Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ce,

a

dire des chofes agréables; nous apprend de quels hommes Créfus avoit rempli fa Cour, & comment il étoit venu à bout d'en bannir la fincérité, la bonne foi, le devoir. Auffi ne put-il fouffrir la noble & généreuse liberté du Philofophe, dont il auroit dû faire un cas infini, s'il avoit connu de quel prix eft un ami, qui ne tenant qu'à la perfonne & non à la fortune du Prina le courage de lui dire des vérités défagréables & améres à l'amour propre pour le préfent, mais qui peuvent lui être très-utiles & très-falutaires pour l'avenir. Dic illis, non quod volunt audire, fed quod audiffe femper volent. C'eft Séneque qui parle ainfi, en montrant de quel fecours peut être pour un Prince un ami fidéle & fincére: & ce qu'il ajoute, paroit fait exprès pour Créfus. a Donnez-lui, ditil, un confeil utile. Faites-lui entendre une fois en fa vie une parole de vérité, à ce Prince dont les oreilles

a Plenas aures adula- I tionibus, aliquando vera vox intret : da confilium utile. Quæris, quid felici præftare poffis? Effice, ne telicitati fuæ credat. Parum in illum contuleris, fi illi femel ftultam

fiduciam permanfuræ femper potentiæ excufferis, docuerifque mobilia efle quæ dedit cafus.. ac fæpe inter fortunam maximam & ultimam nihil intereffe? Senec. de benef. lib. 6. cap. 33.

[ocr errors][ocr errors]

retentiffent fans ceffe de flateries. Vous me demandez quel fervice vous pouvez lui rendre, arrivé comme il eft à une fouveraine félicité ? C'eft de lui apprendre à ne s'y pas fier : c'eft de lui ôter cette vaine confiance qu'il a dans fa puiffance & fa grandeur, comme fi elle devoit toujours durer : c'eft de lui faire connoitre que tout ce qui vient de la fortune, & qui eft de fon reffort, fe reffent de fon instabilité, & peut nous être enlevé promtement; & qu'entre la plus haute élévation, & la chute la plus funefte, l'intervalle peut n'être que d'un

moment.

Créfus ne fut pas lontems fans éprouver la vérité de ce que lui avoit dit Solon. Il avoit deux enfans, dont l'un, devenu muet, étoit pour lui un fujet continuel de douleur: l'autre, nommé Atys, fe diftinguoit par toutes fortes de bonnes qualités entre ceux de fon âge, & faifoit toute fa confolation. Il crut voir en fonge que ce fils bien-aimé devoit périr par le fer. Nouvelle fource de chagrins & d'inquiétudes. On écarte avec foin d'auprès de ce jeune Prince tout ce quia raport au fer; pertuifanes, lan

[blocks in formation]

ces, javelots. Il n'eft plus mention ni
de fiéges, ni de guerre, ni d'armée.
On fit un jour une célébre partie pour
prendre un fanglier qui ravageoit tout
le voifinage.Tous les jeunes Seigneurs
de la Cour devoient s'y trouver. Atys
demanda avec empreffement à fon
pere qu'il lui fût permis d'y aller au
moins comme fpectateur. Il ne put
lui refufer cette grace, & il le confia à
la garde d'un jeune Prince fort fage
qui s'étoit venu refugier chez lui: il
s'appelloit Adrafte. Et ce fut cet Adra-
fte même, qui croiant lancer fon ja-
velot contre le fanglier, tua Atys. On
ne peut exprimer quelle fut ni la dou-
leur du pere quand il apprit cette fu-
nefte nouvelle, ni celle d'Adrafte au-
teur innocent du meurtre, qu'il punit
fur lui-même en fe perçant le fein de
propre épée fur le bucher de l'in-
fortuné Atys.

Herod. c.46

56.

fa

Deux années se pafférent ainsi dans un grand deuil, ce malheureux pere n'étant occupé que de la perte qu'il avoit faite. Mais la réputation naiffante & les grandes qualités de Cyrus qui commençoit à fe faire connoître, le réveillérent de fon affoupiffement. Il crut devoir fonger à mettre une

3

barriére à la puiffance des Perfes, qui prenoit tous les jours de nouveaux accroiffemens. Comme il étoit fort religieux à fa mode, il ne fongea point à former aucune entreprise fans avoir confulté les dieux. Mais pour ne point agir à l'aveugle, & pour être en état d'affeoir un jugement certain fur les réponses qu'il en recevroit, il voulut auparavant s'affurer de la vérité des oracles. Pour cela il envoia à tous ceux qui étoient les plus célébres foit dans la Grece foit dans l'Afrique des députés, qui avoient ordre de s'informer chacun de leur côté de ce que faifoit Créfus dans un certain jour & à une certaine heure qu'on leur marqua. Ses ordres furent ponctuellement exécutés. Il n'y eut que la réponse de l'oracle de Delphes qui fe trouva véritable. Elle fut rendue en vers grecs hexamétres, & voici quel en étoit le fens: Je connois le nombre des grains de fable de la mer, & la mesure de fa vaste étendue. F'entends le muet, & celui qui ne fait point encore parler. Mes fens font frapés de l'odeur forte d'une tortue qui eft cuite dans l'airain avec des chairs de brebis: air ain deffous, airain deffus. En effet le Roi, aiant voulu imaginer

quelque chofe qu'il ne fût pas poffible de deviner, s'étoit occupé à cuire luimême au jour & à l'heure marqués dans une

une tortue avec un

agneau

marmite d'airain, qui avoit auffi un couvercle d'airain. Saint Auguftin remarque en plufieurs endroits, que Dieu, pour punir l'aveuglement des payens, permettoit quelquefois que les démons leur rendiffent des reponfes qui fe trouvoient conformes à la vérité.

Affuré ainfi de la véracité du Dieu qu'il vouloit confulter, il fit immoler à fon honneur trois mille victimes, & fit fondre une infinité de vafes, de trépiés, de tables d'or, qu'il convertit en lingots d'or au nombre de cent dixfept, pour enrichir le tréfor de Delphes. Chacun de ces lingots pefoit au moins deux talens. Il y ajouta encore un grand nombre d'autres préfens parmi lefquels Hérodote compte un fion d'or du poids de dix talens, & deux vaiffeaux d'une grandeur extraordinaire, l'un d'or, qui pefoit huit talens & demi & douze mines, l'autre d'argent qui tenoit fix cens mefures nommées amphores. Tous ces préfens, & beaucoup d'autres que.

« AnteriorContinuar »