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AN. 1170.

l'archevêque de Rouen avoit abfous de l'excommunication l'évêque de Londres, prétendant le devoir faire en vertu de la commiffion du pape: c'est-à-dire de la lettre du dix-neuviéme de Janvier, qui portoit, qu'en cas d'efpérance certaine de la paix, il pourroit abfoudre les excommuniés. Thomas s'en étoit plaint à l'ar- v. ep. 36 chevêque, prétendant qu'il avoit excédé fon pouvoir, V. ep. 19. en ce qu'il n'avoit pas obfervé les conditions portées par sa commiffion; & joignant ces deux fujets de plaintes, il écrivit ainfi au cardinal Albert:

Plût à Dieu, mon cher ami, que vous puiffiez en- v. ep.201 tendre ce que l'on dit en ce pays-ci à la honte de l'églife romaine! Nos derniers envoyés sembloient avoir rapporté quelque confolation dans les lettres du pape, mais elles ont été anéanties par d'autres lettres en vertu defquelles l'évêque de Londres & celui de Sarifbéri ont été absous. Je ne fçais comment il arrive toujours à la cour de Rome, que Barabbas est délivré, & Jefus - Chrift mis à mort. C'eft par l'autorité de cette cour que notre proscription a été prolongée jusqu'à la fin de la fixiéme année. On condamne chez vous de pauvres exilés, & on ne les condamne que parce qu'ils font pauvres & foibles: au contraire on absout des sacriléges, des homicides, des voleurs que faint Pierre même ne pourroit abfoudre: je le dis hardiment, puifque Jefus-Chrift n'ordonne d'abfoudre le pécheur, qu'en cas qu'il fe convertiffe, & qu'il fasse pénitence. Ici on les abfout même fans reftitution: au contraire c'eft de nos dépouilles que les envoyés du roi font des préfens aux cardinaux & aux courtifans du pape. Et enfuite: Je ne veux plus fatiguer la cour de Rome: que ceux-là y aillent qui en revien

Luc. XVIII

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nent triomphans de la justice. Plât à Dieu que le voyage de Rome n'eût pas fait périr inutilement tant d'inep. 21 nocens malheureux! Il écrit fur le même ton à Gratien! qui étoit venu en France l'année précédente en qualité de nonce.

Ep. 22.

Les compagnons de fon exil écrivirent de même au p. 23. cardinal Albert & à Gratien, infistant fur le trop d'indulgence dont le pape avoit ufé envers le roi d'Anp. 24. gleterre; & Thomas écrivant au pape même, lui représente le caractere de ce prince, qu'il étoit plus facile de vaincre par la févérité que par la douceur. Enfin Guillaume, archevêque de Sens, écrivit au pape, que le roi de France & toute l'église gallicane étoient fcandalifés de cette conduite du faint fiége, où Satan étoit délié, & Jesus-Chrift crucifié de nouveau. Il fe plaint, que le facre du jeune Henri étoit une infulte au roi Louis, dont la fille fiancée à ce prince n'avoit pas été couronnée avec lui; & finit en exhortant le pape à punir les évêques qui ont commis cet attentat. ep. 26. Le pape dans fa réponse à l'archevêque de Sens, ne nie pas que l'évêque de Londres ait été abfous par fon ordre, & ne parle point du couronnement du jeune Henri: mais il enjoint à l'archevêque de Sens de preffer l'archevêque de Rouen & l'évêque de Nevers, d'exécuter leur commiffion.

XXIII,

Roi & Tho

mas.

Avant que le pape eût fait cette réponse, ou même reçu les lettres précédentes, la paix étoit conclue Paix entre le entre le roi d'Angleterre & l'archevêque de Cantorbéri. Ce prélat en avoit marqué les conditions effenV. p. 12. tielles, dans une ample inftruction qu'il envoya à l'évêque de Nevers; & qui commence par les avis néceffaires pour le précautionner contre les artifices du

roi: le roi de fon côté manda à l'archevêque de Rouen, qu'il vouloit faire la paix fuivant le projet que le pape en avoit donné. C'eft qu'il voyoit qu'il ne pouvoit plus reculer, & que les deux prélats de Rouen & de Nevers avoient ordre de mettre fes états en interdit, s'il ne s'accordoit dans les quarante jours prescrits.

