Imágenes de páginas
PDF
EPUB

des vices facrifiés à l'orgueil de n'avoir que des paffions eftimables. Admirezdonc des hommes qui courent à la vertu, non par l'envie de la fuivre, mais pour attraper l'admiration qui l'accom

pagne.

Je vous mets fur les voies des réflexions; c'en eft affez. Je ne dirai rien d'Homere ni de l'énorme opinion qu'on en a conçue. Son efprit & fes connoiffances avoient fi peu de proportion avec ce que l'on étoit capable de fçavoir & d'imaginer de fon temps, que je ne fuis pas furpris de l'eftime prodigieuse qu'on en a fait alors. Quelques fiecles fuivants font encore excufables de l'avoir comme adoré ; l'efprit, accrû d'idées que le grès des temps & quelques expériences de plus avoient développées, étoit agréablement flatté du plaifir d'en deviner de nouvelles, & qu'occafionnoit encore la hauteur de celle d'Homere. L'eftime qu'on eut alors pour lui, fut un pré

pro

fent

que

mais

lui fit l'amour - propre, en échange de la fatisfaction qu'il lui donnoit mais à préfent qu'on a prefque épuifé tous les tréfors de l'efprit & de l'imagination, feroit-il feulement raifonnable, je ne dis pas de méprifer de comparer nos richeffes, au petit gain de celles que firent les temps d'Homere. Par fes Ouvrages ils ont eu droit d'être frappés de leurs richeffes; mais elles ne font qu'une légere portion des nôtres ; encore a-t-il fallu fe donner bien de la peine pour les mettre en état de s'en fervir. Mais brisons là-deffus. Ce feroit trop de crimes à la fois, qu'une Préface qui apprécieroit Homere à fa jufte valeur, & un Livre qui démafque fes Héros.

LE

LE

TÉLÉMAQUE

TRAVESTI

LIVRE PREMIER.

IL arrive des chofes fi comiques dans le mon→ de, qu'il en eft qui, quoique vraies, ont de la peine à fe faire croire ; & ceux qui, de la fingularité d'un fait extravagant, tirent des raisons d'impoffibilité, ne connoiffent apparemment pas les hommes. Leur imagination eft féconde en tant de folies, leur esprit fe tourne fi aisément de ce côté-là, qu'il n'est point d'histoire, pour

Tome XII.

T

I.

vu qu'elle foit poffible, dont, parmi nous, nous ne puiffions trouver l'exemple. Tout ce qu'on rapporte de grand en parlant des Hommes, doit nous être bien plus fufpect que ce qu'on en rapporte de grotefque & d'extravagant. Les Mithridate, les Pompée font de beaux perfonnages, dont la vie n'eft peut-être tirée que d'après l'idée naturelle que nous avons de la grandeur & de la nobleffe d'âme. On conçoit bien que les hommes pourroient reffembler à cette idée: mais malheureusement pour nous, nous fentons le grand & le parfait plus aifément que nous ne le pratiquons. Il est un certain degré de vertu qui fait le nec plus ultrà de l'homme : ce qui excede eft poffible; mais l'expérience nous mon. tre que cet excédent ne passe point la théorie. Il n'en eft pas de même des folles actions de l'homme la rapidité qui l'emporte à la foiblese ne trouve point d'obftacles dans fon efprit, il y court fans difficulté, fans (contrainte; c'est, pour ainfi dire, fon centre : & la vertu chez lui ne trouve cours que dans la violence qu'il fe fait pour la fuivre ; mais laiffons ces matieres aux Métaphyficiens, & revenons à notre hiftoire. Je vais la commencer, après avoir mis le Lecteur au fait.

[ocr errors]

C'est donc de Télémaque travefti qu'il s'agit. Malgré ce que je viens de dire de la poffibilité des actions extravagantes de l'homme, quelque férieux ne pourra s'empêcher de demander fi mon hiftoire eft vraie ? Je ne répon→ drai ni oui ni non : l'incertitude où je laiffe le Lecteur ne contribuera peut-être pas peu à foutenir le plaifir de la lecture. Tel eft l'homme, qu'un fait extravagant & réel qui fe paffe à ses yeux, le divertit fouvent moins qu'un fait de pareil genre inventé. L'Avare, à la Comédie lui paroît plus ridicule que l'avare dans le monde, & les défauts de mœurs qu'on lui repréfente par un jeu, lui font plus fenfibles que les défauts réels. La raison de cette fenfibilité mal entendue eft peut-être la fuite de fon dérangement, & je laiffe encore aux Philofophes à la découvrir.

[ocr errors]

On trouvera dans cette hiftoire, même liaifon & même fuite d'aventures, que dans le vrai Télémaque. Je fonde la réputation du mien fur celle du premier il a fait les délices de tout le monde; un peu de curiofité pourra faire lire le mien mais avant de commencer, il eft à propos de préparer le Lecteur à la différence des personnages, & de mettre dans l'efprit ce

:

« AnteriorContinuar »