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point. Cet homme, qui s'appelloit Nibal, tournoit fur moi deux gros yeux rouges, & levoit les épaules en me regardant par compaffion.

Brideron, me dit-il, vous dites apparemment vrai, & je n'irai point voir fi vous mentez : mais votre phyfionomie me revient, il m'eft avis que vous avez l'âme bonne. Oh bien ! je vous con. feillerai fur un point ; mais motus au moins car par la jarni! fi vous jafiez...

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Vous êtes un innocent, lui dis-je, quand on me dit un fecret, il eft comme enterré, je n'en fouffle non plus qu'un poiffon. Parlez. Comment, me dit-il, fi jeune vous avez la langue fi courte! Eh! comment cela vous eft-il venu? Oh ! dame, dis - je, cela me vint étant tout petit; car langue courte ou longue, cela n'y fait rien. Quand mon pere nous quitta pour aller en Hongrie, il me tira, dit-on, de mon berceau, & m'embraffant, il parla ainfi : adieu, mon poupon; puiffes-tu crever comme un rouffin de quarante ans, fi les pieds & le corps ne doivent te croître que pour te faire un vaurien. O mes amis! (car tous les paysans étoient présents ;) ayez foin de ce petit drôle ; fouettez-le-moi comme une toupie, quand il criera trop fort; ne l'épargnez pas, pendant qu'il a la chair tendre ; & quand

il fera plus grand, ma femme', châtiez-le à bons coups de bâton, il les fentira mieux que des verges. Je vous en laiffe exprès une demi-douzaine dans ma chambre, qui vous réuffiront mieux que les autres, à caufe de mon intention; & fur-tout, qu'il foit auffi fecret qu'une bête à quatre pieds. Mes enfants, il fera un jour votre maître; & quand homme ne fçait pas fe taire, il est toujours bridé.

Je vous dis ces paroles, parce qu'on m'en a fouvent rompu la tête ; & la vachere de chez nous, pour voir fi j'étois un caufeur, me difoit quelquefois que ma mere étoit une vieille roffe; elle avoit raison, maman étoit du complot. Ne vous a-t-on pas dit quelque chofe de moi, me difoit elle fouvent? Oh ! qu'oui, répondois-je : la vachere vous a appellé une vieille roffe; mais elle m'a recommandé de ne le point dire & vous ne le fçaurez point.

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Dieu fçait comme ma mere me baisoit, quand elle me voyoit fi fage.

Dame! à la fin, cela me fefoit plaifir qu'on me confidérât de cette maniere; je fçavois tout. Quand on foupçonnoit aux environs que quelqu'un alloit devenir cerf; un tel est cocu, me disoit-on, n'en parlez pas. Oh que non ! répondois-je,

dois-je, je tenois parole, & je difois par-tout, que, quoique cela fût, je n'en fonnerois jamais

mot.

Alors Nibal me parloit ainfi. O Brideron ! je vous admire autant qu'une curiofité. Ecou tez-moi, nous fortons de l'hôpital : les Juges de ce pays font bien dangereux ; n'ayons plus rien à déméler avec eux. Encore une fois, ô Brideron ! vous venez avec moi dans le bourg prochain: le Seigneur à qui il appartient, est assurément de la parenté de Satan; il eft jaloux de fa femme, quoique les uns médifsent de fon mariage; il eft jaloux d'elle, comme un cheval de fon avoine; il fait fur fon chapitre des querelles à tout le monde. Quand il voit un feul paysan autour de fon château, voilà un homme en cons vulfion; il croit déjà le voir bec à bec avec sa femme. Outre cela, les droits qu'il a fur les habitants, il les fait payer à coups de bâton. Il doit à tout le monde, & ne paye perfonne; il n'y a point d'habitant qui ne le maudiffe en fe couchant comme en fe levant; on le hait comme charogne. Moi, qui vous parle, je fuis fon palfrenier, & l'on me mit à l'hôpital pour avoir battu ma femme, comme je lui voyois quelquefois battre la fienne. Il a demandé que j'en fortiffe, Tome XII.

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à caufe que je l'avois imité: mais il ne se fie pas plus à moi qu'aux autres; car, comme il eft averti qu'il me doit dix années de gages, & que je n'en puis tirer un fou, il craint, qu'avec les autres domeftiques & créanciers, nous ne lui donnions une dofe qui le faffe paffer de ce monde en l'autre. Il n'y a qu'à fa femme qu'il ne plaint rien: la carogne eft encore plus méchante que lui, elle eft glorieuse comme une poule qui a des pouffins; manquez à lui ôter votre chapeau, crac, le lendemain elle vous fait chercher noise par fon mari. Or çà, comme ce Seigneur veut voir tous les étrangers qui arrivent dans ce bourg, de peur qu'il n'y en ait quelques-uns envoyés par fes ennemis pour lui nuire, (car il fçait bien qu'on voudroit le voir crevé) n'allez pas lui dire que vous êtes le fils d'un Capitaine : car le fien eft à l'armée ; &, comme ils font mal ensemble, il vous foupçonneroit de venir pour l'affaffiner de fa part.

Quand nous arrivâmes à ce bourg, j'en agis comme Nibal m'avoit dit. Je vis l'ours, il revenoit de la chaffe avec fon mafque de femme; quelle dévergondée ! Pour lui il tournoit les yeux de tous les côtés, pour voir s'il n'y avoit pas quelque fufil de braqué contre lui dans les brouf

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failles; car il y avoit des peres dont il avoit fait enlever les enfants pour la guerre, qui, dans le chagrin, auroient bien pu prendre fon ventre pour un tonneau, & y metre le fauffet avec une balle. O Brideron ! me difois-je en moi-même, vois-tu bien ce malheureux ? Pourquoi tremblet-il? Pourquoi le hait-on? C'eft qu'il ne vaut rien. Quelle chienne de vie ne mene-t-il pas ! Parguienne! n'eft-on pas plus content d'aller comme un coq par-tout tête levée; vive la liberté, vive l'honneur! Voyez ce bénèt, je gage que ce foir il va manger des raves pour fon fouper, & je difois vrai; car plutôt que de manger quelque chofe d'apprêté par fes domeftiques, il aimoit mieux faire fon tripotage lui-même dans fa chambre, afin d'épargner le poivre, le fel, le beurre & le charbon. Ah! le faquin, continuai-je; je voudrois bien le voir combler des foffés, il en vaudroit bien dix écus de plus. Il eft Seigneur d'ici, il eft le maître, & tout le monde lui fait peur. Le plaifant maître! Ah! que l'hom me eft fot, & moi auffi, fi dorénavant tout ce que je vois ne m'apprend mieux à vivre que vingt maîtres d'école.

C'eft ainfi que je raisonnois de Pymion, qui étoit le nom de ce Seigneur; je me reffouve

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