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Les deux prélats ayant donc appris les intentions du roi d'Angleterre, allerent à Sens trouver Thomas, le jeudi 16 de Juillet 1170, pour les lui expliquer, & lui ep.461 marquer le jour de la réconciliation. Les deux rois avoient marqué celui de leur conférence au lundi d'avant la Magdeleine; c'est-à-dire au 20 de Juillet, & le lieu fur leur frontiere, entre la Ferté, au pays Chartrain & le château de Freteval en Touraine. L'archevêque de Sens avoit confeillé à Thomas de venir avec lui, & avec les deux prélats de Rouen & de Nevers, à la conférence des rois, difant qu'il ne pourroit jamais faire fa paix de loin. Thomas avoit répugnance d'aller à cette conférence fans y être mandé: toutefois il céda, & les quatre prélats y allerent ensemble, les trois archevêques, de Cantorbéri, de Sens & de Rouen, & l'évêque de Nevers. Les deux rois tinrent leur conférence le lundi 20 de Juillet, & le mardi fuivant, fans faire aucune mention de Thomas: ce qui allarma beaucoup les clercs de fa fuite, qui avoient affifté à cette conférence, & qui craignoient qu'il n'eût la confufion d'être venu inutilement. Toutefois l'archevêque de Sens vint dire à Thomas, qu'avec les deux prélats de Rouen & de Nevers, il avoit obtenu du roi d'Angleterre qu'il le verroit le lendemain: ajoutant qu'il lui avoit paru à fon vifage & à fes paroles, entierement adouci, & réfolu à fe réconcilier de bonne foi.

En effet, le lendemain mercredi, jour de la MagAN. 1170. deleine, le roi d'Angleterre vint dès le grand matin au rendez-vous, avec une nombreuse fuite. Thomas y vint plus tard, accompagné de l'archevêque de Sens & de plufieurs François, qui étoient venus à la conférence avec leur roi. Dès que le roi Henri apperçut Thomas, il fe détacha de fa troupe, alla au - devant, & le falua le premier, la tête nue. Après s'être donné la main, & s'être embraffés tout à cheval, ils se tirerent à part, le roi, l'archevêque de Cantorbéri, & celui de Sens: le premier fe plaignit au roi des torts qu'on lui avoit faits & à son église, ufant de paroles V. ep. 45. touchantes & convenables au fujet. Enfuite l'archevêque de Sens fe retira, & le roi s'entretint feul avec Thomas fi familierement, qu'il ne paroiffoit pas qu'ils eussent jamais été mal enfemble: ce qui furprit agréablement les affiftans, jusqu'à leur faire verfer des larmes de joie: mais la conversation fut fi longue, que quelques-uns s'en ennuyoient.

L'archevêque représenta au roi modestement la mauvaise conduite qu'il avoit tenue, & les périls où il s'étoit expofé, & l'exhorta à rentrer en lui-même, à fatisfaire l'églife, décharger fa conscience, & rétablir fa réputation: attribuant fes fautes aux mauvais confeils, plutôt qu'à fa mauvaise volonté. Le roi l'écoutoit, non-feulement avec patience, mais avec bonté, promettant de fe corriger; & l'archevêque ajouta : Il est nécessaire pour votre falut, pour le bien de vos enfans, & la fureté de votre puiffance, que vous répariez le tort que vous venez de faire à l'église de Cantorbéri, en faifant couronner votre fils par l'archevêque d'Yorc. Le roi résista un peu à cette propo

fition,

fition; & proteftant qu'il ne diroit rien par efprit de difpute, il ajouta : Qui a couronné Guillaume le conquérant & les rois fuivans ? N'eft-ce pas l'archevêque d'Yorc, ou tel autre évêque qu'il a plu au roi qui devoit être couronné? L'archevêque répondit pertinemment à cette objection, par la déduction historique de ce qui s'étoit passé en Angleterre depuis la conquête des Normans; & montra que hors certains cas extraordinaires, fes archevêques de Cantorbéri avoient toujours facré les rois, fans que ce droit leur fût disputé par les archevêques d'Yorc..

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Après que Thomas eut long-tems parlé fur ce fujet, le roi lui dit : Je ne doute point que l'églife de Cantorbéri ne foit la plus noble de toutes celles d'Occident; & loin de la vouloir priver de fon droit, je fuivrai votre confeil, & ferai enforte que fur ce point & en tout autre elle recouvre fon ancienne dignité. Mais pour ceux qui jufqu'ici vous ont trahi vous & moi, je les traiterai, Dieu aidant, comme ils méritent. A ces mots, Thomas defcendit de cheval pour fe jetter aux pieds du roi: mais le roi prenant l'étrier, l'obligea de remonter. Il parut même répandre des larmes, & lui dit : Enfin, feigneur archevêque, rendonsnous de part & d'autre notre ancienne amitié, faifonsnous tout le bien que nous pourrons, & oublions entierement le paffé: mais je vous prie, faites-moi honneur devant ceux qui nous regardent de loin. Et comme il voyoit entre les fpectateurs quelques-uns de ceux qui fomentoient la divifion, il s'approcha d'eux & dit, pour leur fermer la bouche: Comme je trouve l'archevêque parfaitement bien difpofé, fi de mon côté je n'en use pas bien avec lui, je ferai le plus méchant Tome XV.

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