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pommes cuites, & un pot de notre vin qu'ils one bu; & vous n'avez qu'à leur parler, ils vous di ront bien eux-mêmes ce qu'ils veulent; car ils ne verront bientôt plus clair; je les conduis avec de la paille que j'ai pris fous le lit de notre mere, & la voilà qui finit ; je m'en vais la jetter par terre, quand elle commencera à me brûler les doigts. Eh! ·tenez, tout en parlant, je ne l'ai plus; ouvrez, Monfieur le Curé. Es-tu bien sûr de ce que tu dis, répondit le Curé? Tenez, Monfieur le Curé, répliqua Jacot, j'en fuis auffi sûr que je fuis sûr d'avoir vu ce matin le renard qui emportoit une de vos poules dans votre verger; je lui ai jetté des pierres, mais il étoit bien loin. La pefte foic de la poule & du renard! le loup nous croquera, nous, dit le Bel-efprit, fi Monfieur le Curé nous laiffe-là. Je m'en vais ouvrir, répondit le Curé; & puis s'adreffant à Dame Nanon; voilà ce que c'eft, lui dit-il, que de n'avoir point de foin; je vous rabattrai cette poule-là fur vos gages. Allez, -allez, Monfieur le Curé, dit Nanon, c'est un petit le compte de vos poules y eft, s'il en manque une, je veux devenir coq; mais c'est que Pautre jour je donnai trois ou quatre taloches à ce petit fripon-là, parce qu'il jettoit des pierres fur les tuiles de notre maison. Vous en

menteur,

zavez menti, respect Monfieur le Curé, dit Jacot, Cetoit votre petit neveu qui avoit caffé une de vos vitres, & vous me battites à fa place.

Par charité, dit alors le Bel-efprit, Monfieur Je Curé, veuillez nous ouvrir, & puis après, Dame Nanon & Jacot auront tout le loifir de vuider leurs procès. Allons, allons, dépêchezvous de donner la clef, dit alors le Curé à Dame Nanon, La voilà, répondis-elle: ôtez-vous que j'ouvre, pour que je donne un foufflet ou deux à ce petit bâtard-là. A ces mots, que le petit bâtard entendit, elle ouvrit, mais il s'enfuit. Le Bel efprit & le Financiersembrafferent Monfieur le Curé qui leur tendoit les bras, pour leur demander pardon du long temps qu'on avoit été à leur ouvrir. Nous fommes trop bien traités, dit Le Bel-efprit, pour des gens qui viennent demander des grâces l'argent à la main. Cependant, làdeffus it fit le détail de notre aventure, expofa le maigre repas que nous avions fait, & fçut fi bien perfuader Monfieur le Curé & la gouvernante, que fon difcours, foutenu d'un éçu qu'il tenoit en main, & dont on voyoit bien qu'il - alloit payer ce qu'on lui donneroit, que fon difcours, dis-je, eut tout l'effet qui fut poffible,

Monfieur le Curé redoubla fes honnêtetés, & l'on étoit encore dans la cuifine à fe gracieuser -de part & d'autre, lorfqu'un neveu du Pafteur (car ils ont tous ou neveu ou nièce,) arriva : ce neveu venoit de fouper de chez un des Confreres de fon oncle, dont la Paroiffe étoit à un quart de lieue de la fienne; c'étoit un jeune homme d'environ vingt-deux ans, il avoit affez bien fait fes études; & malgré l'éducation champêtre qu'on lui avoit donnée, au travers de la groffiereté qu'elle avoit pu lui inspirer, on remarquoit briller en lui une difpofition d'efprit excellente que n'avoit pu étouffer l'habitude de vivre avec des Payfans: entr'autres chofes, il avoit lu des Romans & affez d'autres livres. Il fut furpris, à ces heures, de trouver des étrangers chez fon oncle. Ce bon Curé le mit au fait, en bredouil·lant trois ou quatre mots; le Bel- Efprit & le

Financier acheverent le difcours que le Curé - n'avoit fait qu'ébaucher. Ce jeune homme, qui avoit bu fuffifamment pour être gaillard, anima davantage fon oncle à donner à ces Meffieurs ce qu'il avoit chez lui de meilleur; il accabla nos députés de compliments, d'un tour original, & cependant spirituel; il fe convia même de fon

chef pour les aider à manger ce qu'ils alloient -emporter.

Déjà lui-même il court remplir deux bouteilles de vin exquis; je dis exquis, car c'est la vérité; & fi les mêts en bonté avoient égalé le vin, notre chere eût été excellente; mais un morceau de beurre très-frais, de la ftokfiche auffi bonne que de la ftokfiche le peut être, & cinq harengs forets furent toute la reffource que nous trouvâmes dans l'inanition dont n'avoient pu nous tirer les mêts de notre auberge. Cette petite provifion fut donc apportée dans la chaumiere où nous étions: le Financier en rendit en argent la valeur à dame Nanon, malgré la noble défense de rien prendre, que lui fefoit à grands cris Monfieur le Curé, qui, dans les convulfions obligeantes qu'il fe donnoit pour empêcher sa gouvernante de prendre cet argent, eut le bonheur ou l'adreffe de fe tourner fi fouvent de maniere que le Financier donna ce qu'il voulut à dame Nanon, fans que le généreux Curé pût en être le témoin.

L'argent donné, l'obligeante contestation fut pacifiée. Ne querellons plus, Monfieur le Curé, lui dit le Bel-Efprit; allons, il ne s'agit plus de cela: faites-nous feulement l'honneur de venir

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manger votre part de ce que nous emportons chez notre Hoteffe; vous y trouverez deux trèsaimables femmes, à qui certainement vous vous fçaurez bon gré d'avoir procuré de quoi fe dédommager du mauvais repas qu'elles ont fait. Venez. Non, Meffieurs, répartit le modefte Pasteur: je fuis ravi d'avoir pu vous obliger en quelque chofe, vous ferez encore bien mauvaise chere: mais je vous donne ce que j'ai chez moi de meilleur. A mon égard, il est trop tard; je dois un bon exemple à mes Paroiffiens, & il ne feroit pas féant de fortir à l'heure qu'il eft pour boire & aller voir de belles Dames: nous devons nous autres avoir l'honneur & la Religion en recommandation; mais je vous laiffe mon neveu que je charge d'affurer ces Dames que c'est bien malgré moi que je ne vais pas les faluer. Nous ne vous preffons pas davantage, répliqua le Bel-Esprit, puifque Monfieur votre neveu vient avec nous, & nous vous quittons, pour vous donner la liberté de vous coucher : adieu, Monfieur. Après ces mots, le Financier & le Bel-Esprit prirent fort honnêtement congé de Monfieur le Curé, qui se ressouvint, quand ils furent éloignés de quelques pas, qu'il avoit apperçu le Financier préfentant quelque chofe à dame Nanon. Appa

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