le gouvernail étoit bri Chalcond. hift. fé, flottoit au gré de l'eau, fe jetta dans un brigan11b 15. pag. 713. tin qu'il tenoit tout prêt, & fe retira du combat

fup. lib. 50.

des Turcs, tom. I.

LXI.

On attribué cette victoire aux

prieres du pape Pic V.

fans être connu. Sa retraite fut suivie d'une perte confidérable d'hommes & de vaiffeaux Turcs: ces infidéles perdirent en tout dans cette bataille, près de trente mille hommes ; on leur fit trois mille cinq cens prifonniers, parmi lefquels il y en avoit vingtcinq des principaux officiers, entr'autres les deux fils d'Hali: on leur prit cent trente galeres, cinquante feulement fe fauverent, & les autres furent brifées ou brûlées, ou fubmergées. On mit en liberté quinze mille Chrétiens qui étoient fur la flotte de ces infidéles, & le butin fut très -confidérable, parce que ces barbares venoient de piller les ifles Curfolaires, & de prendre plufieurs vaisseaux marchands. Du côté des conféderez, l'on perdit huit à neuf mille hommes, moins toutefois dans le combat, que depuis par leurs blessures, la plûpart aïant été legerement bleffez par des fléches, mais aïant été mal panfez.

Tel fut le fuccès de la fameufe bataille dite de Lépante, parce qu'elle fut donnée dans le golfe de çe nom, auprès des ifles Echinades ou Curfolaires, Bailles vie des La victoire que les Chrétiens y remporterent fur les SS. 10m. 2. in fol. infidéles, fut attribuée en partię après Dieu au pape Pie V. qui après avoir donné fes ordres pour Cincon, ut fup. toute la conduite de cette importante affaire, pourvû aux grandes dépenfes qu'il falloit faire pour la foutenir, indiqua des prieres publiques & par

pag. 118.

Gabut. in vita

Pri V. lib. 3.

1.998.

&

ticulieres,

le

ticulieres, des jeûnes & d'autres bonnes œuvres. Il combattit lui-même comme un autre Moïfe, vant fans ceffe les mains au ciel, affligeant fon corps déja tout extenué de maladies & d'aufteritez, par de rigoureuses mortifications & de longues veilles, & répandant des larmes continuelles devant Dieu. On lit dans les historiens de fa vie, que le jour même de la bataille, & la nuit précedente, il fe mit à prier avec plus d'ardeur qu'à fon ordinaire, pour implorer le fecours du ciel, & commanda qu'on fit la même chofe dans toute la ville; que dans le tems du combat, pendant qu'il traitoit de quelques affaires dans fon confiftoire, il quitta brusquement les cardinaux, ouvrit la fenêtre, & y demeura quelque tems les yeux élevez vers le ciel ; qu'enfuite aïant fermé cette même fenêtre, il leur dit, qu'il ne s'agiffoit plus de parler d'affaires, qu'il falloit feulement rendre graces à Dieu pour la victoire que les Chrétiens avoient obtenuë; & auffitôt qu'il en eut reçû la nouvelle, il en remercia Dieu folemnellement.

Non-feulement il ordonna des prieres en actions de graces; mais il établit encore en mémoire perpétuelle de ce bienfait de Dieu une fête le 7. d'Octobre, à l'honneur de la fainte Vierge, par l'interceffion de laquelle il affuroit que cette victoire avoit été remportée. Il ordonna par une bulle que cette fète feroit célebrée tous les ans dans toute l'églife, fous le nom de Notre-Dame de la victoire, qu'on ajouteroit aux litanies de cette fainte Mere de Dieu; fecours des Chrétiens, priez pour nous, & que le lendemain 8. du même mois, on feroit l'office des défunts pour le

A N. 1571.

LXII.
Fête inftituée en

memoire de cette
victoire.
Inbuilario to. 2.

Ciaron. ut fup. Alain de la Roche dans fon trai

te du Rofaire.

repos des ames de tous ceux qui étoient morts dans A N. 1571. la bataille. Cette fête eft encore célebrée le même jour dans plufieurs églises.

LXIII. Réception qu'on

&

Les Venitiens après avoir auffi rendu à Dieu des actions de graces folemnelles de cette victoire avec de grands témoignages de joïe, délivrerent tous les prifonniers, quelques criminels qu'ils fuffent, & défendirent à tous leurs fujets de porter le deuil, & de marquer aucune tristesse pour les parens ou amis qu'on auroit perdus. Ils ordonnerent, de plus, que chaque année le jour de fainte Justine, auquel cette victoire avoit été remportée, seroit fêté, que tous les ans le fénat iroit en proceffion dans l'églife qui en porte le nom. On fit battre auffi de la monnoïe, où étoit l'image de la fainte. Marc-Antoine Colonne qui avoit eu beaucoup fit à Marc-Antoi- de part au gain de la bataille contre les Turcs, étant ne Colonne à Ro- prêt de rentrer dans Rome, le pape tint un confifDe Thou, in toire pour déliberer fur la manière dont on le recebijt. lib. 50. pag. vroit, & fi on lui décerneroit les honneurs du Spond. ad hunc triomphe : mais il fut réfolu qu'on réserveroit ces honneurs à Dom Jean d'Autriche. Cependant le pape permit au peuple Romain, qu'en confidération des grands fervices que Colonne avoit rendus à la religion, l'on élevât à la porte de faint Sebaftien, par où il devoit entrer, deux arcs de triomphe, avec des infcriptions qui contiendroient fon éloge. Il entra donc par cette porte, d'où il fut conduit au Capitole, précedé d'un grand nombre de prisonniers : de là il se rendit à l'église de S. Pierre pour y faire fa priere, & remercier Dieu de fes heureux fuccès; & il paffa enfuite au Vatican, où le

me.

752.

Annum n. 23.

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