Imágenes de páginas
PDF
EPUB

nouvelles races, forties de la poussiere, font aujourd'hui les fieres & les fuperbes, & s'éclipseront auffi pour faire à leur tour place à d'autres, un peu plutôt ou un peu plus tard? C'est un cercle de viciffitudes qui enveloppe tout le monde; ce font par-tout miferes communes.

THÉODOSE.

Changeons de matiere; je me fens trop humilié de m'être trompé là-deffus: je n'étois guères Prince alors.

THEOPHILE.

En revanche, vous l'êtes aujourd'hui beaucoup.

LE MIROIR.

[ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors]

SI vous aimez, Monfieur, les aventures un peu fingulieres, en voici une qui a de quoi vous contenter. Je ne vous prefferai point de la croire; vous pouvez la regarder comme un pur jeu d'efprit, elle a l'air de cela; cependant c'est à moi qu'elle eft arrivée.

Je ne vous dirai point au reste dans quel endroit de la terre j'ai vu ce que je vais vous dire. C'est un pays dont les Géographes n'ont jamais fait mention: non qu'il ne foit très-fréquenté; tout le monde y va, vous y avez souvent voyagé vous-même, & c'eft l'envie de m'y amufer qui m'y a infenfiblement conduit. Commençons.

Il y avoit trois ou quatre jours que j'étois à ma campagne, quand je m'avifai un matin de me promener dans une allée de mon Parc; retenez bien cette allée, car c'eft de-là que je fuis parti pour le voyage dont j'ai à vous entretenir.

Tome XII.

C

Dans cette allée je lifois un livre qui me jetta dans de profondes réflexions fur les hommes.

par

Et de réflexions en réflexions, toujours marchant, toujours allant, je marchai tant, j'allai tant, fans je réfléchis tant, & fi diversement, que prendre garde à ce que je devenois, fans observer où je paffois, je me trouvai infenfiblement dans le pays dont je parlois tout-à-l'heure, où j'achevai de m'oublier, pour me livrer tout entier au plaifir d'examiner ce qui s'offroit à mes regards, & en effet, le fpectacle étoit curieux. Il me fembla donc: mais je dis mal, il ne me fembla point; je vis sûrement une infinité de fourneaux plus ou moins ardents, mais dont le feu ne m'incommodoit point, quoique j'en approchaffe de fort près.

Je ne vous dirai pas à préfent à quoi ils fervoient; il n'eft pas encore temps.

Ce n'eft pas là tout; j'ai bien d'autres chofes à vous raconter. Au milieu de tous les fourneaux étoit une perfonne, ou, fi vous voulez, une Divinité, dont il me feroit inutile d'entreprendre le portrait; auffi n'y tâcherai-je point.

Qu'il vous fuffife de fçavoir que cette perTonne, ou cette Divinité, qui en gros me parut avoir l'air jeune, & cependant antique, étoit dans

un mouvement perpétuel, & en même temps fi rapide, qu'il me fut impoffible de la considérer en face.

Ce qui eft de certain, c'est que dans le mouvement qui l'agitoit, je la vis fous tant d'afpects, que je crus voir fucceffivement paffer toutes les phyfionomies du monde, fans pouvoir faifir la fienne, qui apparemment les contenoit toutes.

Ce que je démêlai le mieux, & ce que je ne perdis jamais de vûe, malgré fon agitation continuelle, ce fut une espece de bandeau, ou de diadême, qui lui ceignoit le front, & fur lequel on voyoit écrit LA NATURE.

Ce bandeau étoit large, élevé, & comme partagé en deux miroirs éclatants, dans l'un defquels on voyoit une représentation inexplicable de l'étendue en général, & de tous ses mysteres, je veux dire des vertus occultes de la matiere, de l'efpace qu'elle occupe, du reffort qui la meut, de fa divifibilité à l'infini; en un mot de tous fes attributs dont nous ne connoiffons qu'une partie.

L'autre miroir qui n'étoit féparé du premier que d'une ligne extrêmement déliée, représentoit un être encore plus indéfiniffable.

C'étoit comme une image de l'âme ou de la

pensée en général; car j'y vis toutes les façons poffibles de penser & de fentir des hommes, avec la fubdivifion de tous les degrés d'efprit & de fentiment, de vices & de vertus, de courage & de foibleffe, de malice & de bonté, de vanité & de fimplicité que nous pouvons avoir.

Enfin, tout ce que les hommes font, tout ce qu'ils peuvent être, & tout ce qu'ils ont été, fe trouvoit dans cet exemplaire des grandeurs & des miferes de l'âme humaine.

J'y vis, je ne fçais comment, tout ce qu'en fait d'ouvrages, l'efprit de l'homme avoit jusqu'ici produit ou rêvé; c'est-à-dire, j'y vis depuis le plus mauvais Conte de Fée jusqu'aux Syftêmes anciens & modernes le plus ingénieufement imaginés; depuis le plus plat Écrivain jufqu'à l'Auteur des Mondes: c'étoit y trouver les deux extrémités. J'y remarquai l'obscure Philofophie d'Ariftote ; &, malgré fon obfcurité, j'en admirai l'Auteur dont l'efprit n'a point eu d'autres bornes que celles que l'efprit humain avoit de fort temps; il me fembla même qu'il les avoit paffées.

J'y obfervai l'incompréhenfible & merveilleux tour d'imagination de ceux qui durant tant de fiècles ont cru non feulement qu'Ariftote avoit

« AnteriorContinuar »