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qu'un Roi de l'Afie, encore plus grand par fa fageffe que par fa puiffance, avoit un fils unique que, par un article d'un Traité de paix, il avoit été obligé de marier fort jeune ce fils avoit mille vertus; c'étoit le Prince de la plus grande efpérance: mais il avoit un défaut qui déparoit tout; c'eft qu'il ne daignoit s'humaniser avec perfonne; c'eft qu'il avoit une fi fuperbe idée de fa condition, qu'il auroit cru fe déshonorer par le commerce des autres hommes, & qu'il les regardoit comme de viles créatures, qu'il traitoit doucement, parce qu'il étoit bon; mais qui n'exiftoient que pour le fervir, que pour lui obéir & à qui il ne pouvoit décemment parler que pour leur apprendre fes volontés, fans y fouffrir de réplique; car la moindre difcuffion lui paroiffoit familiere & hardie, & il fçavoit l'arrêter par un regard, ou par un mot qui fefoit rentrer dans le néant dont on ofoit fortir devant lui.

THEODOSE.

Ah! la trifte & ridicule façon de vivre! je prévois la fin de l'hiftoire ce Prince-là mourut d'ennui.

THEOPHILE.

Non; fon orgueil le foutenoit, il lui tenoit

compagnie. Son pere, qui gémiffoit de le voir de cettte humeur-là, & qui en fçavoit les conféquences, avoit beau lui dire tout ce qu'il imaginoit de mieux pour le rendre plus raisonnable là-deffus, pour le guérir de cette petitefle d'ef prit; il avoit beau fe propofer pour exemple, lui qui étoit Roi, lui qui régnoit, & qui ce pendant étoit fi acceffible lui qui parloit à tout le monde, qui donnoit à tout le monde le droit de lui parler, & qui avoit autant d'amis qu'il avoit de fujets qui l'entouroient rien ne touchoit le fils. Il écoutoit fon pere, il le laiffoit dire, mais comme un vieillard dont l'efprit avoit baiffé par les années, & à l'âge duquel il falloit pardonner le peu de dignité qu'il y avoit dans fes

remontrances.

de

:

THÉODOS E.

Ce jeune Prince avoit donc été bien mal élevé? THEOPHILE.

Peut-être fon Gouverneur l'ayoit-il épargné, peur d'en être haï. Quoi qu'il en foit, le Roi ne fçavoit plus comment s'y prendre, & défe péra d'avoir jamais la confolation de le corriger. Il le corrigea pourtant : fa tendreffe ingénieuse lui en fuggéra un moyen qui lui réuffit. Je vous

ai dit que le Prince étoit marié, ajoutez à cela que la jeune Princeffe touchoit à l'inftant de lui donner un fils; du moins fe flattoit-on que c'en feroit un. Or, vous remarquerez qu'une de fes efclaves fe trouvoit alors dans le même cas qu'elle, & n'attendoit auffi que le moment de mettre un enfant au monde, Le Roi qui avoit fes vues, s'arrangea là-deffus, & prit des mesures que le hafard favorifa. Les deux meres eurent chacune un fils; & qui plus eft, l'enfant royal & l'enfant efclave naquirent dans le même quart-d'heure,

THEODOSE,

A quoi cela aboutira-t-il ?

THEOPHILE.

Le dernier (je parle de l'esclave ) fut auffi - tôt porté dans l'appartement de la Princeffe, & mis fubtilement à côté du petit Prince: ils étoient tous deux accommodés l'un comme l'autre; on avoit feulement eu la précaution de diftinguer le petit Prince par une marque qui n'étoit fçue que du Roi & de fes Confidents. Deux enfants au lieu d'un! s'écria-t-on avec furprife dans l'appartement, & qu'eft-ce que cela fignifie? Qui eft-ce qui a

ofé apporter l'autre? Comment le trouve-t-il là ?

.

& puis à présent, comment démêler le Prince? Jugez du bruit & de la rumeur.

THEODOSE.

L'aventure étoit embarrassante.

THEOPHILE.

Sur ces entrefaites, le Prince, impatient de voir fon fils, arrive & demande qu'on le lui montre. Hélas! Seigneur, on ne fçauroit, lui dit-on d'un air confterné; il ne vous eft né qu'un Prince, & nous venons de trouver deux enfants l'un auprès de l'autre les voilà, & de vous dire lequel des deux eft votre fils, c'eft ce qui nous eft abfolument impoffible. Le Prince, en pâlissant, regarde ces enfants, & foupire de ne fçavoir à laquelle de ces petites maffes de chair encore informes il doit ou fon amour ou fon mépris. Eh! quel eft donc l'infolent qui a ofé faire cet outrage au fang de ses maîtres, s'écria-t-il? A peine achevoit-il cette exclamation, que tout-à-coup le Roi parut, fuivi de trois ou quatre des plus vénérables Seigneurs de l'Empire. Vous me paroiffez bien agité, mon fils, lui dit le Roi; il me femble même avoir entendu que vous vous plaignez d'un outrage; de quoi eft-il queftion? Ah! Seigneur, lui répondit le Prince en lui montrant ces deux enfants,

yous me voyez au désespoir; il n'y a point de fupplice digne du crime dont il s'agit : j'ai perdu mon fils, on l'a confondu avec je ne fçais quelle vile créature qui m'empêche de le reconnoître. Sauvez-moi de l'affront de m'y tromper; l'auteur de cet attentat n'eft pas loin; qu'on le cherche qu'on me venge, & que fon fupplice effraie toute la terre.

THÉODOSE.

Ceci m'intéreffe,

THÉOPHILE.

Il n'eft pas néceffaire de le chercher; le voici, Prince: c'est moi, dit alors froidement un de ces vénérables Seigneurs, & dans cette action que vous appellez un crime, je n'ai eu en vue que votre gloire. Le Roi fe plaint de ce que vous êtes trop fier; il gémit tous les jours de votre mépris pour le refte des hommes; & moi, pour yous aider à le convaincre que vous avez raison de les méprifer, & de les croire d'une nature bien au dessous de la vôtre, j'ai fait enlever un enfant qui vient de naître, je l'ai fait mettre à côté de votre fils, afin de vous donner une occafion de prouver que, tout confondus qu'ils font, vous ne vous y tromperez pas, & que vous n'en verrez pas moins les caracteres de grandeur qui doivent

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