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mais la véritable raifon étoit l'amour du plaifir, par lequel ils étoient vaincus & domtés avant que d'en venir aux mains avec l'ennemi,

Une feconde folie étoit de vouloir qu'à l'armée le luxe pour les tentes, pour les chars, pour la table & la bonne chere, paffat encore celui qui régne dans les villes. Il faloit que les mêts les plus exquis, le gibier le plus de fin, les oifeaux les plus rares, vinffent trouver le Prince en quelque endroit du monde qu'il campât. Les vafes d'or & d'argent étoient fans nombre, a inftrumens du luxe non de la victoire. dit un hiftorien; propres à attirer & à enrichir l'ennemi, non à le repouffer ni à le vaincre.

Je ne voi pas quelles raisons Cyrus put avoir de changer de conduite dans les derniéres années de fa vie. On ne peut nier que la grandeur des Rois n'ait befoin d'une magnificence qui y foit proportionnée, & qui s'étende même, fur-tout dans de certaines occafions, jufqu'à la fplendeur & à l'é

a Non belli fed luxuriæ |1 at Alexander, prædam apparatum...Aciem Pernon aria geftantem. 2. farum auro purpuraque Curt. fulgentem intueri jube.

Senec. 1.5.

Ira, s. 20.

clat. Mais les Princes qui ont un folide mérite, favent remplacer en mille maniéres ce qu'ils paroiffent perdre en retranchant quelque chofe du fafte & de l'éclat extérieur. Cyrus luimême avoit éprouvé qu'un Roi fe fait refpecter par une fage conduite plus fûrement que par une grande dépenfe, & qu'il s'attache les peuples par la confiance & par l'amour bien plus étroitement que par la vaine admiration d'une magnificence peu néceffaire. Quoiqu'il en foit le dernier exemple de Cyrus devint fort contagieux. Le goût du faste & de la dépense passa de la Cour dans les villes & dans les provinces, faifit en peu de tems toute la nation, & fut une des principales caufes de la ruine de l'empire qu'il avoit lui-même fondé.

Ce que je dis ici fur les effets funeftes du luxe, n'eft point particulier à l'empire des Perfes. Les hiftoriens les plus judicieux, les philofophes les plus éclairés, les politiques les plus profonds, donnent tous pour une maxime certaine & inconteftable, que le luxe ne manque jamais d'entraîner la ruine des Etats les plus floriffans; & l'expérience de tous les fiécles & de

toutes les nations ne montre que trop la vérité de cette maxime.

Quel eft donc ce poifon fubtil caché fous l'éclat du luxe & fous l'amorce des délices, capable d'énerver en même-tems & toutes les forces du corps, & toute la vigueur de l'ame? Il n'eft pas difficile d'en comprendre la raifon, Des hommes accoutumés à une vie molle & délicieufe, font-ils bien propres à foutenir les fatigues & les travaux de la guerre, à fouffrir la rigueur des faifons, à fupporter la faim & la foif, à fe priver du fommeil dans l'occafion, à mener une vie toute d'action & de mouvement, à affronter les dangers, à aller même jufqu'à méprifer la mort? L'effet naturel des défices & d'une vie voluptueufe, fuites inféparables du luxe,eft de rendre les hommes dépendans de mille faux befoins, de mille commodités & fuperfluités dont ils ne peuvent plus fe paffer; & de les attacher à la vie par mille liens fecrets, qui étoufant en eux les grands motifs de gloire, de zêle pour le Prince, d'amour pour la patrie, les rendent plus timides, & les empêchent de s'expofer à des

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dangers qui peuvent en un moment leur enlever tout ce qui fait leur félicité.

S. II.

Bas afferviffement & efclavage des
Perfes.

C'EST Platon qui nous apprend que ce fut là une des caufes de la ruine de l'empire des Perfes. En effet, ce qui conferve les Etats, & fait remporter des victoires, ce n'eft point le nom. bre, mais la force & le courage des Hom. Odys, armées;&,felon une belle pensée d'un ancien, du jour qu'un homme a perdu fa liberté, il a perdu la moitié de fon ancienne vertu. Il ne s'intéreffe plus au bien de l'Etat, qu'regarde comme étranger; & perdant les principaux motifs qui pouvoient l'y attacher, il devient indifférent au fuccès des affaires publiques, à la gloire & aux profpérités de la patrie, auxquelles fa condition lui défend de rien prétendre, & qui ne peuvent changer fon état. Or on peut dire que le règne de Cyrus, fut le régne de la liberté. Il n'agilfoit point en maître, & ne croioit pas qu'une autorité defpotique fût di

gne d'un roi, ni qu'il fût fort glorieux de ne commander qu'à des efclaves. Sa tente toujours ouverte, laiffoit un accès libre à quiconque vouloit lui parler. Il fe montroit, fe communiquoit, fe rendoit affable & acceffible à tous, écoutoit les plaintes, connoiffoit par lui-même & récompenfoit le mérite, invitoit à manger avec lui non feulement les Généraux de l'armée, non feulement les premiers Officiers, mais encore les Officiers fubalternes, & quelquefois même des Compagnies entiéres. La a fimplicité & la frugalité de fa table le mettoient en état de donner fréquemment de tels repas. Sa vûe étoit d'animer les Officiers & les foldats, de les remplir de courage, de les attacher à fa perfonne plus qu'à fa dignité, & de les intéreffer vivement à fa gloire,& encore plus au bien de l'Etat. Voila ce qu'on appelle favoir commander & gouverner.

On voit avec plaifir dans Xénophon, non feulement la beauté d'ef prit, la jufteffe ingénieufe des répon

a Tantas vires habet gationibus fola fufficiat. frugalitas Principis, ut Plin. in paneg. Traj. tot impendiis, tot ero- j

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