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fervir des termes de Longin, une ef- cap. 39.
pece de prison, où l'ame décroît & se
rappetiffe en quelque forte ?

J'ai peine à le dire, mais je ne fai fi
le grand Cyrus ne contribua pas auffi
lui-même à introduire parmi les Per-
fes & ce fol orgueil des Rois, & cette
fervile flaterie des peuples. Ce fut
dans cette pompeufe cérémonie dont
j'ai parlé que les Perfes, jufques là
très jaloux de leur liberté, & très
éloignés de la vouloir proftituer hon-
teufement par des démarches baffes
& rampantes, courbérent le genou
devant le Prince pour la premiére
fois, & s'abaifférent jufqu'à l'adorer.
Ce ne fut point l'effet du hazard, &
Xénophon infinue affez clairement prop. 1.8.
que Cyrus, qui défiroit qu'on lui ren- p. 215.
dît cet hommage, avoit exprès apofté
des gens pour en donner l'exemple
aux autres, & ils ne manquérent pas
d'entraîner après eux la multitude. Je
ne reconnois point dans ces petites
rufes & dans ces détours artificieux la
nobleffe & la grandeur d'ame que ce
Prince avoit fait paroître jufques-là :
& je ferois affez porté à croire qu'a-
rivé au comble de la gloire & de
la puissance, il ne put réfifter plus

Salluft.

longtems aux violentes attaques que la profpérité livre fans relâche aux meilleurs Princes, fecunda res fapientium animos fatigant; & qu'enfin l'orgueil & le fafte, prefque inféparables de l'autorité fouveraine, l'arrachérent à lui-méme & à fes bonnes inclinaTacit. An- tions: vi dominationis convulfus & mu

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Lib. 2. de

645.

§. III.

Mauvaife éducation des Princes, caufe de la décadence de l'empire des Perfes.

C'EST encore Platon, le prince des leg p. 694. philofophes, qui nous fournit cette réflexion ; & l'on reconnoîtra, en examinant de près le fait dont il s'agit, combien elle est folide & judicieuse, & combien ici la conduite de Cyrus eft inexcufable.

Jamais perfonne ne dut mieux comprendre que lui de quelle importance eft la bonne éducation pour un jeune Prince. Il en avoit connu par luimême tout le prix, & fenti tout l'aCyrep. I. 7. vantage. Ce qu'il recommanda avec le plus de foin à fes Officiers dans ce beau difcours qu'il leur fit après la prife de Babylone pour les exhorter à maintenir leur gloire & leur réputa

200.

tion, fut d'élever leurs enfans comme ils favoient qu'on le faifoit en Perfe, & de fe conferver eux-mêmes dans la pratique de ce qu'on y obfervoit.

Croiroit-on qu'un Princé, qui parloit & penfoit ainfi, eût été capable de négliger abfolument l'éducation de fes enfans? C'eft pourtant ce qui arriva à Cyrus. Oubliant qu'il étoit pere, & ne s'occupant que de fes conquêtes, il abandonna entiérement ce foin aux femmes, c'est-à-dire à des Princeffes élevées dans un pays où régnoient dans toute leur étendue le fafte, le luxe, & les délices; car la Reine fa femme étoit de Médie. Ce fut dans ce goût que furent élevés les jeunes Princes, Cambyfe & Smerdis. Rien ne leur étoit refufé. On alloit au devant de tous leurs defirs. La grande maxime étoit de ne les contrifter en rien, de ne les jamais contredire, de n'emploier à leur égard ni remontran ces, ni réprimandes. On n'ouvroit la bouche en leur préfence que pour louer tout ce qu'ils faifoient & difoient. Tout fléchiffoit le genou & étoit rampant devant eux; & l'on croioit qu'il étoit de leur grandeur de

mettre une diftance infinie entr'eux & le refte des hommes, comme s'ils euffent été d'une autre efpece qu'eux. C'est Platon qui nous apprend tout ce détail: car Xénophon, apparem ment pour épargner fon héros, ne dit pas un mot de la maniére dont ces Princes furent élevés, lui qui a décrit fi au long l'éducation que leur pere avoit reçue.

Ce qui m'étonne le plus, c'eft qu'au moins Cyrus dans fes derniéres campagnes ne les ait pas menés avec lui pour les tirer de cette vie molle & efféminée, & pour leur apprendre le métier de la guerre: car ils devoient alors avoir quelque âge. Peut-être les femmes s'y oppoférent-elles.

Quoiqu'il en foit, une telle éduca tion eut le fuccés qu'on en devoit attendre. Cambyfe fortit de cette école tel que l'hiftoire nous le repréfente, un Prince entété de lui même, plein de vanité & de hauteur, livré aux excès les plus honteux de la crapule & de la débauche, inhumain & barbare jufqu'à faire égorger fon frere fur la foi d'un fonge; en un mot un infenfé, un furieux, un phrénétique, qui mit l'empire à deux doits de fa perte.

Son pere, dit Platon, lui laiffa en mourant de vaftes provinces, des ri cheffes immenfes, des troupes & des flotes innombrables: mais il ne lui avoit pas donné ce qui pouvoit les lui conferver, en lui en faifant faire un bon ufage.

voit pas

Ce Philofophe fait les mêmes réfléxions fur Darius & Xerxès. Le premier, n'étant point fils de Roi, n'aété élevé mollement à la ma niére des Princes, & il avoit porté fur le trône une longue habitude de travail une grande modération d'ef prit, un courage qui ne fut guere inférieur à celui de Cyrus, & qui lui fit ajouter à fon empire prefque autant de provinces que celui-ci en avoit conquises. Mais il ne fut pas meilleur pere que lui, & ne profita pas de la faute qu'il avoit faite en négligeant l'éducation de ses enfans. Auffi fon fils Xerxès fut, à peu de chose près, un fecond Cambyfe.

De tout ceci, Platon, après avoir montré qu'il y a une infinité d'écueils prefque inévitables pour ceux qui font nés dans le fein de la grandeur & de l'opulence, conclut que la principale caufe de la décadence & de la ruine de.

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